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la femme certains actes conservatoires, c'est à raison des mauvaises passions dont les époux sont animés. Comment peut-on confondre deux ordres de choses aussi différents?

325. L'article 271 donne à la femme l'action en nullité contre les actes que le mari a faits en fraude de ses droits. Cette disposition est-elle applicable à la séparation de corps? Oui et sans doute aucun, puisqu'elle ne fait qu'appliquer au divorce un principe de droit commun, celui de l'action paulienne. Entendu en ce sens, l'article 271 est même inutile. On ne peut donc en tirer aucun argument contre la femme demanderesse ou défenderesse en séparation de corps.

§ III. Des enfants.

326. Aux termes de l'article 267, l'administration provisoire des enfants restera au mari demandeur ou défendeur en divorce. Il est évident, comme le dit M. Demolombe, que cette disposition est applicable à l'instance en séparation de corps, puisqu'elle ne fait que maintenir la puissance maritale. L'article 267 ajoute : « A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par le tribunal, pour le plus grand avantage des enfants. Cette seconde partie de l'article est-elle aussi applicable à la séparation de corps? L'affirmative est universellement admise. Si nous combattons l'opinion générale, c'est pour l'honneur des principes. On convient que la disposition est une exception au droit commun. Mais, dit-on, cette exception est si morale, si nécessaire, qu'il faut, sans hésiter, l'étendre à la demande en séparation de corps (1). Nous demanderons depuis quand les tribunaux ont le pouvoir de déroger aux lois d'ordre public, au nom de la morale ou de la nécessité. L'arti

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 561, no 451. Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 122. La jurisprudence des cours de Belgique est dans le même sens (arrêts de Bruxelles du 15 juillet 1848 et du 13 août 1868, Pasicrisie, 1849, 2, 177, et 1868, 2,

cle 267 le leur permet en matière de divorce; étendre cette exception à la séparation de corps, c'est faire la loi sous forme d'application extensive. Cela ne se peut pour les exceptions; et certes il n'y en a pas de plus graves que celles qui portent atteinte à la puissance paternelle. Au point de vue des principes, cela décide la question. Quant aux considérations morales que l'on fait valoir contre le père, et en faveur des enfants, nous sommes loin de les contester; mais elles s'adressent au législateur. Chose remarquable! Il s'est occupé des mesures provisoires concernant la femme (code de proc., art. 878), et il ne dit rien des enfants. Ce silence n'est-il pas significatif? N'estce pas dire que la séparation de corps laissant subsister le mariage, le mari conservant la puissance maritale, doit aussi conserver la puissance paternelle? Toujours est-il qu'il faudrait un texte pour autoriser les tribunaux à modifier la puissance paternelle, et c'est pour rappeler les interprètes au respect des textes que nous insistons sur des questions définitivement décidées par la doctrine et par la jurisprudence.

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327. L'article 307 porte que la demande en séparation de corps sera intentée, instruite et jugée de la même manière que toute autre action civile. Cette disposition est une nouvelle preuve que le législateur ne le législateur ne procède pas, en matière de séparation de corps, par voie d'analogie de ce qu'il a décidé en matière de divorce. Il a hérissé la procédure en divorce de difficultés, de lenteurs, d'obstacles, afin d'amener les époux à une réconciliation. Importait-il moins de les réconcilier quand ils demandent la séparation de corps? Si la séparation est le divorce des catholiques, faut-il favoriser ce divorce en facilitant la demande en séparation? Quand il s'agit d'une action en divorce, la loi veut que les débats restent secrets aussi longtemps que

possible, parce que trop souvent la publicité donnée à l'offense, au déshonneur, rendrait toute réconciliation impossible. La même raison n'existait-elle pas et plus forte pour tenir les débats secrets, quand les époux demandent la séparation de corps? On peut toujours espérer la réconciliation des époux séparés, puisqu'ils sont libres de la faire cesser en se réunissant. N'était-ce pas une raison décisive pour entourer l'instruction d'un secret impénétrable? Cependant le législateur rentre ici dans le droit commun; donc ce n'est pas le même esprit qui l'inspire. Ce ne sont plus les exceptions qu'il veut appliquer, ce sont les principes généraux. Que le législateur ait eu raison ou tort de le faire, peu importe, il l'a fait; ce qui témoigne contre l'esprit qu'on lui suppose, et contre le principe. d'interprétation que les auteurs et la jurisprudence suivent, principe que l'on prétend fondé sur l'esprit de la loi.

L'article 307 a été modifié par le code de procédure, qui contient quelques dispositions spéciales dans un titre consacré à la séparation de corps (art. 875-880). Ces dispositions sont empruntées à la procédure en divorce, notamment la tentative en conciliation et les mesures provisoires dont nous avons déjà parlé. Le code de procédure reconnaît donc qu'il y a une certaine analogie entre les deux actions, mais il la limite aux points qu'il définit. Si l'intention du législateur avait été de l'étendre à tous les points, ne l'aurait-il pas dit? Dans l'état actuel de la législation, les articles 875-880 sont des exceptions au principe posé par l'article 307 du code civil, et partant de stricte interprétation (1).

