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croire qu'il juge sans connaissance de cause, alors que le juge rapporteur prend part aux décisions?

III. L'instance judiciaire.

229. Toute instance judiciaire commence par une assignation. Ce qu'il y a de spécial en matière de divorce, c'est que le tribunal doit accorder la permission de citer. Il est appelé à l'accorder parce qu'il a le droit de la refuser; nous venons d'en dire la raison. S'il l'accorde, le demandeur fait citer le défendeur, dans la forme ordinaire et dans le délai légal de huitaine, à comparaître en personne à l'audience. La comparution a lieu à huis clos (art. 241). La loi évite la publicité autant que possible, parce que, une fois la cause du divorce rendue publique, la réconciliation des époux devient pour ainsi dire impossible, et quoique le législateur ne prescrive plus de tentative de réconciliation, après que l'instance est engagée, il ne cesse pas de l'espérer et de la favoriser. Les parties doivent comparaître en personne (art. 241 et 242). Si le demandeur ne comparaît pas, la procédure tombe; il est censé renoncer à son action. Que faut-il décider si le défendeur fait défaut? L'article 242 répond : « Que le défendeur comparaisse ou non, le demandeur exposera les motifs de sa demande, ou les fera exposer par un conseil; il représente les pièces qui l'appuient et nomme les témoins qu'il se propose de faire entendre. » Il résulte de là que la procédure continue malgré le défaut, et il n'y a pas lieu à former opposition contre les jugements qui interviendront. L'article 163 décide la question; il n'ouvre que la voie de l'appel contre les jugements rendus en première instance, contre les jugements par défaut aussi bien que contre les jugements contradictoires; l'opposition n'est admise qu'en appel (art. 165). On demande pourquoi le législateur admet l'opposition en appel, tandis qu'il la rejette en première instance. Il y a de cela une raison historique. C'est qu'au moment où le code civil fut discuté et voté, on était encore sous l'empire de l'ordonnance de 1667, laquelle n'admettait

pas l'opposition en première instance. Il n'y a aucun doute sur tous ces points (1).

230. Si le défendeur comparaît, il peut proposer ses observations tant sur les motifs de la demande que sur les pièces produites par le demandeur et sur les témoins par lui nommés. La loi lui permet de comparaître par un fondé de pouvoir. Il nommera de son côté, dit l'article 243, les témoins qu'il se propose de faire entendre, et sur lesquels le demandeur fera réciproquement ses observations. La loi porte que le défendeur nommera; elle est donc impérative. Faut-il en conclure, avec la cour de Bruxelles, que s'il n'a pas nommé ses témoins ni fait de réserves en indiquant les motifs pour lesquels il ne le fait pas, il ne pourra plus en produire (2)? Nous admettons avec la cour que le juge ne doit pas d'office ordonner au défendeur de nommer ses témoins, et que s'il ne l'a pas fait, le tribunal peut prononcer le jugement qui admet le divorce. Mais il serait contraire au texte de la loi de lui interdire la faculté de nommer ses témoins, jusqu'au moment où l'article 249 lui enlève cette faculté.

Il est dressé procès-verbal des comparutions, dires et observations des parties, ainsi que des aveux que l'une ou l'autre pourra faire. Lecture en est donnée aux époux; il est signé par les parties et mention est faite de leur signature. Si elles ne peuvent ou ne veulent pas signer, il est fait mention de leur déclaration (art. 244).

231. Ici finit le huis clos. Le tribunal renvoie les parties à l'audience publique, dont il fixe le jour et l'heure; il ordonne la communication de la procédure au procureur du roi et commet un rapporteur. Si le défendeur n'a pas comparu, le demandeur est tenu de lui faire signifier l'ordonnance du tribunal dans le délai qu'il aura déterminé (art. 245). Au jour et à l'heure indiqués, le juge commis fait son rapport et le ministère public prend ses conclusions. Le tribunal statue d'abord sur les fins de non-rece

(1) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 488, et Willequet, du Divorce, p. 172. Comparez arrêt de la cour de cassation de Belgique du 29 février 1840 (Pasicrisie, 1810, 1, 307).

(2) Arrêt du 6 avril 1833 (Pasicrisie, 1833, 2, 119).

voir, s'il en a été proposé. En cas qu'elles soient trouvées concluantes, la demande en divorce sera rejetée. S'il n'a pas été proposé de fins de non-recevoir ou si elles sont rejetées, la demande en divorce sera admise (art. 246).

Qu'entend-on par fins de non-recevoir dans l'article 246? Toutes les exceptions qui tendent au rejet de la demande, les fins de non-procéder aussi bien que les fins de nonrecevoir proprement dites. Ainsi le défendeur peut opposer l'exception d'incompétence, ou l'exception du défaut de cause légale du divorce. Il peut aussi proposer l'exception de réconciliation, mais si elle n'est pas prouvée par les aveux du demandeur, le tribunal ne pourra pas statuer immédiatement; il ordonnera au défendeur de faire preuvo de la réconciliation soit par écrit, soit par témoins. Quant à la fin de non-recevoir que l'on appelle compensation, elle ne peut être établie que par l'enquête sur le fond du débat.

