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précises et concordantes pour combattre la possession d'état (art. 1353). Les principes généraux reçoivent ici leur application, puisqu'il s'agit de prouver des faits. M. Demolombe repousse les présomptions, mais sans donner de motifs à l'appui de son avis, puis il ajoute qu'il est facile de comprendre qu'il appartient aux magistrats, en fait, d'apprécier le caractère et la force des différentes preuves qui peuvent être produites (1). C'est dire oui et non. La science du droit demande plus de précision et de rigueur. S'il est vrai que la loi repousse les présomptions, il faut maintenir la règle qu'elle établit, et dire que les tribunaux n'ont pas le droit de les admettre. Sans doute, ils ont un certain pouvoir d'appréciation en matière de preuves. Mais ce pouvoir ne va pas jusqu'à recevoir une preuve que la loi repousse.

l'on

15. La jurisprudence a consacré une doctrine beaucoup plus favorable à l'enfant (2). Elle part du principe formulé par Merlin, que l'article 197 établit une présomption de légitimité au profit de l'enfant; que la présomption peut, à la vérité, être combattue par une preuve contraire, mais que cette preuve doit être directe et décisive, qu'elle ne peut pas consister dans d'autres présomptions que opposerait à celles de la loi. Merlin appuie cette doctrine sur l'autorité de d'Aguesseau et de Voet (3). Mais pour que l'on puisse recourir aux anciens principes, il faut prouver que le code les a maintenus. En supposant, ce que nous n'admettons pas, que l'article 197 crée une vraie présomption, il y aurait lieu d'appliquer la règle qui admet la preuve contraire. Or, l'article 1352, qui autorise la preuve contre les présomptions légales, ne limite pas ces preuves; par cela même il les admet toutes, sous les conditions déterminées par la loi ce qui exclut la doctrine enseignée par Merlin. Après tout, la présomption n'est qu'un simple raisonnement. Pourquoi ne pourrait-on pas combattre par des preuves légales un raisonnement fondé sur des probabilités? Dans l'espèce, la présomption est, dit-on,

(1) Demolombe. Cours de code Napoléon, t. III, p. 585, no 405. (2) Arret de Paris du 18 décembre 1837 (Dalloz, au mot Mariage, no 590 1o. (3) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, section I, § 2, no 9.

qu'il y a mariage. Qu'est-ce à dire? Il est probable qu'il y a mariage, mais il est possible aussi, et il est arrivé plus d'une fois que, malgré la double possession d'état, il n'y avait pas de mariage. Pourquoi n'en pas permettre la preuve? La jurisprudence admet cette preuve, mais elle exige qu'elle soit directe; par exemple, dit la cour de Paris, la preuve de la célébration d'un autre mariage de chacun des père et mère, ou de l'un d'eux, avec une autre personne. Certes, quand une pareille preuve existe, l'enfant ne peut plus se prévaloir de l'article 197; la probabilité cède devant la certitude résultant d'un acte authentique (1). Mais faut-il nécessairement cette preuve directe et authentique? Ce serait dépasser la loi; et à force de favoriser la légitimité, on aboutirait à favoriser le concubinage (2).

La cour de Lyon et la cour de cassation ont appliqué l'article 197 dans une espèce où il y avait un contrat de mariage devant notaire et possession d'état. Tous les parents déclaraient que la promesse de mariage n'avait pas été suivie de mariage (3). Ces cas se présentent tous les jours, dit-on, dans les grandes villes; voilà pourquoi l'on a bien fait de rejeter la possession d'état comme preuve du mariage. La loi l'admet en faveur des enfants, mais il ne faut pas pousser l'indulgence à l'excès; sinon, le concubinage deviendra la preuve du mariage, si l'on a soin de donner une apparence de légitimité à des relations coupables.

Dans une autre espèce, il y avait eu un mariage religieux célébré par le ministre protestant, en vertu d'une lettre du ministre de la justice portant que les étrangers qui se marient en France peuvent se marier suivant les lois de leurs pays. Cet acte de célébration était représenté; néanmoins la cour de Paris et la cour de cassation décidèrent qu'il y avait lieu d'appliquer l'article 197. Le mariage était évidemment nul; il était donc démontré que les

(1) Le cas s'est présenté. Voyez arrêt de Douai du 8 mars 1845 (Dalloz, 1845, 2, 163).

(2) C'est l'opinion de Toullier (t. II, no 878).

(3) Arrêt de la cour de cassation du 8 mai 1810 (Dalloz, au mot Pater nité, no 32o 2“).

prétendus époux avaient, aux yeux de la loi, vécu dans le concubinage. Cette preuve ne devait-elle pas détruire ce que l'on appelle la présomption de légitimité résultant de l'article 197? Non, a dit la cour de Paris, car l'acte irrégulier de célébration de mariage ne prouve pas que les époux n'ont point réparé le vice en célébrant leur mariage devant l'officier de l'état civil (1). Il est vrai que la preuve n'est pas absolue; mais il s'agit de savoir si la probabilité qu'il y a eu mariage n'est pas détruite par la production d'un acte que les parties intéressées, étrangères, devaient croire valable, en présence des lettres émanées du ministre de la justice. Certes, la présomption résultant de la célébration du mariage dans ces circonstances était plus forte que la prétendue présomption de l'article 197. Dès lors, n'était-ce pas le cas d'appliquer le texte même de cet article, qui implique que la possession d'état alléguée par l'enfant peut être combattue?

