Page images
PDF
EPUB

ment à l'ordonnance rendue par le président sur la requête du demandeur en divorce (art. 238). Que faut-il décider, si le mari a fait, antérieurement à cette ordonnance, des actes en fraude des droits de la femme? Il est certain que celle-ci ne pourra pas se prévaloir de l'article 271; mais ne peut-elle pas invoquer l'article 1167? Il y a quelque doute. La question est de savoir si la femme commune en biens peut attaquer les actes de son mari, comme étant faits en fraude de ses droits. Il s'agit, bien entendu, d'actes que le mari fait en sa qualité de chef de la communauté. Or, le mari en est maître et seigneur; il peut la dilapider, la ruiner, sans que la femme ait une action quelconque contre lui. Le pouvoir absolu dont il jouit exclut toute idée d'une action fondée sur le préjudice. Mais ne faut-il pas faire exception en cas de fraude (1)? Nous examinerons la question au titre du Contrat de mariage. Si on la décide affirmativement, il faut dire que l'article 271 n'est que l'application du droit commun.

Si l'article 271 n'est que l'application du droit commun, on ne voit pas quelle est l'utilité de cette disposition. Elle s'explique par les travaux préparatoires. Le projet adopté par le conseil d'Etat portait (art. 41): « A compter du jour de la demande en divorce, le mari ne pourra plus contracter de dettes à la charge de la communauté, ni disposer des immeubles qui en dépendent : toute aliénation qu'il en fera sera nulle de droit. » C'était un moyen énergique de garantir les intérêts de la femme, mais il était injuste puisqu'il présumait la fraude de la part du mari, sans même l'admettre à la preuve contraire. Il se peut cependant qu'il soit de bonne foi, et s'il est de bonne foi, pourquoi lui défendre de s'obliger et d'aliéner? C'eût été porter atteinte aux droits du mari, alors que le mariage subsistait avec ses conséquences légales. Le Tribunat critiqua la disposition du projet et proposa un nouveau système qui ne fut pas accueilli par le conseil d'Etat, mais on abandonna aussi celui du projet pour en revenir

(1) Voyez, en ce sens, un arrêt de Bruxelles du 9 avril 1851 (Pasicrisie, 1852, 2, 42).

au droit commun (1). La disposition actuelle n'a donc d'autre objet que de dire que le mari reste chef de la communauté, qu'il peut s'obliger et aliéner les immeubles, sauf à la femme à attaquer les actes frauduleux, à charge par elle de prouver la fraude, la fraude n'étant plus présumée. Tout cela résulte des principes généraux, et il était inutile de le dire.

No 2. DES ENFANTS.

66

254. Aux termes de l'article 267, l'administration provisoire des enfants reste au mari, sans distinguer s'il est demandeur ou défendeur. Quand le divorce est prononcé, la loi confie, en règle générale, les enfants à celui des époux qui l'a obtenu (art. 302). Pendant l'instance, il n'y a pas encore d'époux coupable; il n'y avait donc pas de raison de dépouiller le mari, fût-il défendeur, de l'exercice de la puissance paternelle, ou de modifier cet exercice. La loi veut, en conséquence, que les enfants restent au mari; elle s'exprime en termes impératifs : « l'administration restera. » Toutefois elle admet une exception : « A moins, dit l'article 267, qu'il n'en soit autrement ordonné par le tribunal, sur la demande soit de la mère, soit de la famille ou du procureur impérial, pour le plus grand avantage des enfants. » L'exception s'applique aux deux hypothèses prévues par la règle, c'est-à-dire que le mari soit demandeur ou défendeur. Peu importe, en effet; c'est le plus grand avantage des enfants qui doit seul être pris en considération question que le tribunal décide d'après les circonstances.

Nous disons le tribunal. L'article 267 donne ce pouvoir au tribunal et non au président. Du reste, il a été jugé, et avec raison, que le tribunal peut ordonner que les enfants soient remis à la mère aussitôt après que le demandeur a remis sa requête au président (2). Le président n'a pas ce

(1) Observations du Tribunat, no 12 (Locré, t. II, p. 555 et suiv.). (2) Arrêt de Bruxelles du 27 germinal an XIII (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 456, 1o).

droit; et cela se comprend, car il s'agit de modifier la puissance paternelle, qui est d'ordre public. Toutefois, s'il y avait urgence à prendre une mesure en faveur des enfants, le président pourrait, comme juge de référé, ordonner qu'ils soient confiés à la mère; mais le président doit, en ce cas, observer les formes prescrites par le code de procédure (art. 806 et suiv.). S'il statuait comme magistrat conciliateur, en vertu de l'article 232 du code civil, il excéderait ses pouvoirs, et son ordonnance serait annulable (1). La différence n'est pas seulement dans les mots : l'ordonnance de référé est susceptible d'appel, tandis qu'on ne peut pas interjeter appel des mesures que le président prend en vertu de sa mission de conciliateur (2).

255. Le tribunal peut-il ordonner que les enfants soient confiés à une tierce personne? L'affirmative ne souffre aucun doute. D'après l'article 267, l'administration provisoire des enfants reste au mari, à moins qu'il n'en soit autrement ordonné par le tribunal. La loi ne dit pas que les enfants doivent être remis à la femme; elle est conçue à dessein en termes très-vagues, autrement ordonné, ce qui laisse toute latitude au juge. Rien de plus naturel d'ailleurs, le principe étant que le tribunal doit se décider dans son choix, pour le plus grand avantage des enfants. Ce qui lève tout doute, c'est qu'après l'admission du divorce, le tribunal peut ordonner que les enfants soient confiés aux soins d'une tierce personne. Pourquoi ce qui se fait définitivement après la dissolution du mariage ne pourrait-il pas se faire, à titre de mesure provisoire, pendant l'instance en divorce (3)?

