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comme dans l'espèce jugée par la cour de Bruxelles, l'époux qui a obtenu le divorce vient à mourir avant que le divorce ait été prononcé, il n'y a pas de divorce, partant pas de déchéance encourue à raison du divorce (1).

303. Les termes généraux de l'article 299 donnent lieu à une difficulté plus sérieuse Pour quelque cause, dit la loi, que le divorce ait lieu. » Faut-il appliquer cette déchéance générale au cas prévu par l'article 310? La séparation de corps est prononcée pour cause déterminée; elle dure trois ans; alors l'époux originairement défendeur demande le divorce et le tribunal l'admet. On demande si l'époux défendeur en divorce perdra les avantages que l'autre époux lui avait faits. La négative nous paraît évidente, et d'après le texte et d'après l'esprit de la loi. « Pour quelque cause, dit l'article 299, que le divorce ait lieu, hors le cas du consentement mutuel. » Quelles sont ces causes dont la loi parle en termes si généraux? Le code civil admet deux cas de divorce, l'un pour cause déterminée, l'autre par consentement mutuel (titre VII, chapitre Ier). Les termes pour quelque cause, dont le législateur se sert, impliquent donc un divorce pour cause déterminée, par opposition au divorce par consentement mutuel; la loi n'admet pas la déchéance dans le divorce par consentement mutuel, elle l'admet dans le divorce pour cause déterminée, quelle que soit la cause, car il y en a quatre. En ce sens, notre texte dit: pour quelque cause que le divorce ait lieu. Pourquoi le code n'attache-t-il pas le même effet au divorce par consentement mutuel? Parce que dans ce divorce on ignore quel est l'époux coupable, et c'est seulement contre l'époux coupable que la loi prononce la déchéance. Treilhard nous le dit: il s'est placé au rang des ingrats, il a violé le contrat, il est indigne de conserver les avantages que son conjoint lui avait faits.

Le texte et l'esprit de la loi sont également étrangers au divorce admis en vertu de l'article 310. Ce divorce n'a pas lieu pour cause déterminée. Il est vrai que la sépara

(1) Arrêt de Cologne du 26 novembre 1825 (Belgique judiciaire, t. XVII, p. 1385).

tion de corps a été admise pour cause déterminée, mais quand l'époux originairement défendeur en séparation demande le divorce, il n'y a pas de cause déterminée du divorce, il n'y a d'autre raison que le refus de l'autre conjoint de rétablir la vie commune après trois années de séparation. C'est un cas tout spécial, qui ne rentre pas dans les causes déterminées de divorce. Donc le texte de l'article 299 n'est pas applicable. Que dire de l'esprit? Dans le cas de l'article 310, le défendeur est l'époux innocent, le demandeur est l'époux coupable; et la loi priverait de ses avantages l'époux innocent, elle les conserverait à l'époux coupable! Le but de la disposition est moral, c'est un indigne qu'elle entend frapper; et l'on veut qu'elle récompense l'indigne et qu'elle punisse l'innocent!

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On a essayé de donner une autre interprétation à l'article 299. Il pose une règle générale en disant : « Pour quelque cause que le divorce ait lieu. » A cette règle absoiue, il admet une exception, une seule, le cas du consentement mutuel; il n'en fait pas pour le divorce prononcé en vertu de l'article 310, donc ce divorce est compris dans la règle. Nous avons répondu d'avance à l'objection, en prouvant que la règle générale ne comprend que le divorce pour cause déterminée, et exclut par conséquent le divorce de l'article 310. La cour de Bruxelles et la cour de cassation de Belgique ont encore fait une autre réponse (1). Qui est déclaré déchu des libéralités qu'il a reçues? Estce tout époux défendeur? Non, c'est l'époux contre lequel le divorce aura été admis. Ce qui suppose de nouveau une cause déterminée. Peut-on dire dans le cas de l'article 310 que le divorce est admis contre l'époux défendeur? Non, car le défendeur ne conteste pas, il n'a pas même le droit de contester; dès qu'il refuse de reprendre la vie commune, le divorce a lieu nécessairement. On s'est emparé de ce refus, et on a voulu le transformer en faute, afin de trouver une base morale à la déchéance que l'on veut faire encourir au défendeur. Quoi! l'époux défendeur est

(1) Arrêt de Bruxelles du 19 avril 1864 (Pasicrisie, 1864, 2, 304), confirmé par arrêt de la cour de cassation du 24 mars 1865 (Pasicrisie, 1865, 1, 147).

en faute, alors qu'il a usé d'un droit, en demandant la séparation de corps, parce que ses croyances religieuses lui défendaient de demander le divorce! Il est en faute, alors qu'il obéit encore à sa conscience en voulant maintenir la séparation! Non, il n'y a aucune faute à lui reprocher; donc la déchéance n'a aucune raison d'être ce serait une criante iniquité.

304. La loi dit que l'époux contre lequel le divorce est admis perd tous les avantages que l'autre époux lui avait faits, soit par leur contrat de mariage, soit depuis le mariage contracté. Donc tout ce qui est avantage, c'està-dire libéralité, est sujet à déchéance, mais non les droits que l'époux a comme propriétaire ou comme associé. L'époux qui, en vertu des conventions matrimoniales, a le droit de reprendre sa dot, conserve ce droit, bien que le divorce ait été prononcé contre lui, car la dot est sa propriété et non un avantage. De même, l'époux coupable a droit à sa part dans la communauté, car la loi considère la communauté comme un contrat à titre onéreux (articles 1496 et 1527); donc les bénéfices que l'un des époux en retire ne sont pas des libéralités, partant il n'y a pas lieu à déchéance. Il en serait ainsi quoique la communauté fût universelle et que l'un des époux n'eût rien apporté en mariage. Le contraire a été jugé (1). C'est une erreur, à notre avis. En effet, l'article 1527 applique à la communauté conventionnelle le principe que l'avantage qui en résulte n'est pas une libéralité, donc il ne tombe pas sous l'application de l'article 299.

