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pour le mari d'invoquer l'article 270. En effet, quel est le but de cette disposition? C'est de garantir les droits que la femme peut avoir sur le mobilier de la communauté. Demander si le mari peut prendre des mesures conservatoires pour le mobilier qui lui appartient, c'est faire une question absurde. Le propriétaire saisit sa chose là où il la trouve, par une action en revendication; or, le mari est propriétaire du mobilier de la communauté. Cela décide la question. Le mari n'a pas besoin de se prévaloir de l'article 270; il agit comme maître et seigneur.

S VI. De la demande reconventionnelle en divorce.

270. Le code Napoléon ne parle pas de la demande reconventionnelle en divorce. Faut-il en conclure qu'il ne peut y avoir lieu à une demande reconventionnelle en cette matière? Non, le droit des époux résulte des articles du code qui permettent à chacun d'eux d'agir en divorce, quand l'une des causes déterminées par la loi existe. S'ils peuvent le faire par action directe et principale, il n'y a pas de raison pour qu'ils ne puissent le faire par voie de demande reconventionnelle. Toutefois ce principe doit être entendu avec une restriction. En règle générale, quand il y a une cause de divorce contre chacun des deux époux, le divorce peut être prononcé sur la demande de chacun d'eux, et chacun d'eux a intérêt à le demander, à raison des effets que le divorce produit contre l'époux coupable, effets que nous exposerons plus loin. Mais il peut se faire qu'en cas de torts réciproques, le tribunal rejette le divorce. La demande reconventionnelle peut donc aboutir à une fin de non-recevoir contre l'action du demandeur. Quand le tribunal doit-il admettre le divorce et la demande reconventionnelle? Quand doit-il rejeter les deux demandes en appliquant ce qu'on appelle improprement la compensation? C'est une question de fait qui est abandonnée à l'appréciation du juge, comme nous l'avons dit en traitant des fius de non-recevoir (n° 213 et 214).

III.

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271. Dans quelle forme la demande reconventionnelle peut-elle ou doit-elle être faite? D'après le droit commun, il suffit d'un simple acte (code de procédure, art. 337). Mais on sait que les règles générales de procédure ne sont pas applicables en matière de divorce. La demande reconventionnelle est une vraie action en divorce; or, les actions en divorce sont assujetties à des formes spéciales, formes d'ordre public qui doivent nécessairement être observées, parce qu'elles tendent à empêcher le divorce en multipliant les tentatives et les occasions de réconcilier les époux. On objecte que ces tentatives ayant eu lieu sans aboutir, il est inutile de les répéter. Le tribunal de Bruxelles répond, dans un jugement très-bien motivé, que la demande reconventionnelle change complétement la position du demandeur en divorce, il devient défendeur à son tour, et, comme tel, il peut avoir intérêt à ce que le divorce ne soit pas prononcé; il importe donc de mettre de nouveau les parties en présence devant le juge conciliateur (1). Cela décide la question.

272. Quand la demande reconventionnelle doit-elle être formée? Comme il n'y a aucune restriction dans la loi, il faut décider qu'elle peut être faite en tout état de cause; le juge ne peut opposer une fin de non-recevoir qui n'est pas écrite dans les textes. Il y a un arrêt contraire de la cour de Cologne qui a repoussé une demande reconventionnelle parce qu'elle était postérieure au jugement d'admission (2). Cela est tout à fait arbitraire. Il n'y a qu'une fin de non-recevoir qui résulte de la force des choses. Après la prononciation du divorce obtenu par le demandeur, il ne peut plus être question d'une demande reconventionnelle, d'abord parce qu'il n'y a plus d'instance, ensuite parce que l'on ne peut demander la dissolution d'un mariage qui n'existe plus.

(1) Jugement du 12 juin 1852, confirmé en appel le 7 août (Pasicrisie, 1852, 2, 339).

(2) Arrêt du 30 mai 1833 (Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1379). En sens contraire, Arntz, Cours de droit civii français, t. Ier, p. 261, no 498. M. Arntz est le seul auteur qui traite spécialement des demandes reconventionnelles en matière de séparation de corps.

SECTION III. Du divorce par consentement mutuel.

§ Ier. Principes généraux.

273. A s'en tenir aux déclarations faites au conseil d'Etat, le nom de divorce par consentement mutuel répondrait très-mal à la pensée que le législateur a eue en organisant ce divorce. Portalis dit et répète que le mariage n'est pas un contrat ordinaire qui se dissout par le concours de volontés, comme il se forme par le concours de volontés. Il dit et répète que le mariage est contracté dans un esprit de perpétuité. Portalis en conclut qu'il ne peut être brisé par la seule volonté des parties, qu'il ne peut l'être que pour des causes légitimes et vérifiées (1). Aussi la commission chargée de la rédaction d'un projet de code n'admettait-elle pas le divorce par consentement mutuel (2). Qu'est-ce donc que le divorce que le code Napoléon appelle par consentement mutuel?