Les mesures que le tribunal prend à l'égard des enfants sont essentiellement temporaires, en ce sens qu'il peut toujours en prendre d'autres, si l'intérêt des enfants l'exige. Il en est ainsi des mesures dites définitives que le

(1) Arrêts de Grenoble du 2 mai 1864 (Dalloz, 1865, 2, 145) et de Caen du 1er juillet 1867 (Dalloz, 1867, 5, 390, no 2).

(2) Arrêt de Paris du 5 janvier 1848 (Ďalloz, au mot Séparation de corps, n 131).

(3) Voyez, en ce sens, les arrêts cités par Dalloz, au mot Séparation de corps, n" 123.

tribunal ordonne quand le divorce est admis (1). A plus forte raison le juge peut-il revenir sur des mesures provisoires. Bien entendu que le tribunal ne peut rien décider que sur la demande des parties intéressées. Sont telles, aux termes de l'article 267, les père et mère, la famille, c'est-à-dire le conseil de famille et le ministère public.

256. Il s'est présenté des difficultés sur l'exécution des décisions prises par le tribunal. L'huissier chargé d'exécuter la décision du tribunal peut se faire assister par les agents de la force publique. Cela ne fait aucun doute; c'est le droit commun. La jurisprudence consacre un moyen de coercition moins violent, la saisie des revenus de l'époux récalcitrant (2). Au point de vue des principes de droit, la question est douteuse. Nous l'avons déjà rencontrée, quand il s'agit de forcer la femme à rentrer dans le domicile conjugal. Dans notre espèce, elle est encore plus douteuse. La femme qui refuse de réintégrer le domicile conjugal viole une obligation qu'elle a contractée en se mariant; elle est donc débitrice dans le sens le plus large du mot, et l'on conçoit à la rigueur qu'elle soit con-, trainte de remplir son devoir par les voies de la saisie. Mais dans notre espèce, la femme n'est pas débitrice; il s'agit uniquement d'exécuter par la force une décision judiciaire. Ne faudrait-il pas un texte de loi qui autorise le juge à ordonner la saisie? Nous le croyons (3). Les tribunaux ont encore choisi une autre voie pour arriver au même but. Ils condamnent l'époux qui refuserait d'exécuter le jugement à des dommages-intérêts fixés par chaque jour de retard (4). Cette voie d'exécution nous laisse également des scrupules. Peut-il être question de dommagesintérêts en cette matière? Quelle est la perte qu'éprouve la mère à qui on refuse de remettre les enfants? quel est le gain dont elle est privée? A vrai dire, il ne s'agit pas des parents, il s'agit de l'avantage des enfants. La chose

(1) Arrêt de Bordeaux du 9 juin 1832 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 327).

(2) Arrêt de Colmar du 10 juillet 1833 (Dalloz, au mot Mariage, no 761). (3) Voyez plus haut, p. 121, no 91.

(4) Arrêts de la cour de cassation du 4 avril 1865 et du 8 novembre 1864 (Dalloz, 1865, 1, 387 et 390).

est de toute évidence quand c'est sur la demande du ministère public que les mesures sont prises. Il n'est donc pas exact de dire que l'époux récalcitrant cause un dommage et qu'il est tenu de le réparer. En réalité, le tribunal prononce une peine pécuniaire; or, peut-il y avoir une peine sans loi pénale?

No 3. DE LA RÉSIDENCE PROVISOIRE DE LA FEMME.

257. L'article 268 porte: « La femme demanderesse ou défenderesse en divorce pourra quitter le domicile du mari pendant la poursuite. On comprend que l'obligation de la vie commune ne peut subsister pendant l'instance en divorce; la paix de la famille serait troublée à chaque instant, la sûreté même de la femme serait compromise. La femme devait donc avoir le droit de quitter le domicile conjugal. Nous disons que c'est un droit pour elle. En effet, le code dit qu'elle pourra quitter le domicile du mari. Est-ce à dire que le tribunal ne doive pas intervenir? L'article 268 ajoute: « Le tribunal indiquera la maison dans laquelle la femme sera tenue de résider. Puisque la femme, en quittant le domicile conjugal, ne peut pas résider où elle veut, elle doit nécessairement s'adresser à la justice pour que le tribunal lui indique la maison qu'elle devra habiter. Le président ne pourrait-il pas assigner à la femme un domicile provisoire? Comme juge de référé, oui, et à titre de mesure d'urgence, mais non comme magistrat conciliateur, car la loi ne lui donne pas ce droit. Il y a, sous ce rapport, une différence entre le divorce et la séparation de corps (code de procédure, art. 878); nous y reviendrons.

[ocr errors]

La loi dit que le tribunal indiquera la maison où la femme sera tenue de résider. Il a été jugé, en matière de séparation de corps, que la résidence de la femme devait être fixée dans le ressort du tribunal. Cela est sans doute utile, car le mari, conservant la puissance maritale, a le droit et le devoir de surveiller sa femme; mais il est évident que ce n'est pas là une question de droit, c'est un point de fait que le tribunal décidera d'après les circon

« PreviousContinue »