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stances et les convenances. Il y a des arrêts en ce sens (1). 258. L'article 268 suppose que c'est toujours la femme qui quitte le domicile conjugal. On demande si le tribunal ne pourrait pas autoriser la femme à y rester, en ordonnant au mari de le quitter? Il a été jugé que la femme ne peut être autorisée à expulser le mari, alors même que la maison conjugale serait un bien paraphernal de la femme (2). Mais la jurisprudence s'est prononcée pour l'opinion contraire, ainsi que la doctrine. Sans doute, le tribunal doit, en règle générale, maintenir le mari dans la maison conjugale, car ce domicile est le sien, et la femme, légalement, n'en a pas d'autre (art. 214); aussi l'article 268 dit-il que la femme pourra quitter le domicile du mari; il ne dit pas que la femme peut expulser le mari. Toutefois il ne le défend pas; il permet de suspendre la vie commune, dès lors peu importe où le mari réside; en droit, la puissance maritale n'est pas lésée si le mari réside dans telle maison plutôt que dans telle autre. Le juge peut donc considérer les circonstances, les convenances et l'intérêt de la famille; ainsi, si la femme exerce une industrie ou un commerce dans la maison conjugale, l'équité exige qu'elle y reste et que le mari la quitte (3).

259. La loi fait une obligation à la femme de résider dans la maison qui lui a été assignée par le tribunal. Aux termes de l'article 269, la femme est tenue de justifier de sa résidence dans la maison indiquée toutes les fois qu'elle en sera requise. A défaut de cette justification, le mari pourra refuser la provision alimentaire qu'il doit lui payer, et si la femme est demanderesse en divorce, elle peut être déclarée non recevable à continuer ses poursuites. Nous parlerons plus loin de la pension alimentaire. Quant à la fin de non-recevoir, c'est une espèce de peine que la loi attache à l'inexécution de l'obligation qu'elle impose à la

(1) Dalloz, au mot Séparation de corps, no 136. Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1382.

(2) Arrêt de Limoges du 21 mai 1845 (Dalloz, 1849, 2, 45).

(3) Voyez les arrêts cités dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 141, et arrêts de Colmar du 23 mai 1860 (Dalloz, 1860, 2, 200), de Bruxelles du 14 juillet 1859 (Pasicrisie, 1860, 2, 210) et de Gand du 9 juin 1866 (Pasicrisie, 1868, 2, 279).

femme. Quelle est cette fin de non-recevoir? La loi le dit, que la femme peut être déclarée non recevable à continuer ses poursuites; ce n'est donc pas une fin de non-recevoir contre l'action en divorce, comme celle dont traite la section III; l'action n'est pas éteinte, seulement la femme ne peut pas continuer la procédure, aussi longtemps qu'elle ne satisfait pas à son obligation. C'est un refus d'audience, comme le dit la cour de Gand (1).

Il faut ajouter que cette fin de non-recevoir n'est pas absolue. La cour d'Amiens avait décidé que le tribunal devait déclarer la femme non recevable par cela seul qu'elle ne justifiait pas de sa résidence dans la maison indiquée; mais l'arrêt a été cassé (2). L'erreur était évidente; le texte dit en effet que le mari pourra faire déclarer la femme non recevable, ce qui implique un pouvoir d'appréciation. Cela est aussi fondé en raison. La femme peut quitter sa résidence pour des motifs très-légitimes (3). Si la maison qui lui a été indiquée est celle de sa mère et si celle-ci change de demeure, la femme est certes autorisée à la suivre (4). Il a même été jugé que la femme ne doit pas être déclarée non recevable, alors qu'elle a changé de résidence pour se procurer un logement plus agréable, quand du reste il est constant qu'elle n'a pas voulu se soustraire à la surveillance de son mari (5).

N° 4. DE LA PROVISION ALIMENTAIRE.

260. La femme, dit l'article 268, qui quitte le domicile de son mari pendant la poursuite pourra demander une pension alimentaire proportionnée aux facultés de son mari; l'article ajoute que le tribunal fixe, s'il y a lieu, la provision alimentaire que le mari sera obligé de lui payer.

(1) Arrêt du 9 décembre 1864 (Pasicrisie, 1865, 2, 66).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 16 janvier 1816 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 235).

(3) Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Séparation de corps, n° 233. Ajoutez arrêt de Gand précité du 9 décembre 1864 et arrêt de Paris du 27 février 1868 (Dalloz, 1868, 2, 52).

(4) Arrêt de la cour de cassation de Berlin du 18 mai 1821 (Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1383).

(5) Arrêt de Bordeaux du 8 août 1867 (Dalloz. 1867, 5, 391, no 7).

Sil y a lieu, il peut donc ne pas y avoir lieu. En général, les époux sont mariés sous le régime de communauté légale; dans ce cas, la femme n'a aucun revenu, quand même elle aurait des biens personnels, puisque le mari en a la jouissance. Il en est de même si les époux ont stipulé le régime exclusif de communauté ou le régime dotal, alors que la femme n'a pas de paraphernaux. Si la femme n'a pas de revenus, il faut naturellement que le mari lui paye une pension alimentaire pour qu'elle puisse subvenir à ses besoins pendant le cours du procès. Mais si les époux étaient séparés de biens et si les revenus de la femme suffisaient pour fournir à ses nécessités, il n'y aurait pas lieu de lui accorder une pension alimentaire. Il en serait de même si la femme recevait une pension de ses parents, et que cette pension lui fût payée à elle au lieu de l'être au mari; il serait pourvu à ses besoins, partant elle ne pourrait pas demander que le mari y pourvoie (1). C'est une application des principes qui régissent la dette alimentaire; il n'y a pas d'obligation de fournir des aliments à celui qui n'est pas dans le besoin (2).

