Page images
PDF
EPUB

pas se soustraire à cette obligation en violant les autres devoirs que la loi lui impose. Il est dans l'esprit de la loi que l'époux innocent ne perde rien par le divorce, qu'il conserve la position d'aisance que son conjoint lui avait faite (1). La loi fixe cependant une limite au pouvoir discrétionnaire que le juge a, en général, pour fixer la pension alimentaire. Elle ne peut pas dépasser le tiers des revenus de l'époux défendeur (art. 301). La limite est assez arbitraire; il faut l'interpréter d'après les principes généraux qui régissent les aliments; si le tiers des revenus était insuffisant pour fournir aux besoins de l'époux innocent, le tribunal pourrait dépasser ce chiffre. Ce que la loi veut, c'est qu'une fois la subsistance assurée, on n'excède pas le tiers des revenus. Il dépend, du reste, des tribunaux d'apprécier les revenus : il a été jugé qu'il fallait tenir compte non-seulement du produit proprement dit, mais aussi du capital. Rien de plus juste : c'est la fortune du débiteur qui est l'élément décisif (2).

310. La dette alimentaire est, en général, variable; elle augmente ou elle diminue avec les besoins; elle cesse quand les besoins cessent. En est-il de même de la pension alimentaire que l'époux divorcé doit à l'époux qui a obtenu le divorce? La loi ne s'explique que sur la cessation de la pension elle sera révocable, dit l'article 301, dans le cas où elle cesserait d'être nécessaire. Ce n'est donc pas une créance absolue comme les dettes ordinaires. Si elle cesse avec les besoins, pourquoi ne serait-elle pas variable, pourquoi n'augmenterait-elle pas avec ces mêmes besoins, et pourquoi ne diminuerait-elle pas si les besoins diminuent? Il y a un arrêt en sens contraire (3). On dit que la pension alimentaire due en cas de divorce ne peut pas subir de modifications après la prononciation du divorce, parce qu'il n'y a plus aucun lien entre les époux. Ce raisonnement confond, nous semble-t-il, deux hypothèses d'une nature essentiellement diverse; le cas où aucune pension

(1) Ainsi décidé par la cour de cassation, en matière de séparation de corps, arrêt du 30 août 1864 (Dalloz, 1865, 1, 68)

(2) Arrêt de Bruxelles du 17 juillet 1852 (Pasicrisie, 1853, 2, 118). (3) Arrêt de la cour de Besançon du 20 brumaire an XIV.

n'a été fixée lors de l'admission du divorce, et le cas où le tribunal a accordé une pension à l'époux qui l'a obtenu. Dans la première hypothèse, il est certain qu'il n'y a plus. aucun lien entre les époux, ni par conséquent lieu à une action alimentaire. Mais dans la seconde hypothèse, il reste un lien entre les époux divorcés, celui de créancier et de débiteur, donc il peut y avoir action du chef des aliments. L'article 301 le dit : l'époux débiteur peut demander la révocation de la pension alimentaire. Cela prouve que la pension conserve sa nature d'aliments; dès lors, il faut aussi admettre les conséquences. La pension a été fixée à raison du nombre des enfants confiés à l'époux demandeur. Ces enfants viennent à mourir. Faudra-t-il que l'autre époux continue à payer une pension pour l'entretien d'enfants morts? Cela n'a pas de sens, ce serait une dette sans cause, et il ne peut pas y avoir de dette sans cause. Que si la dette peut cesser, si elle peut diminuer, pourquoi n'augmenterait-elle pas, soit avec les besoins de l'époux qui a droit aux aliments, soit avec la fortune de celui qui les doit? Le divorce ne peut pas altérer la nature de la dette alimentaire; dès qu'elle existe avant la prononciation du divorce, elle continue à exister après le divorce, avec les caractères qui lui sont particuliers.

311. Faut-il appliquer les mêmes principes à l'extinction de la dette alimentaire? Nous avons enseigné que la dette alimentaire est personnelle, qu'elle ne passe pas aux héritiers du débiteur (1). La jurisprudence admet que ce principe ne s'applique pas à la pension alimentaire due par l'époux divorcé à son conjoint (2). Nous croyons que cette jurisprudence est contraire aux vrais principes et au texte même du code. Si la dette alimentaire est personnelle de sa nature, il en doit être de même de la pension que l'époux divorcé doit à son conjoint, car la loi l'appelle pension alimentaire. C'est donc une dette d'aliments. On le conteste; on dit que c'est une indemnité qui tient lieu à l'époux

(1) Voyez, plus haut, no 48, p. 71.