Portalis répond que le consentement mutuel, tel que la loi l'organise, est la preuve d'une autre cause légitime (3). Quelles sont ces causes? Et pourquoi le législateur n'exiget-il pas qu'elles soient prouvées directement? pourquoi se contente-t-il du consentement mutuel? Il n'y a pas d'autres causes légitimes que celles que le code Napoléon appelle causes déterminées, l'adultère, les excès, les sévices et les injures graves. S'il existe une de ces causes, elle peut être prouvée directement; pourquoi la loi se contente-t-elle de la preuve indirecte, pour mieux dire, de la présomption qui résulte du consentement mutuel? Treilhard l'explique dans l'Exposé des motifs. Il y a deux de ces causes que l'époux lésé ne peut pour ainsi dire pas produire au grand jour de la publicité : ce sont les excès et l'adultère. Le mot vague d'excès cache un attentat à la vie. Comment veut-on qu'un époux allègue une cause de divorce qui, si elle est prouvée, conduira son conjoint à

(1) Séance du 24 vendémiaire an x, no 5 (Locré, t. II, p. 489). (2) Portalis, Discours préliminaire, no 53 (Locré, t. ler, p. 169 et suiv.). (3) Séance du conseil d'Etat du 6 nivôse an x, no 13 (Locré, t. II, p. 531).

l'échafaud? La publicité serait fatale pour l'innocent et pour toute la famille, aussi bien que pour le coupable. Il en est de même de l'adultère; non que la peine soit aussi grave, mais dans nos mœurs, le mari qui accuse sa femme d'adultère se couvre de honte et de ridicule. Ne serait-ce pas un bien si, dans des cas semblables, le divorce pouvait avoir lieu sans éclat et sans scandale? C'est pour obtenir ce résultat que les auteurs du code ont admis le divorce par consentement mutuel. Ils ont tracé un mode de consentement, dit Treilhard, prescrit des conditions, attaché des privations; ils ont vendu enfin, s'il est permis de le dire, si chèrement le divorce, qu'il ne puisse y avoir que ceux à qui il est absolument nécessaire qui soient tentés de l'acheter (1).

274. Le divorce par consentement mutuel trouva beaucoup de contradicteurs au sein du conseil d'Etat. Napoléon le défendit avec insistance. Il avoue que les seules causes qui légitiment le divorce sont celles que le code admet comme causes déterminées. Mais quel malheur ne serait-ce pas de se voir forcé à les exposer, et à révéler jusqu'aux détails les plus intimes et les plus secrets de l'intérieur de son ménage! Dans le système du code, ajoutait le premier consul, le consentement mutuel n'est pas la cause du divorce, mais un signe que le divorce est devenu nécessaire. Ainsi le tribunal prononcera le divorce, non parce qu'il y aura consentement mutuel, mais quand il y aura consentement mutuel; il s'arrêtera à ce signe et n'ira pas jusqu'aux causes réelles qui peuvent avoir amené la rupture entre les époux.

Les partisans du consentement mutuel supposaient que rarement il y aurait une demande en divorce fondée sur l'adultère. Il faudrait pour cela, dit Réal, que l'homme eût perdu toute honte. Qu'arriverait-il donc si l'on repoussait le divorce par consentement mutuel? Ce serait refuser l'usage du divorce à la presque totalité des citoyens; et cependant le divorce est un droit dès qu'il y a une cause

(1) Treilhard, Exposé des motifs, no 21 (Locré, t. II, p. 567).

Séance du conseil d'Etat du 14 vendémiaire an x, no 24 (Locré, t. II, p. 470) et n° 25, p. 476.

aussi légitime que l'adultère. En ce sens, le divorce par consentement mutuel est le complément nécessaire du divorce pour cause déterminée. Si celui-ci est légitime, l'autre est une nécessité (1).

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275. Si la réalité répondait à la théorie, nous pourrions nous arrêter ici le divorce par consentement mutuel serait justifié. Mais les faits n'ont guère répondu aux prévisions du législateur. Les accusations les plus scandaleuses d'adultère, des plaintes plus honteuses encore, ont retenti devant les tribunaux et au grand jour de la publicité. On ne redoute donc pas le scandale, il serait plus vrai de dire qu'on le cherche. La passion de la vengeance l'emporte sur la honte. Qu'est-ce donc que les divorces par consentement mutuel? Ils se font sans qu'il y ait une cause déterminée de divorce, dans le sens légal; la seule et vraie cause qui engage les époux à divorcer, c'est une incompatibilité réciproque d'humeur. On ne peut pas même dire qu'en rompant leur union par la seule raison que la vie commune leur pèse, ils violent l'esprit de la loi, sinon le texte; la cause d'incompatibilité est réellement écrite dans la loi, et elle condamne tout le système.

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L'article 233 porte : « Le consentement mutuel et persévérant des époux, exprimé de la manière prescrite par la loi, prouvera suffisamment que la vie commune leur est insupportable. Pourquoi la vie commune leur est-elle insupportable? Est-ce parce qu'il y a une cause déterminée que les époux tiennent à cacher, des excès, un adultère, une de ces injures honteuses dont nous ne voulons pas souiller notre plume? On le prétend : c'est la doctrine du premier consul, c'est celle des hommes les plus éminents du conseil d'Etat. Mais examinons les conditions qui, diton, doivent révéler qu'il y a une cause péremptoire de divorce. Le mari doit avoir vingt-cinq ans, la femme vingt et un. Ne peut-il pas y avoir, avant cet âge, une cause légitime de divorce? l'adultère? les sévices? les excès

(1) Séance du conseil d'Etat du 24 vendémiaire an x, no 25 (Locré, t. II, P 497).

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