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même porter l'action devant le tribunal de répression. Tels sont les principes de droit commun. Le code civil y a-t-il dérogé? La question n'est pas sans difficulté. Tous les auteurs se plaignent de la mauvaise rédaction des articles 198 à 200. Il nous semble qu'une mauvaise rédaction ne saurait l'emporter sur les règles essentielles qui régissent l'action publique et l'action civile, à moins que le législateur n'y ait dérogé formellement. Voyons sur quoi porte la dérogation.

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L'article 199 semble n'ouvrir l'action au ministère public que si les époux ou l'un d'eux sont décédés sans avoir découvert la « fraude; » il porte, en effet, que dans ce cas l'action criminelle peut être intentée par le procureur impérial. » Faut-il conclure de là que le ministère public ne peut pas agir du vivant des deux époux? La loi ainsi interprétée n'aurait pas de sens. Pourquoi l'action publique serait-elle suspendue par le silence des parties intéressées? Conçoit-on qu'un crime reste impuni parce qu'il ne plaît pas aux parties intéressées de porter plainte? Cela se fait parfois pour des raisons particulières. Dans l'espèce, y a-t-il une ombre de raison pour suspendre l'action du ministère public tant que les deux époux vivent, pour l'ouvrir quand l'un d'eux vient à mourir? Il est donc impossible que le mot si exprime ici une condition. La loi prévoit le cas ordinaire. Quand les époux ont connaissance du délit qui leur enlève la preuve de la célébration du mariage, ils se hâteront de porter plainte ou d'agir euxmêmes. Après leur mort ou après la mort de l'un d'eux, d'autres intérêts surgissent; alors ce sera au ministère public à prendre l'initiative. Mais de ce que les choses se passent ordinairement ainsi, induira-t-on que le ministère public ne pourra pas poursuivre un faussaire, ou même l'officier civil qui inscrit tous ses actes sur des feuilles volantes, parce que les parties intéressées, négligentes ou ignorantes, n'agissent point?

Le ministère public agit donc quand il veut. A-t-il l'action civile? Non; cette action, dit le code d'instruction criminelle, est exercée par ceux qui ont souffert du dommage causé par le crime (art. 1er). Ici, il y a néanmoins

une dérogation formelle au droit commun. « Si l'officier public, dit l'article 200, est décédé lors de la découverte de la fraude, l'action sera dirigée au civil contre ses héritiers, par le procureur impérial, en présence des parties intéressées et sur leur dénonciation. » Ainsi, dans ce cas, la partie civile dénonce, c'est le ministère public qui agit au civil. C'est une disposition tout à fait exceptionnelle. Quel en est le motif? Le législateur a craint qu'il n'y eût collusion entre les héritiers du coupable et les demandeurs, pour obtenir la preuve d'un mariage qui n'aurait jamais existé. Cette collusion est à craindre de la part des héritiers, qui ne sont passibles que de dommages-intérêts; on ne peut pas la supposer de la part de l'officier civil qui a son honneur à défendre.

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18. Quand et par quelle voie les parties intéressées peuvent-elles agir? Il n'y a pas de difficulté pour les époux. Ils peuvent agir dès qu'ils ont connaissance de l'infraction; ils peuvent agir directement tant que le coupable vit; après sa mort, ils doivent se borner à dénoncer le fait au ministère public qui agira, au civil, en leur présence. C'est ce que disent les articles 199 et 200. Mais que faut-il décider des autres parties intéressées? Si l'on s'en tient aux termes de l'article 199, on doit dire que, du vivant des époux, eux seuls peuvent agir, que l'action des autres parties intéressées ne s'ouvre que lorsque les époux ou l'un d'eux sont décédés sans avoir découvert la fraude. » Cette opinion est enseignée par d'excellents auteurs; ils invoquent non-seulement le texte, mais encore l'esprit de la loi. Tant que les époux vivent, disent-ils, eux seuls ont droit d'agir, parce que leur intérêt domine et absorbe l'intérêt des tiers. Si les époux se taisent, il faut croire qu'il n'y a pas de mariage (1). Cette explication nous paraît peu satisfaisante. D'abord elle suppose que le ministère public ne peut pas agir du vivant des époux : ce qui est inadmissible. Dès lors l'article ne peut plus être interprété dans un sens restrictif. Puis, la raison que l'on donne

(1) Marcadé, Cours élémentaire, t. Ier, p. 512, art. 199, no 3. Zachariæ, t. III, p 224, § 452. Dalloz, au mot Mariage, no 435.

pour justifier l'article 199 n'explique pas pourquoi les parties intéressées peuvent agir quand l'un des époux décède; ne peut-on pas dire de l'époux survivant ce que l'on dit des deux conjoints, que son intérêt absorbe celui des autres parties intéressées? Si l'article 199 ouvre l'action à tous les intéressés, à la mort de l'un des époux, ne serait-ce pas parce que la loi suppose que, du vivant des deux époux, il n'y a pas d'autre partie intéressée qu'eux, tandis que si l'un d'eux vient à mourir, ses héritiers ont intérêt à agir? L'esprit de la loi serait donc d'ouvrir une action. dès qu'un intérêt vient à naître. Dès lors il faut aussi donner l'action du vivant des deux époux, si, par exception, un intérêt existe avant leur décès. Cette interprétation concilie le texte avec les principes généraux; là où il y a un droit, un intérêt à sauvegarder, il doit y avoir une action. On ne peut admettre que la loi dénie l'action en justice que dans le cas où elle la refuse en termes formels.

