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à un tiers, et elle place ce tiers sur la même ligne que l'époux. Il faudrait donc dire que ce tiers est un tuteur. Ainsi il y aurait un tuteur alors que les père et mère vivent!

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Non, celui à qui les enfants sont confiés n'exerce pas la tutelle; il n'exerce pas davantage la puissance paternelle. Ce que nous venons de dire le prouve à l'évidence. Le tribunal peut ordonner, dit l'article 302, que les enfants soient confiés à l'époux coupable ou à une tierce personne. Dira-t-on que ce tiers exercera la puissance paternelle? Ce serait une chose inouïe en droit que la délégation de la puissance paternelle. A vrai dire, il ne s'agit pas de la puissance paternelle. Il s'agit de savoir aux soins de qui les enfants seront confiés : ce sont les termes de l'article 302. Qu'est-ce que la loi entend par soins? L'article 303 nous le dit c'est l'entretien et l'éducation. A qui donc appartient la puissance paternelle? La loi nous le dit encore dans ce même article 303 : « Quelle que soit la personne à laquelle les enfants seront confiés, les père et mère conserveront respectivement le droit de surveiller l'entretien et l'éducation de leurs enfants. » Le mot conserver dont la loi se sert implique qu'il n'y a rien de changé aux droits des père et mère. Ils conservent après le divorce les droits qu'ils avaient avant d'être divorcés, c'est-à-dire la puissance paternelle. A qui cette puissance appartient-elle, d'après notre droit? Au père et à la mère (art. 373). Le divorce enlève-t-il la puissance paternelle à l'époux coupable pour en investir exclusivement l'époux innocent? Nous venons de voir que nos textes ne comportent pas cette interprétation. S'il n'y a aucune déchéance, il faut décider que la puissance paternelle reste aux père et mère.

Est-ce à dire qu'il n'y ait rien de changé à l'exercice de la puissance paternelle après le divorce? L'article 373 dit que le père seul exerce la puissance paternelle pendant le mariage. Cet exercice exclusif attribué an père ne se conçoit plus quand le mariage est dissous par le divorce, et il n'a plus de raison d'être (1). On comprend que le père,

(1) Willequet, du Divorce, p. 261 et suiv. (d'après Grolmann).

ayant, comme mari, la puissance maritale, ait aussi seul l'exercice de la puissance paternelle. Après la dissolution du mariage, toute prédominance du mari cesse, la femme a un droit égal à celui de l'homme. Mais ce pouvoir égal serait impraticable dans l'éducation des enfants, parce qu'elle demande de l'unité dans la direction. Il fallait donc la confier à un seul des époux divorcés. Nous savons d'après quelles règles la loi se décide pour déférer le soin de l'éducation. Elle la confie, en principe, à celui des époux qui est présumé le plus digne, sauf au tribunal à déroger à cette règle pour le plus grand avantage des enfants. Mais l'égalité des époux subsiste en tant qu'elle se concilie avec une bonne éducation. Ainsi chacun des père et mère a le droit de surveillance, et tous les deux supportent aussi les charges.

Telle est la doctrine qui découle des textes et des principes. La plupart des auteurs enseignent que le père conserve la puissance paternelle, alors même que c'est lui l'époux coupable et que les enfants ont été confiés aux soins de la mère (1). Cela est trop absolu. Qu'est-ce que la puissance paternelle, en droit français? Un devoir plutôt qu'un droit; c'est le devoir d'éducation. Or, ce n'est plus nécessairement le père qui exerce ce droit ou qui remplit ce devoir après le divorce; ce peut être la mère, ce peut même être un tiers, et si c'est un tiers, les deux époux ont un droit égal de surveillance; preuve que la puissance paternelle n'appartient plus exclusivement au père. Reste une difficulté. Qui aura le pouvoir de correction? C'est un droit attaché à la puissance paternelle. Dès lors, il est impossible de l'accorder au tiers qui serait chargé du soin des enfants. Un pouvoir qui est attaché à la puissance paternelle ne peut appartenir qu'aux père et mère. Leur droit étant égal après le divorce, on aboutit forcément à la conclusion que chacun pourra l'exercer. Il y a ici une lacune dans la loi : elle ne prévoit pas la difficulté. Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que le droit égal de surveil

(1) Proudhon, t. Ier, p. 525 et suiv. Toullier, t. IV, n° 749. Demolombe, t. IV, p. 611,n 511.

lance emporte le droit égal de correction. Si les enfants sont confiés à l'un des père et mère, ce sera lui naturellement qui exercera le pouvoir de correction. La loi aurait dû le dire, afin de prévenir les conflits.

N° 2. DROITS DES ENFANTS.

295. Les enfants ont des droits sur les biens de leurs père et mère en vertu de la loi : c'est le droit de succession. Ces droits subsistent, dit l'article 304, après la dissolution du mariage par divorce. Il en faut dire autant des droits de succession qui appartiennent aux père et mère sur les biens de leurs enfants. C'est une application du principe général sur les effets du divorce. La loi ajoute que ces droits ne s'ouvrent qu'à la mort. Cela allait sans dire, puisque c'est le droit commun, et il n'y avait aucune raison d'y déroger en cas de divorce.