La loi prononce la déchéance des libéralités que l'époux innocent avait faites à l'époux coupable. Que faut-il dire des donations que celui-ci a reçues d'un tiers? Le texte de l'article 299 décide la question, il ne parle que des avantages que les époux se font l'un à l'autre ; or, les déchéances sont de la plus stricte interprétation; on ne peut les étendre, quand même il y aurait analogie, et dans l'espèce il n'y en a pas. Si l'époux défendeur perd les libé

(1) Arrêt de Cologne du 26 novembre 1843 (Belgique judiciaire, t. II, p. 1653).

ralités qui lui ont été faites, c'est parce qu'il est coupable, mais coupable envers qui? Envers son conjoint. C'est à son gard qu'il a violé le contrat et non à l'égard des tiers lonateurs. La loi du 20 septembre 1792 était plus sévère; elle déclarait l'époux coupable déchu même des donations que les parents de l'autre lui avaient faites en vue du mariage; le Tribunat proposa de reproduire cette disposition; mais sa proposition ne fut pas admise. Puisque la question est tranchée et par le texte et par l'esprit de la loi, il est inutile de répondre aux mauvaises raisons que Delvincourt donne pour l'opinion contraire (1).

L'article 299 applique la déchéance à tous les avantages que l'époux innocent avait faits à l'époux coupable, même à ceux qui ont été faits depuis le mariage contracté. On sait que ces derniers sont toujours révocables (article 1096). Pourquoi donc la loi les frappe-t-elle elle-même de révocation? C'est que le législateur veut punir l'époux coupable; il ne pouvait pas s'en rapporter, pour cette punition, à la faiblesse ou à l'indulgence de l'époux offensé. Cela prouve, quoi qu'on en ait dit, que la disposition est essentiellement pénale.

La déchéance s'applique-t-elle aux dispositions testamentaires? Il nous semble que l'affirmative ne souffre aucun doute. Le texte dit : tous les avantages, il ne dit pas toutes les donations. Il est vrai que le testateur peut toujours révoquer les legs qu'il a faits à son conjoint. Mais il en est de même des donations qu'un époux fait à son conjoint pendant le mariage, ce qui n'empêche pas le législateur de les révoquer. Nous venons d'en dire la raison. Ce qui confirme cette interprétation, c'est que, dans le droit écrit, la révocation atteignait les libéralités testamentaires aussi bien que les libéralités contractuelles, parce que la révocation avait lieu de plein droit en vertu de la loi. Or, c'est au droit écrit que les auteurs du code ont emprunté la disposition de l'article 299; c'est une disposition traditionnelle, donc elle doit être interprétée dans le sens de la tradition. On objecte que dans l'article 300

(1) Proudhon discute longuement la question (t. Ier, p. 522 et suiv.)

la loi parle d'avantages stipulés, ce qui suppose une donation. La réponse est bien simple si l'article 300 parle d'avantages stipulés, c'est pour étendre le droit de l'époux innocent aux donations réciproques, mais ce n'est certes pas pour restreindre la disposition pénale de l'article 299 au profit de l'époux coupable (1).

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305. La déchéance prononcée par l'article 299 doitelle être demandée par l'époux qui obtient le divorce? ou a-t-elle lieu de plein droit? C'est dans ce dernier sens que la question doit être décidée. Le texte dit : « L'époux perdra tous les avantages; il ne dit pas que l'époux qui a obtenu le divorce doit provoquer la déchéance; la loi prononce elle-même cette peine. C'est précisément parce que c'est une peine que la loi ne pouvait pas s'en rapporter à la volonté de l'époux demandeur en divorce. Est-ce à dire que l'époux qui a obtenu le divorce ne puisse pas renoncer au bénéfice de la loi? Il n'y peut certes pas renoncer d'avance; une pareille renonciation serait si évidemment immorale, que nous ne comprenons pas que Proudhon se donne la peine de discuter la question. Mais après que la déchéance est encourue, l'époux innocent peut renoncer au bénéfice de la loi, en ce sens qu'il est libre de disposer, au profit de son ancien conjoint, des biens qui faisaient l'objet de la première libéralité. A vrai dire, ce n'est pas une renonciation, c'est une nouvelle disposition: il faut une nouvelle donation ou un nouveau testament. Les premiers actes ne peuvent pas revivre par une simple renonciation; la loi les révoque; c'est donc comme s'ils n'avaient jamais existé, au moins quant au donataire ou au légataire. Rentrés dans le patrimoine du donateur, les biens n'en peuvent sortir que par une nouvelle donation. Et s'il s'agit d'un testament, le premier étant révoqué, il en faut faire un nouveau.

306. La révocation prononcée par l'article 299 a-t-elle effet à l'égard des tiers? Il est certain que l'époux dona

(1) Arrêt de la cour de cassation du 5 décembre 1849 (Dalloz, 1850, 1,33 : la question est traitée dans tous ses détails par l'avocat général NiciasGaillard); arrêts de Nancy du 13 février 1850 (Dalloz, 1851, 2, 34) et de Lyon du 26 janvier 1861 (Dalloz 1861, 5, 440).

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