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France, il ne serait pas nul pour défaut de publications (1). Sera-t-il nul si le mariage a été contracté à l'étranger, au mépris des articles 170 et 63? La question est controverséo et elle est douteuse.

§ II. Sanction de l'article 170.

26. Au premier abord, on est tenté de croire que le texte de l'article 170 décide les questions que nous venons de soulever. Il porte en effet : « Le mariage contracté en pays étranger sera valable, pourvu qu'il ait été précédé des publications prescrites par l'article 63, et que le Français n'ait point contrevenu aux dispositions contenues au chapitre précédent. » Dire que le mariage est valable pourvu que telles conditions soient remplies, n'est-ce pas dire clairement que ces conditions sont exigées pour la validité du mariage, et que si elles ne sont pas observées, le mariage sera nul? L'expression pourvu que, dit Merlin, a toujours été entendue comme impliquant une condition; et quand c'est une condition prescrite pour la validité d'un acte, n'en faut-il pas conclure que, la condition manquant, l'acte est nul (2)? Cette opinion a effectivement des partisans (3), et elle a été consacrée par plusieurs arrêts de la cour de cassation (4).

Dans toute autre matière que celle du mariage, nous n'hésiterions pas à admettre la nullité, en présence des termes irritants dont se sert l'article 170. Mais rappelonsnous que les termes, quelque irritants qu'ils soient, ne suffisent pas pour entraîner la nullité du mariage; il faut que la nullité soit prononcée par un texte formel, dans le chapitre IV consacré aux demandes en nullité de mariage. Ce principe, admis par la jurisprudence et la doctrine pour les mariages contractés en France, s'applique-t-il

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 606, no 478.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Bans de mariage, no 2 (t. II, p. 439). (3) Marcadé la soutient vivement (t. Ier, p. 427, art. 170, no 2).

(4) Arrêt de rejet du 8 mars 1831 (Dalloz, au mot Mariage, no 393 1°), et arrét de cassation du 6 mars 1837 (ibid., no 393, 2o).

aux mariages célébrés à l'étranger? C'est en ces termes que la question doit être posée. Si le principe est applicable aux mariages contractés à l'étranger, alors ce n'est pas l'article 170 qui doit décider la difficulté ; ce sont les dispositions du chapitre IV qu'il faudra appliquer. La question présente deux faces d'abord il faut voir si le principe formulé par la cour de cassation est général, s'il concerne tout mariage, sans distinguer le lieu où il a été célébré, ou s'il n'est relatif qu'aux mariages contractés en France. Ensuite, en supposant que le principe soit général, il faut voir si l'article 170 n'y a pas dérogé en établissant un système spécial de nullités pour les mariages célébrés à l'étranger.

27. La première question n'en est réellement pas une. Si la jurisprudence et la doctrine n'admettent d'autres nullités que celles qui sont expressément établies par la loi, c'est qu'à raison de l'importance du mariage, le législateur a pris soin de déterminer lui-même, dans un chapitre spécial, les causes de nullité et les personnes qui peuvent s'en prévaloir. Le principe est donc général de sa nature. Il n'y a pas une ombre de raison pour le limiter aux mariages célébrés en France. Est-ce que par hasard le mariage perd de son importance quand les futurs époux vont se marier à l'étranger? Est-il moins nécessaire de définir avec précision les cas de nullité, les caractères qui les distinguent, les personnes qui peuvent les invoquer? Pourquoi abandonner ces mariages aux incertitudes de la doctrine et de la jurisprudence? Ce sont toujours les mêmes personnes qui se marient, ce sont des Français. Le législateur doit-il veiller avec moins de sollicitude au maintien de leur union, quand, au lieu de se marier en France, elles se marient à l'étranger? Il est inutile d'insister; le lieu où le mariage se célèbre n'a rien de commun avec notre principe; il ne peut donc pas le modifier.

28. Là n'est pas la vraie difficulté. Il s'agit de savoir si le législateur a dérogé au principe, en ce sens qu'il aurait établi un système spécial de nullités pour les mariages contractés à l'étranger. Précisons les cas, la solution sera d'autant plus facile. Le mariage contracté en