La loi applique le même principe aux avantages qui sont assurés aux enfants par les conventions matrimoniales de leurs père et mère. Ces droits conventionnels sont également maintenus; ils s'ouvrent de la manière et sous les conditions déterminées par le contrat de mariage; le divorce ne les modifie en rien (art. 234). Une institution contractuelle est faite aux époux par leur contrat de mariage; aux termes de l'article 1082, elle est présumée faite au profit des enfants à naître du mariage, c'est-à-dire qu'ils y sont appelés à défaut des institués. Si le divorce est prononcé, le droit des enfants subsiste. Bien entendu, tel qu'il est consacré par la loi; si les père et mère décèdent avant le donateur, les enfants sont substitués, comme on dit, et ils recueillent les biens, mais seulement à la mort de l'instituant. C'est l'application du droit commun. Quand un droit ne doit s'ouvrir qu'à la mort, il est impossible que le divorce lui donne ouverture (1).

296. Aux termes de l'article 386, l'époux contre lequel le divorce est prononcé perd l'usufruit que la loi donne aux père et mère sur les biens de leurs enfants. C'est une

(i) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 528 et suiv.

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peine que la loi prononce contre l'époux coupable. Supposons que ce soit la femme, le mari qui a obtenu le divorce conservera l'usufruit; dans ce cas, il n'y aura rien de changé aux droits des enfants, à moins que le père ne vienne à mourir avant que les enfants aient atteint l'âge de dix-huit ans; l'usufruit s'éteindrait alors au profit des enfants. Si c'est la mère qui a obtenu le divorce, le père est déchu de son droit; mais à qui l'usufruit passera-t-il? est-ce aux enfants ou à la mère? Nous croyons que c'est à la mère. La loi donne l'usufruit à celui des père et mère qui exerce la puissance paternelle; voilà pourquoi l'article 384 dit que le père a la jouissance pendant le mariage, et après la dissolution du mariage, le survivant des père et mère. Si le mariage se dissout par le divorce prononcé contre le mari, la mère a la puissance paternelle au même titre que le père, c'est même à elle que les enfants sont confiés; elle doit donc avoir l'usufruit de leurs biens. L'article 386 le dit implicitement; en effet, dire que cette jouissance n'aura pas lieu au profit de l'époux coupable, n'est-ce pas dire que l'époux innocent la conserve? C'est un argument tiré du silence de la loi, il est vrai; mais ici il ne fait que confirmer une solution qui découle des principes (1).

§ II. Du divorce par consentement mutuel.

297. Les époux ont dû régler d'avance à qui les enfants nés de leur union seront confiés (art. 280). Cela veut-il dire que les époux peuvent disposer de la puissance paternelle, y renoncer? Non, certes, car la puissance paternello est d'ordre public, et on ne peut pas déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public. Le seul but des conventions dont parle l'article 280 est de désigner celui à qui les enfants seront confiés. L'article 303 se sert de la même expression. Il faut donc

(1) C'est l'opinion de Zachariae (traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 272), suivie par Willequet, du Divorce, p. 270 et suiv. L'opinion contraire est enseignée par Proudhon, De l'usufruit, t. Ier, p. 140, et par les auteurs cités dans Zachariæ, p. 272, note 18.

interpréter l'article 280 par les articles 302 et 303. Les époux conviendront de confier leurs enfants, soit à l'un d'eux, soit à une tierce personne, mais ils conserveront la surveillance de l'entretien et de l'éducation; c'est dire qu'ils conserveront la puissance paternelle, telle qu'elle se trouve modifiée par le divorce. Cela est en harmonie avec les principes. Le divorce doit avoir le même effet, quant à la puissance paternelle, qu'il ait lieu par consentement mutuel ou pour cause déterminée. Il n'y a qu'une différence, c'est que, dans le dernier cas, la cause du divorce étant connue, la loi avait une raison de confier les enfants de préférence à l'un des époux, celui qui est innocent; tandis que, si le divorce a lieu par consentement mutuel, la loi, ignorant qui est le coupable, devait s'en rapporter aux conventions des époux. Sous tous les autres rapports, il n'y a aucune différence entre les deux divorces, en ce qui concerne la puissance paternelle.

Reste à savoir qui aura l'usufruit légal? C'est un point que les époux ont dû régler par leurs conventions, puisque l'article 279 veut qu'ils règlent leurs droits respectifs. Peuvent-ils déroger aux principes généraux sur l'usufruit légal, en ce sens qu'ils y renoncent ou que l'un d'eux y renonce? Il y a un motif de douter; l'usufruit est accordé par la loi à celui qui exerce la puissance paternelle. N'est-ce pas dire qu'il est d'ordre public et que par suite les époux ne peuvent pas y déroger (1)? A notre avis, l'usufruit légal n'est pas d'ordre public, car la loi elle-même permet d'y apporter des modifications par donation ou testament (art. 387); c'est un avantage pécuniaire auquel les époux peuvent renoncer, et qu'en cas de divorce, ils peuvent régler comme ils l'entendent. S'ils n'ont fait aucune convention à cet égard, on reste sous l'empire des principes. généraux. L'usufruit appartient à celui qui exerce la puissance paternelle; or, quand les époux sont divorcés, la puissance paternelle appartient, à titre égal, au père et à la mère; et par suite ils auront droit l'un et l'autre à la jouissance des biens de leurs enfants. Ce droit égal n'est

(1) Arntz, Cours de droit civil français, t. Ier, p. 246, no 475.

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