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même? Pourquoi donc ne leur permet-on pas de rompre leur union? Il faut, répond Treilhard, laisser aux époux le temps de se connaître et de s'éprouver; on ne doit pas recevoir leur consentement tant qu'on peut supposer qu'il est une suite de la légèreté de l'âge. Nous le demandons Qu'est-ce que la loi, qu'est-ce que ces motifs de la loi ont de commun avec une cause déterminée de divorce? La vraie cause indiquée par le texte et par l'esprit de la loi, c'est l'incompatibilité d'humeur. Treilhard a même prononcé le mot. Pourquoi le divorce n'est-il plus admis après vingt ans de mariage? Ne peut-il pas y avoir de cause déterminée de divorce après vingt ans? Qui oserait le soutenir? Pourquoi donc le législateur ne le permetil pas? Parce que, dit l'orateur du gouvernement, la longue et paisible cohabitation des époux atteste la compatibilité de leur caractère (1). Donc c'est l'incompatibilité d'humeur que la loi consacre implicitement en admettant le divorce par consentement mutuel.

276. Au conseil d'Etat, on a avoué que l'incompatibilité d'humeur est une cause de divorce, dans le système du code (2), quand elle est réciproque. Qu'est-ce que cette incompatibilité d'humeur ou de caractère? C'est, à vrai dire, le consentement contraire qui vient rompre un contrat fait par le concours de volontés. Quand il y a une véritable incompatibilité d'humeur, dit Emmery, le mariage devient un supplice pour les deux époux; tous deux alors cherchent à s'en affranchir et le consentement mutuel a lieu. Emmery supposait qu'une cause déterminée avait produit cette incompatibilité d'humeur (3). Vaine supposition que démentent le texte même de la loi et les conditions qu'elle établit. Qui ne sait la mobilité des passions humaines, les froissements et les dégoûts qui résultent du manque d'indulgence? Voilà les vraies causes de l'incompatibilité d'humeur. Ce qui revient à dire, comme Tronchet l'a remarqué, que le divorce par consentement

(1) Treilhard, Exposé des motifs, no 23 (Locré, t. II, p. 569). (2) Voyez les observations de Regnier et d'Emmery, séance du 6 nivôse an x, n° 11 (Locré, t. II. p. 528).

(3) Séance du 16 vendémiaire an x, no 13 (Locré, t. II, p. 485).

mutuel ruine la stabilité du mariage (1). En effet, c'est la consécration de la théorie funeste qui assimile le mariage à un contrat ordinaire et permet de le dissoudre, comme il s'est formé, par le seul consentement des parties contractantes. Sans doute, il y a des formalités et des conditions plus difficiles à remplir pour dissoudre le mariage que pour dissoudre un contrat ordinaire; mais il suffit, pour atteindre le but qu'ils ont en vue, que les époux aient une volonté persévérante. En ce sens, et Treilhard l'avoue, il n'y a qu'une différence de nom entre l'incompatibilité d'humeur et le consentement mutuel (2). Vainement dit-on que quand il y a incompatibilité d'humeur, il y a aussi des causes réelles de ce mécontentement réciproque, l'inconduite, les mauvais traitements, les injures. Rien ne garantit qu'il en soit ainsi; il dépend des époux, sans qu'il y ait aucune cause légitime de divorce, de rompre leur union c'est l'observation du ministre de la justice, et elle condamne le système du code (3).

Nous aboutissons à cette conclusion que le divorce par consentement mutuel n'est pas, comme le voulait le premier consul, comme le voulait Portalis, une suite et une dépendance du divorce pour causes déterminées; cela peut être, mais cela peut aussi ne pas être; il peut n'y avoir d'autre cause que l'incompatibilité d'humeur, la légèreté de caractère, l'inconstance des affections humaines. C'est en définitive un divorce sans cause (1), et le divorce sans cause est un attentat au mariage, un attentat à l'ordre social. Nous espérons qu'il disparaîtra un jour de notre code.

§ II. Des conditions.

277. Le code Napoléon exige des conditions rigoureuses pour le divorce par consentement mutuel, et il

(1) Séance du 24 vendémiaire an x, no 11 (Locré, t. II, p. 493).

(2) Exposé des motifs, no 22 (Locré, t. II, p. 568).

(3) Séance du 16 vendémiaire an x, no 12 (Locré, t. II, p. 483).

(4) C'est le mot de Boulay, séance du 24 vendémiaire an x, n 25 (Locró, t. II, p. 499).

prescrit de nombreuses formalités, nous venons de dire dans quel but. Nous connaissons déjà la première condition et le motif que l'on en a donné: « Le consentement mutuel des époux, dit l'article 275, ne sera point admis si le mari a moins de vingt-cinq ans, ou si la femme est mineure de vingt et un ans. » Outre la raison alléguée par Treilhard, on peut ajouter que ce n'est qu'à cet âge que les époux auraient pu se marier sans le consentement de leurs ascendants; il paraît donc juste de ne pas leur permettre de rompre un contrat, alors qu'ils n'auraient pas pu le former. Mais ce motif ne justifie pas plus la condition que l'autre, au point de vue de la théorie du code. Si l'on suppose qu'il y a une cause cachée qui légitime le divorce, peu importe l'âge des époux et leur incapacité.