L'article 199 soulève encore une autre difficulté ; il semble subordonner l'action des parties intéressées et du ministère public à la condition que les époux ou l'un d'eux soient décédés sans avoir découvert la fraude. Ici tout le monde est d'accord pour dire que l'on ne peut pas prendre le texte au pied de la lettre. En effet, la loi n'aurait pas de sens. Il suffit, pour le prouver, de se rappeler que les époux peuvent agir contre l'officier de l'état civil qui a inscrit l'acte de mariage sur une feuille volante. Dans ce cas, il n'y a pas de fraude: en s'attachant à la lettre de l'article 199, il faudrait donc dire que ni le ministère public ni les parties intéressées ne pourraient agir. Pour donner un sens à la loi, il faut commencer par substituer le mot délit au mot fraude. Cela ne suffit pas. Supposez que les époux soient décédés, connaissant le délit, et qu'ils n'aient pas agi. En conclura-t-on que le ministère public et les parties intéressées ne pourront pas agir? Cela est impossible, parce que cela n'a pas de sens. On s'accorde donc à dire que les termes de la loi sont explicatifs (1). Que les

(1) Demolombe, Cours de code Navoléon. t. III, p. 592, no 412.

époux aient connu le délit ou ne l'aient pas connu, l'action des parties intéressées est toujours admissible après la mort des époux, pourquoi ne le serait-elle pas de leur vivant? Si l'on doit interpréter dans un sens explicatif les mots sans avoir découvert la fraude, pourquoi n'entendraiton pas toute la phrase dans ce même sens explicatif (1)?

Reste une difficulté: devant quelle juridiction les parties intéressées intenteront-elles leur action? Elles peuvent se porter parties civiles devant les tribunaux criminels; cela n'est pas contesté. Mais peuvent-elles porter leur action devant les tribunaux civils? Tel est le droit commun, et le droit commun doit recevoir son application dans tous les cas où la loi n'y déroge pas expressément. On peut se prévaloir du texte des articles 198 et 199 pour soutenir qu'il y a dérogation. Dans l'article 198, il est question d'une procédure criminelle; l'article 199 dit que l'action criminelle peut être intentée par tous ceux qui y ont intérêt, et l'article 200 semble dire que l'action ne sera dirigée au civil que si l'auteur du délit est décédé. Nous dirons Oui, régulièrement les choses se passeront ainsi. Mais en faut-il conclure que jamais les parties intéressées ne pourront agir au civil pendant la vie des époux ou après leur mort? Non; le mot action criminelle, dans l'article 199, s'applique à deux catégories de personnes : les parties intéressées et le ministère public. S'agit-il du ministère public, il est évident que son action se porte devant les tribunaux criminels; mais si les parties intéressées agissent, elles peuvent intenter l'action naissant du crime, soit comme parties civiles devant les tribunaux criminels, soit devant les tribunaux civils; dans un sens large, leur action est une action criminelle parce qu'elle naît d'un crime. Dans le sens strict du mot, leur action n'est jamais criminelle, car elles ne peuvent pas poursuivre le crime comme tel. Cela prouve que l'expression ne doit pas être prise dans le sens strict (2).

19 L'article 198 porte que « l'inscription du jugement

(1) Mourlon, Répétitions, t. Ier, p. 360.

(2) La doctrine est divisée. Voyez Dalloz, au mot Mariage, no 437.

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sur les registres de l'état civil assure au mariage, à compter du jour de sa célébration, tous les effets civils, tant à l'égard des époux qu'à l'égard des enfants issus de ce mariage. Encore une mauvaise rédaction; elle semble dire que si une procédure criminelle prouve qu'un mariage a été célébré, le mariage est à l'abri de toute attaque. Če n'est certes pas là ce que le législateur a voulu dire. De quoi est-il question? Des preuves du mariage. Il doit se prouver régulièrement par un acte de célébration, inscrit sur les registres de l'état civil. Par exception, il peut se prouver par une procédure criminelle. Le résultat de cette procédure sera donc, non pas d'assurer tous les effets civils au mariage, mais d'établir qu'il a été célébré et que la preuve a été détruite; ce qui revient à dire que le jugement tiendra lieu d'acte.

Ici se présente une dernière difficulté. A l'égard de qui ce jugement fera-t-il foi? Est-ce seulement à l'égard de ceux qui ont été parties en cause, ou est-ce à l'égard des tiers en général? Au premier abord, on serait tenté de répondre, comme le font plusieurs auteurs, que le jugement, tenant lieu d'acte, doit avoir la même force probante que l'acte; or, les actes de l'état civil font foi à l'égard de la société entière. C'est mal raisonner, à notre avis; la loi ne fait pas cette assimilation et les principes la repoussent. Si le jugement a été porté au civil, il faut appliquer les principes qui régissent la chose jugée; les jugements n'ont d'effet qu'entre les parties, elles n'en ont aucun contre les tiers ni à leur profit. On ne peut donc pas dire que le jugement a la même force probante que l'acte. Qu'importe qu'il soit inscrit sur les registres de l'état civil? Cette inscription ne transforme pas le jugement en acte. Le jugement reste un jugement et soumis, comme tel, aux règles de la chose jugée. Il y a quelque doute quand le jugement a été porté par un tribunal criminel. On pourrait dire que ce jugement est rendu au nom de la société, qu'il doit donc faire foi à l'égard de tous. Sans doute, il fait foi à l'égard de tous, en tant qu'il constate l'existence d'un délit et qu'il applique une peine. Mais en tant qu'il statue sur des intérêts civils, il est régi par les principes

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