261. L'étendue de la provision alimentaire est aussi réglée d'après les principes généraux. Cela résulte du texte de l'article 268, aux termes duquel la pension alimentaire est proportionnée aux facultés du mari; il faut ajouter, comme le fait l'article 208, et aux besoins de la femme. En général, les aliments comprennent la nourriture et l'entretien. La provision alimentaire due à la femme pendant l'instance en divorce comprend, en outre, la somme nécessaire pour suivre le procès. La loi ne le dit pas d'une manière expresse, elle n'avait pas besoin de le dire. Il va de soi que le premier besoin de la femme demanderesse ou défenderesse en divorce est de pouvoir soutenir son droit.

En matière de séparation de corps, le code de procédure dit que le président ordonnera de remettre à la femme les effets à son usage journalier (art. 878). Bien qu'il n'y ait

(1) Arrêt de Bruxelles du 15 juillet 1848 (Pasicrisie, 1849, 2, 177). (2) Voyez, plus haut, no 69, p. 97.

pas de disposition analogue au titre du Divorce, il est certain que le président peut et doit même, comme juge de référé, prescrire cette mesure d'urgence; et si le président ne l'a pas fait, le tribunal le fera; les habillements font partie des aliments. Quels sont les effets dont le président peut ordonner la remise? Il a été décidé, en matière de séparation de corps, que la femme ne peut réclamer que les effets qui lui sont nécessaires, et non les toilettes de luxe, dont les convenances lui interdisent l'usage dans la position où elle se trouve (1). Nous disons avec M. Debelleyme que c'est là une question de fait que le tribunal décidera selon la condition des parties et les circonstances (2). Cela est surtout vrai en matière de divorce, puisqu'il n'y a pas de texte qui limite le pouvoir du juge.

262. L'article 268 dit que le tribunal fixe la pension alimentaire. Ainsi le président n'a pas ce droit. Cependant il faut apporter une restriction à cette décision. Il se peut que la femme quitte le domicile de son mari au moment où elle présente sa requête au président, et que celui-ci lui indique une maison où elle résidera, par voie de mesure d'urgence; il peut aussi, au même titre, lui accorder des aliments, en usant du pouvoir que lui donne le code de procédure (art. 806) de statuer, dans tous les cas d'urgence, comme juge des référés. Cela est généralement admis (3).

La provision alimentaire peut être demandée en appel, elle peut même être demandée pendant l'instance en cassation, mais non devant la cour suprême, puisque celle-ci ne peut statuer au fond (4). Il va sans dire que la pension doit être payée jusqu'au jour où le divorce est prononcé. La femme rentre alors dans le droit commun; elle n'est plus demanderesse ni défenderesse en divorce.

263. L'article 268 suppose que la femme quitte le domicile conjugal. Si elle y reste et si elle y reçoit les ali

(1) Arrêt de Bruxelles du 26 juin 1849 (Pasicrisie, 1850, 2, 289).

(2) Debelleyme, Ordonnances de référé, t. Ier, p. 335.

(3) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, n° 153.

(4) Arrêt de la cour de cassation de Darmstadt du 13 décembre 1841 (Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1382).

ments, elle ne pourra pas demander de pension alimentaire proprement dite. Mais si le mari lui refusait les sommes nécessaires pour ses besoins personnels et ceux de ses enfants, elle pourrait certes réclamer une provision de ce chef, ainsi que pour les frais du procès (1). Le payement de la pension alimentaire est subordonné à une condition, c'est que la femme réside dans la maison qui lui a été indiquée. Si elle ne justifie pas de sa résidence, le mari peut refuser la provision alimentaire (art. 269). Le refus du mari est-il absolu? Il faut appliquer au payement de la pension ce que nous avons dit de la fin de non-recevoir qui résulte du même défaut de justification. Le tribunal appréciera les raisons que la femme a eues de changer de résidence; si elle n'a pas voulu se soustraire à la surveillance du mari, il n'y a pas lieu d'appliquer l'espèce de peine prononcée par la loi.

264. Le code civil suppose toujours que c'est la femme qui demande la pension alimentaire; il ne dit rien du mari. En effet, le mari conserve la jouissance de ses biens, et en général il jouit des revenus de la femme; régulièrement il n'a donc pas besoin d'une provision. Néanmoins, il se peut qu'il en ait besoin; si les époux sont séparés de biens et si le mari n'a aucune fortune, la femme devra-t-elle payer une pension alimentaire à son mari? Pour les aliments proprement dits, il ne peut pas y avoir de doute; les époux se doivent secours aussi longtemps que le mariage dure (art. 212), par conséquent jusqu'à la prononciation du divorce. Il faut étendre cette obligation à la provision pour frais du procès, car c'est aussi un besoin pour le mari, et la femme doit pourvoir à tous ses besoins si le mari n'a pas de ressources. La jurisprudence est en ce sens (2)..

(1) Arrêt d'Amiens du 4 prairial an XII (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 148).

(2) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, no 151.

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