Le défendeur peut-il encore opposer une fin de nonrecevoir après le jugement qui admet la demande? Il faut répondre négativement, avec la jurisprudence (1). Le silenco du défendeur implique qu'il n'a point de fin non-recevoir à opposer; et le jugement qui admet la demande en divorce décide implicitement que l'action n'est pas éteinte par uno fin de non-recevoir.

232. Immédiatement après le jugement qui admet la demande en divorce, le tribunal en rend un second, par lequel il fait droit à la demande si elle lui paraît en état d'être jugée; sinon il admet le demandeur à la preuve des faits pertinents par lui allégués et le défendeur à la preuve contraire (art. 247). Il faut donc deux jugements : un premier qui admet la demande, un second qui statue au fond ou qui admet les parties à la preuve. La jurisprudence est encore une fois ici d'une rigueur dont nous cherchons vainement la raison. Il a été jugé que l'arrêt qui déclare les faits non pertinents est nul s'il n'a pas été précédé d'un jugement d'admission (2). Il est vrai que la loi

(1) Arrêts de Liége du 24 mai 1826 et du 13 octobre 1826 (Pasicrisic, 1826, 2, 167 et 256).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 18 frimaire an xiv (Dalloz, au mot

est violée; mais qu'est-ce que cette violation a de commun avec les principes essentiels de la procédure en divorce? Le premier jugement qui admet la demande est de pure forme; nous n'en apercevons pas l'utilité. A quoi bon prolonger le procès par des cassations, quand aucune raison majeure ne le demande?

La jurisprudence est peu conséquente. Si tout est de rigueur, il faut aussi prendre au pied de la lettre le mot immédiatement qui se trouve dans l'article 247. Il y aurait donc nullité si le second jugement était rendu le lendemain. La cour de Liége a reculé, et certes avec raison, devant ce formalisme excessif (1). Mais si l'on écoute le bon sens et l'équité dans un cas, pourquoi ne pas les écouter toujours?

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IV. L'enquête.

233. L'enquête est le moyen ordinaire de prouver les faits qui servent de base à la demande en divorce. Cependant elle n'est pas toujours nécessaire. L'article 247 dit que le tribunal peut immédiatement faire droit à la demande, si elle lui paraît en état d'être jugée. Faire droit, c'est-à-dire admettre la demande, si la preuve des faits articulés résulte des documents du procès (2). Telle serait la correspondance de l'époux adultère, ou des lettres injurieuses du conjoint contre lequel le divorce est demandé. Le tribunal peut aussi rejeter la demande, si les faits allégués par le demandeur ne lui paraissent pas pertinents. En effet, l'article 247 porte que le tribunal, en ordonnant l'enquête, admet le demandeur à la preuve des faits pertinents. Le tribunal doit donc examiner avant tout si les faits articulés par le demandeur sont pertinents, vraisemblables, et s'ils sont assez graves pour constituer une cause de divorce (3). Si les faits ne présentent pas ces

Séparation de corps, no 470, 3o), et arrêt de Paris du 27 mars 1813 (ibid., 2o). Merlin, Répertoire, au mot Divorce, sect. IV, § XIII, no 1.

(1) Arrêt du 6 juillet 1826 (Pasicrisie, 1826, 2, 226).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 6 juin 1853 (Dalloz, 1853, 1, 244). (3) Arrêt de Nimes du 14 mars 1842 (Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, no 77).

III.

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caractères, le tribunal doit rejeter la demande. Il va sans dire que les juges ont, en cette matière, un pouvoir discrétionnaire; ils décident souverainement, d'après les circonstances de la cause, si les faits ont un caractère de gravité et de vérité suffisant pour rendre la preuve admissible (1). Enfin le tribunal peut, tout en admettant la preuve, rejeter les faits qui ne lui paraissent pas perti

nents.

234. Les parties ont dû nommer les témoins qu'elles se proposent de faire entendre, dès le début de l'instance. judiciaire. Après la prononciation du jugement qui ordonne l'enquête, le greffier donne lecture du nom des témoins. Le président avertit les parties qu'elles peuvent encore en désigner d'autres, mais qu'après ce moment elles n'y seront plus reçues (art. 249).

Qui peut être témoin? D'après le droit commun, les parents et alliés des parties jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement, ainsi que leurs serviteurs et domestiques, peuvent être reprochés (code de procédure, art. 283). Le code civil déroge à cette règle: aux termes de l'article 251, les parents des parties ne sont pas reprochables du chef de la parenté, non plus que les domestiques des époux, en raison de cette qualité. Cette exception était une nécessité : les faits qui constituent les causes du divorce se passant presque toujours dans l'intimité de la famille, ne peuvent être prouvés que par le témoignage de ceux qui vivent dans cette intimité. Toutefois la loi ajoute que le tribunal aura tel égard que de raison aux dépositions des parents et des domestiques. Ces dépositions seront d'ordinaire passionnées et intéressées, chacun des témoins prenant parti pour l'un ou l'autre des époux. Le juge doit donc mettre la plus grande circonspection dans l'appréciation de leurs témoignages.

Le texte de l'article 251 ne parle que des parents, tandis que le code de procédure étend l'exclusion aux alliés. Il est évident que l'exception comprend aussi les alliés; si

(1) Arrêt de la cour de cassation du 17 décembre 1839 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 240, 2o).

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