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Il en est de même de la seconde condition : « Le consentement mutuel ne sera admis qu'après deux ans de mariage (art. 276). » La troisième n'a pas plus de raison d'être dans le système des causes cachées : « Il ne pourra plus y avoir de divorce par consentement mutuel après vingt ans de mariage, ni lorsque la femme aura quarantecinq ans (art. 277). » Le premier consul disait très-bien que le divorce par consentement mutuel ne devait être limité ni par la durée du mariage, ni par l'âge des époux. Que répondit Emmery? « L'incompatibilité d'humeur sera la cause réelle de ces sortes de divorces, et il n'est pas raisonnable de l'admettre après que les époux ont vécu pendant vingt ans en bonne intelligence. » Soit, mais alors il fallait inscrire dans la loi que le divorce avait lieu pour incompatibilité d'humeur. Et même, dans cette doctrine, on ne comprend pas pourquoi la femme âgée de plus de quarante-cinq ans ne pourrait pas divorcer. Cette condition n'a vraiment pas de raison d'être; aussi fut-elle retranchée lors du premier vote (1); elle fut reproduite depuis, on ne sait pourquoi. Quand on consulte les discours prononcés devant le Corps législatif, on ne trouve que des phrases; écoutons Gillet, l'orateur du Tribunat : La loi dit aux époux : Ne dédaignez pas, dans la saison

(1) Séance du conseil d'Etat du 14 nivôse au x (Locré, t. II, p. 538, no 16).

de l'automne, ce qui fit le charme de votre printemps. Où trouverez-vous ailleurs la même constance et de communs souvenirs? Ne rejetez pas le joug auquel vous êtes accoutumés (1). » Voilà bien ce que l'on peut appeler verba et voces, un vain son de paroles.

278. L'article 278 exige une quatrième condition; il porte que dans aucun cas, le consentement mutuel des époux ne suffira, s'il n'est autorisé par leurs père et mère, ou par leurs autres ascendants vivants, suivant les règles prescrites par l'article 150 au titre du Mariage. » Treilhard a raison de dire que cette condition offre une garantie contre l'abus du divorce. « Lorsque deux familles entières, dont les intérêts et les affections sont presque toujours contraires, se réunissent pour attester la nécessité d'un divorce, il est bien difficile que le divorce ne soit pas en effet indispensable (2). » Ces paroles de l'Exposé des motifs nous font connaître l'esprit de la loi, et nous aideront à résoudre les difficultés auxquelles son application donne lieu.

La loi exige aussi le consentement des père et mère ou des ascendants pour la validité du mariage. Mais la différence est grande entre les principes qui régissent la formation du mariage et ceux qui règlent sa dissolution. S'agit-il de contracter mariage, les futurs époux n'ont besoin du consentement de leurs parents ou de leurs ascendants que s'ils sont mineurs, et ce consentement est surtout exigé pour couvrir leur incapacité; le fils majeur de vingt-cinq ans, la fille majeure de vingt et un ans peuvent se marier sans le consentement de leurs ascendants. Il en est tout autrement quand il s'agit de dissoudre le mariage. Ce n'est plus à raison de l'incapacité de leur âge que les époux doivent obtenir le consentement des ascendants, car ils sont majeurs, le divorce ne pouvant avoir lieu que si le mari a vingt-cinq ans et si la femme en a vingt et un. Si la loi veut que les deux familles interviennent, c'est pour avoir une garantie qu'il existe une cause sérieuse qui légitime la dissolution du mariage.

(1) Discours de Gillet. no 13 (Locré, t. II, p. 603). (2) Exposé des motifs, no 23 (Locré, t. II, p. 569).

Le but différent que la loi a dans les deux hypothèses nous explique les principes différents qu'elle suit. Elle exige que les pères et mères des deux époux autorisent le divorce. Que faut-il décider s'il y a dissentiment entre le père et la mère de l'un des époux? Doit-on appliquer l'article 148, aux termes duquel le consentement du père suffit? La cour de Liége l'avait décidé ainsi, mais l'arrêt a été cassé sur le réquisitoire de Merlin (1). C'est une erreur évidente. L'article 278 exige l'autorisation des père et mère, et il n'ajoute pas, comme le fait l'article 148, qu'en cas de dissentiment, l'autorisation du père suffit. Cela décide déjà la question. On ne peut pas dire qu'il y a lieu d'appliquer par analogie la disposition de l'article 148 au cas du divorce, car il n'y a aucune analogie; il y a, au contraire, des différences profondes. Nous venons de les signaler; il faut en ajouter une, qui est capitale : c'est que la loi favorise le mariage, tandis qu'elle n'admet le divorce que comme une triste nécessité. Il y a plus : le divorce par consentement mutuel est encore plus défavorable que le divorce pour cause déterminée, parce qu'il peut cacher un divorce sans cause; c'est pour empêcher ce grave abus que la loi exige le concours des ascendants des deux familles; si la mère refuse d'autoriser le divorce, il faut croire qu'il n'y a pas de cause légitime; partant le divorce doit être repoussé.

Pour les aïeuls, il se présente une question analogue, mais qui est plus douteuse. Aux termes de l'article 150, s'il y a dissentiment entre l'aïeul et l'aïeule de la même ligne, il suffit du consentement de l'aïeul, et s'il y a dissentiment entre les deux lignes, ce partage emporte consentement. Cette disposition doit-elle être appliquée en matière de divorce? On serait tenté de le croire en lisant, dans le texte de l'article 278, que les ascendants vivants doivent autoriser le divorce, suivant les règles prescrites par l'article 150 (2). Or, parmi ces règles se trouvent celles qui concernent le dissentiment, soit de l'aïeul et de l'aïeule,

(1) Arrêt du 3 octobre 1810 (Merlin, Questions de droit, au mot Divorce, § VII, t. V, p. 341).

(2 C'est l'opinion de M. Willequet, du Divorce, p. 196.

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