328. La loi ne dit pas devant quel tribunal l'action en séparation doit être portée. On peut appliquer ici par analogie l'article 234, parce qu'il est l'application d'un principe général : la demande doit être formée au tribunal de l'arrondissement dans lequel les époux ont leur domicile. Si la femme est demanderesse, la chose est évidente; elle l'est encore quand le mari est demandeur, il doit porter sa demande devant le tribunal du domicile de

(1) Arrêt de Gand du 9 janvier 1840 (Pasicrisie, 1840, 2, 8).

la femme défenderesse; or, la femme ne peut avoir d'autre domicile que celui du mari. D'après le droit commun, la femme doit être autorisée pour agir en justice. Nous avons déjà dit que, dans l'instance en séparation, l'ordonnance que le président rend, après l'essai de conciliation, tient lieu d'autorisation; l'article 878 du code de procédure dit formellement que le président « autorise la femme à procéder sur la demande, sans distinguer si elle est demanderesse ou défenderesse. On conçoit que l'autorisation, en cette matière, est de pure forme; le président ne peut pas la refuser, puisque la femme use d'un droit que la loi lui donne, et pour l'exercice duquel elle ne pouvait certes pas s'adresser à son mari. Toutefois l'autorisation a des conséquences très-importantes. C'est ici le cas d'appliquer le principe que la femme autorisée à poser un acte juridique, est par cela même capable de faire tous les actes qui en dépendent (1). La femme autorisée à plaider en séparation de corps peut donc faire tous les actes qui sont une conséquence de la demande et par suite du jugement. Il va sans dire qu'elle peut, sans autorisation nouvelle, prendre les mesures conservatoires que la loi admet (2), qu'elle peut par conséquent poursuivre l'exécution du jugement qui lui accorde une provision (3). La femme peut encore poursuivre l'exécution du jugement qui prononce la séparation, dans toutes ses dispositions, celles qui concernent les enfants (+) comme celles qui concernent les biens (5). La jurisprudence est unanime sur tous ces points.

329. D'après le droit commun, les parties doivent comparaître en conciliation devant le juge de paix. L'article 878 du code de procédure les dispense du préliminaire de conciliation, dans le procès en séparation. Cela ne fait aucun doute, malgré une virgule mal placée qui pourrait faire croire le contraire. La raison en est simple. Il y a

(1) Voyez, plus haut, nos 143 et suiv., p. 179.

(2) Arret de Liége du 25 février 1859 (Pasicrisic, 1859, 2, 299). Arrêt de Lyon du 1er avril 1854 (Dalloz, 1856, 2, 241).

(3) Arrêt de Bruxelles du 28 mars 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 109).

(4) Arrêt de la cour de cassation du 8 novembre 1864 (Dalloz, 1865, 1, 388).

(5) Arrêt de Bruxelles du 27 mars 1858 (Pasicrisie, 1859, 2, 242).

une tentative de conciliation devant le président du tribunal, magistrat qui, on l'espère, aura plus d'influence sur les époux. L'époux qui veut se pourvoir en séparation de corps doit présenter au tribunal de son domicile requête contenant sommairement les faits; cette requête est répondue d'une ordonnance portant que les parties comparaîtront devant le président au jour qu'il indique. Les époux sont tenus de comparaître en personne, sans pouvoir se faire assister ni d'avoués ni de conseils (art. 875-877). Aux termes de l'article 878, le président doit faire aux époux les représentations qu'il croira propres à opérer un rapprochement. S'il ne peut y parvenir, il rend une seconde ordonnance portant qu'attendu qu'il n'a pu concilier les parties, il les renvoie à se pourvoir, sans citation préalable au bureau de conciliation.

330. La comparaison de ces dispositions avec celles que le code civil prescrit pour l'instance en divorce, prouve que le législateur se montre moins sévère pour la séparation de corps. Ainsi l'article 236 veut que le demandeur en personne présente sa requête au président, tandis que le code de procédure dit simplement que l'époux demandeur en séparation présentera requête; il a été décidé, par application du principe que nous venons de poser (no 327), que l'on ne pouvait pas appliquer l'article 236 à la séparation de corps (1). L'analogie de position est cependant certaine; si le législateur procédait par analogie, il aurait dû ordonner que l'époux se présente en personne, afin que le président lui fasse, dès ce premier acte de la procédure, les observations qu'il croit convenables. Cette première tentative de conciliation est la plus importante, car une fois l'époux offensé en présence de l'époux coupable, on ne peut guère espérer que le magistrat parviendra à les concilier. Pourquoi, malgré des motifs de décider identiques, le législateur porte-t-il une décision différente? C'est sans doute parce que la séparation laisse subsister le lien du mariage, tandis que le divorce le rompt. N'en faut-il pas conclure, comme nous l'avons fait, que l'on ne

(1) Arrêt de Gand du 9 janvier 1840 (Pasicrisic, 1840, 2, 8).

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