Un cas tout aussi singulier s'est présenté devant la cour de Bordeaux. Le mariage est contracté, en présence des deux familles, devant un notaire, puis les prétendus époux célèbrent leur mariage religieux, ils vivent comme mari et femme, leurs enfants jouissent de la possession d'état. Toutefois, en procédant à un second mariage, le mari qualifie d'enfant naturel le fils qu'il avait eu de son premier mariage, mariage évidemment nul. Cette déclaration émanée du père ne prouvait-elle pas que le vice du premier mariage n'avait pas été réparé; que, par conséquent, la possession d'état apparente cachait un vrai concubinage? La cour fit néanmoins à l'enfant issu de ce concubinage l'application de l'article 197 (2). Même en acceptant la doctrine de Merlin ainsi que la jurisprudence, on peut soutenir quc dans l'espèce il y avait une preuve directe de la non-existence du mariage; elle résultait de l'acte passé devant notaire, combiné avec la déclaration du père lors de son second mariage. C'est ce qui a été jugé,

(1) Arrêt de Paris du 18 décembre 1837 (Dalloz, au mot Mariage, n° 590 1o) et arrêt de la cour de cassation du 11 août 1841 (Dalloz, au mot Paternité, n° 323).

(2) Arrêt de Bordeaux du 28 janvier 1835 (Dalloz, au mot Paternite, no 327).

dans un cas analogue, par la cour de Paris. Il y avait possession d'état des époux, possession d'état de l'enfant; mais d'une part cette possession ne sembla pas assez caractérisée, et d'autre part elle était détruite par un acte dans lequel la mère qualifiait son fils d'enfant naturel. A notre avis, cet arrêt consacre la vraie doctrine (1). C'est celle qui est enseignée par Toullier (2).

§ III. De la preuve résultant d'une procédure criminelle.

16. L'article 198 dit que la preuve d'une célébration légale du mariage peut se trouver acquise par le résultat d'une procédure criminelle. Que faut-il entendre par cette expression procédure criminelle? Le mot criminel est synonyme de pénal; il s'applique donc à toute espèce de contravention passible d'une peine. Une procédure criminelle peut fournir la preuve qu'un mariage a été célébré. Ainsi l'acte de célébration a été détruit ou falsifié (3). L'auteur du crime est poursuivi, le fait est établi; il est prouvé qu'un mariage a été célébré, qu'un acte a été rédigé par l'officier public, mais que cet acte a été détruit ou falsifié par le prévenu. Dans ce cas, le jugement qui prononce la peine atteste en même temps la célébration du mariage. Le jugement sera inscrit sur les registres de l'état civil, et tiendra lieu de l'acte qui a été supprimé ou falsifié.

L'article 198 reçoit aussi son application au cas où l'officier public inscrit l'acte de célébration sur une feuille volante (code pénal, art. 263). Une feuille volante n'est pas un acte. Les parties intéressées n'ont qu'un moyen iégal de se procurer une preuve du mariage, c'est de poursuivre l'officier de l'état civil et d'inscrire le jugement sur les registres. On pourrait objecter que l'article 198 suppose un crime, puisqu'il parle d'une procédure criminelle. Mais l'objection n'aurait aucune valeur. La distinction.

(1) Arrêt de Paris du 11 mai 1816 (Dalloz, au mot Paternité, no 328).
(2) Toullier, le Droit civil français, t II, no 878, p. 107.
(3) Code pénal belge, art. 537, 194-196.

légale entre les crimes, les délits et les contraventions n'a été introduite que par le code pénal de 1810; elle était inconnue lors de la publication du code civil. S'il restait un doute, il serait levé par la discussion. Le projet prévoyait uniquement le cas de l'inscription de l'acte de mariage sur une feuille volante; le texte fut généralisé de manière à comprendre toute procédure intentée par suite d'une infraction à une loi pénale. Il est de toute évidence, du reste, que le motif de l'article 198 est général; les parties intéressées ne doivent pas souffrir de la contravention, pas plus que du délit ou du crime qui leur enlève la preuve d'un mariage réellement célébré (1).

L'article 200 porte : « Si l'officier public est décédé lors de la découverte de la fraude. Est-ce à dire que les parties intéressées ne peuvent invoquer le bénéfice de l'article 198, que si l'infraction a été commise par l'officier de l'état civil? La loi ainsi interprétée n'aurait pas de sens. Qu'importe aux parties intéressées qui est le coupable? La loi parle de l'officier public parce que d'ordinaire c'est lui qui est l'auteur de l'infraction; elle est donc énonciative et non restrictive. Elle est encore énonciative en parlant de fraude. Il est possible qu'il n'y ait aucune fraude, pas même intention de nuire. L'officier civil qui rédige l'acte de mariage sur une feuille volante n'est coupable, en général, que de négligence. Il n'en est pas moins vrai qu'il a contrevenu à la loi et qu'il peut être poursuivi; par suite, le jugement qui le condamnera tiendra lieu d'acte.

17. Par qui l'action peut-elle ou doit-elle être intentée? Toute infraction à une loi pénale donne lieu à deux actions l'action publique ayant pour objet l'application de la peine est exercée, en général, par le ministère public; l'action civile tendant à la réparation du dommage causé par le délit, est formée par les parties intéressées. Quand il s'agit d'un crime proprement dit, la partie lésée peut seulement porter plainte et se constituer partie civile, si le ministère public poursuit; tandis que s'il s'agit d'un délit ou d'une contravention, la partie lésée peut elle

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. III, p. 589, no 409.

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