(2) Arrêts de la cour de cassation du 2 avril 1861 (Dalloz, 1861, 1, 97), de Rouen du 30 juillet 1862 (Dalloz, 1864, 2, 238) et de Grenoble du 11 juillet 1863 (Dalloz, 1865, 2, 6).

malheureux des avantages de position et de fortune que lui assurait le mariage, et qu'elle tend à réparer le préjudice qu'il souffre du divorce. Nous répondons que le texte dit le contraire. C'est une pension alimentaire que l'article 301 accorde à l'époux innocent; elle a pour objet, dit-il, d'assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce. Il s'agit donc d'aliments et non d'indemnité. Si c'était une indemnité, l'époux demandeur y aurait toujours droit, qu'il soit dans le besoin ou non, car le divorce lui cause toujours un préjudice. Cependant il n'y a pas droit s'il n'est pas dans le besoin. Donc ce n'est pas une indemnité. La quotité de la pension est fixée d'après la fortune de l'époux qui la doit. Conçoit-on une indemnité, c'est-à-dire des dommages-intérêts, qui sont évalués, non d'après le préjudice souffert, mais d'après la fortune du débiteur? Conçoit-on une indemnité qui ne peut pas dépasser le tiers des revenus du débiteur, bien que le préjudice soit plus élevé? Enfin si c'était une indemnité, la créance une fois évaluée entrerait dans le patrimoine de l'époux créancier, et il ne pourrait plus en être privé. Cependant la loi déclare que la pension alimentaire est révocable dans le cas où elle cesserait d'être nécessaire. Conçoit-on une indemnité, due à raison d'un préjudice, qui cesse d'être due quand le créancier n'est plus dans le besoin? La révocabilité de la pension prouve à l'évidence qu'il s'agit d'aliments et non d'indemnité.

On insiste et l'on dit que, d'après le texte de l'article 301, la pension alimentaire est accordée sur les biens de l'autre époux, qu'elle passe donc avec ces biens aux héritiers du débiteur. Nous demanderons si toute pension alimentaire n'est pas accordée sur les biens de celui qui la doit, par cela même que c'est une dette et que toute dette grève les biens du débiteur? Donc toute pension alimentaire devrait passer aux héritiers. L'argument est de ceux qui prouvent trop et qui se retournent contre celui qui les fait valoir. Si toute dette alimentaire, quoique grevant les biens du débiteur, est néanmoins attachée à la personne, pourquoi en serait-il autrement de la pension alimentaire due par l'époux divorcé? Ce que le droit nous dit, la raison le con

firme. Quel est le fondement de la dette alimentaire que la loi impose à l'époux divorcé? C'est qu'il ne peut pas par sa faute se décharger d'une obligation qui résulte du mariage. C'est donc l'obligation de secours, établie par l'article 212, qui subsiste au profit de l'époux innocent. Mais l'obligation ne peut pas avoir plus d'étendue après le divorce qu'elle n'en avait pendant le mariage. La mort met fin aux obligations que le mariage produit; l'époux survivant ne peut pas réclamer d'aliments des héritiers du défunt; pourquoi l'époux divorcé aurait-il ce droit? On en chercherait vainement la raison.

§ II. Divorce par consentement mutuel.

312. Aux termes de l'article 279, les époux ont dû régler leurs droits respectifs avant de demander le divorce par consentement mutuel. Ce divorce produit un effet très-important quant aux biens des époux. Il les prive de la moitié de leur patrimoine (art. 305), qui est acquise de plein droit aux enfants. Nous avons déjà traité cette maFière (no 298).

[blocks in formation]

313. On dit que la séparation de corps est le divorce des catholiques. Cela est vrai en ce sens que les auteurs du code Napoléon l'ont admise par respect pour les croyances des catholiques auxquels leur religion ne permet pas de demander le divorce. Déjà dans le discours où il expose la théorie générale du code civil, Portalis disait que, sous les lois qui autorisent la liberté des cultes, il ne fallait pas placer un homme fidèle à sa religion entre le désespoir et sa conscience (2). Treilhard répéta presque les mêmes paroles dans le discours qu'il prononça devant le Corps législatif pour défendre l'institution du divorce: << La séparation de corps est proposée pour ceux dont la croyance religieuse repousserait le divorce; il ne fallait pas les exposer sans ressource aux malheurs d'un joug trop insupportable, et les laisser entre le désespoir et la mort (3).

[ocr errors]

De là, la doctrine et la jurisprudence ont tiré une conséquence très-grave. Le code ne contient que six articles. sur la séparation de corps. On comble les nombreuses lacunes qu'il laisse par ce principe d'interprétation, que la séparation étant le divorce des catholiques, il faut appliquer par analogie à la séparation les dispositions de la loi sur le divorce, toutes les fois qu'elles peuvent cadrer avec la séparation et que, d'ailleurs, aucun texte exprès n'em

(1) Massol, Traité de la séparation de corps.

(2) Portalis, Exposé général du système du code civil, no 19 (Locré, t. Ier. p. 193).

(3) Discours prononcé dans la séance du Corps législatif du 23 ventôse an x1, no 6 (Locré, t. II, p. 609).

« PreviousContinue »