France par des majeurs, sans qu'ils aient demandé le conseil de leurs ascendants, est valable; l'empêchement n'est que prohibitif. Est-ce que l'empêchement deviendra dirimant lorsque le mariage est célébré à l'étranger? Si les termes de l'article 170 emportent nullité, il faut répondre affirmativement. Mais pourquoi un seul et même empêchement serait-il prohibitif en France et, à l'étranger, dirimant? L'empêchement est fondé sur le respect que les enfants doivent témoigner à leurs ascendants. Les enfants mineurs doivent-ils plus de respect à leurs ascendants quand ils se marient à l'étranger que lorsqu'ils se marient en France? Est-ce que l'enfant qui brave ses ascendants en France est moins coupable que l'enfant qui va se marier à l'étranger? On dira que là n'est point la question. L'enfant trouvera difficilement en France un officier de l'état civil qui procédera à la célébration de son mariage, puisque le coupable sera puni d'un emprisonnement et d'une amende, tandis que l'officier étranger n'a à craindre ni amende ni prison. Cela est vrai, mais cela n'empêche pas le mariage de rester valable malgré la violation de la Îoi; et la raison pour laquelle la loi maintient le mariage s'applique aux mariages contractés à l'étranger aussi bien qu'à ceux qui sont célébrés en France: c'est que les enfants étant majeurs, le consentement de leurs ascendants n'est plus requis pour la validité de leur mariage. Pourquoi ce consentement deviendrait-il nécessaire quand les enfants se marient en pays étranger? On en chercherait vainement. la raison. Le texte de l'article 170 et les principes résistent à cette interprétation. Que veut l'article 170? Que le Français ne contrevienne pas aux dispositions du chapitre Ier. C'est dire que ces dispositions le suivent à l'étranger; mais elles le suivent avec le caractère qu'elles ont en France: dirimantes, elles restent dirimantes : prohibitives, elles restent prohibitives. Le statut personnel est identique à l'étranger et en France; tel est le principe posé par l'article 3, dont l'article 170 contient une application au mariage. Pour admettre que le statut change de nature, il faudrait une disposition bien précise; il faudrait une raison qui justifiât cette dérogation; or, de raison il

n'y en a pas, et le texte implique le maintien pur et simple du statut (1).

29. S'il n'y a pas nullité, en vertu de l'article 170, pour le cas où le mariage a lieu sans que les enfants aient demandé le conseil de leurs ascendants, il est impossible d'admettre la nullité quand le mariage a été célébré à l'étranger sans avoir été précédé des publications prescrites par la loi. En effet, c'est une seule et même disposition qui soumet le mariage contracté à l'étranger, d'abord à la formalité des publications, ensuite à l'observation des dispositions du chapitre Ier; c'est la même expression pourvu que qui marque les deux conditions; si, malgré cette formule irritante, le mariage reste valable quand il n'y a pas eu d'actes respectueux, il faut dire aussi que cette formule n'emporte pas nullité pour défaut de publications. Il est impossible que l'expression pourvu que implique nullité dans un cas et n'implique pas nullité dans l'autre. Cela décide notre question au point de vue des termes de l'article 170. Reste la raison de la loi.

Ici il y a une différence incontestable entre le défaut de publications et le défaut d'actes respectueux. La formalité des actes respectueux ne change point de nature ni d'importance, quand le mariage est célébré à l'étranger. Il n'en est pas de même des publications. Lorsque le mariage est contracté en France, les publications ne sont que l'un des éléments de la publicité qui doit entourer le mariage; il faut dire plus, c'est un élément secondaire, car il ne concerne pas la publicité de la célébration, qui est seule requise pour la validité du mariage (art. 165, 191 et 193). Quand le mariage est contracté à l'étranger, la loi veut aussi qu'il soit public en France, mais ici le seul élément de publicité ce sont les publications. N'en faut-il pas conclure, avec les premiers arrêts de la cour de cassation, que la formalité des publications est substantielle, que le mariage contracté en pays étranger sans publica

(1) Voyez, en ce sens, l'arrêt de la cour de cassation de France du 18 août 1841 (Dalloz, au mot Mariage, no 394. 1o), et arrêt de la cour de cassation de Bruxelles du 28 juin 1830 (Jurisprudence du XIXe siècle, 1830, 3e partie, p. 234, et Dalloz, au mot Mariage, no 397, 2o).

tions en France, est clandestin et par cela même frappé de nullité (1)?

Non. D'abord, pour qu'il y ait nullité, il faut un texte. L'article 170 ne prononce pas formellement la nullité; il faut donc l'écarter. L'article 191, invoqué par la cour de cassation, parle du mariage qui n'a point été contracté publiquement; il est étranger aux publications; l'article qui suit sanctionne le défaut de publications par une amende. Donc pas de texte qui prononce la nullité d'un mariage contracté à l'étranger sans publications préalables. On prétend que ce texte existe dans l'article 170, et qu'il y a une raison spéciale pour qu'il y ait nullité à défaut de publications quand le mariage est célébré à l'étranger. Il y a sans doute une différence entre les publications, dans le cas où le mariage est contracté à l'étranger et le cas où il est contracté en France, nous venons de la signaler. Mais la différence est-elle si considérable qu'elle doive entraîner la nullité absolue du mariage, en ce sens que le mariage célébré à l'étranger serait nul par cela seul qu'il n'aurait pas été précédé de publications? C'est ce que nous nions et d'après les principes et d'après les textes.

Pourquoi le législateur veut-il que le mariage soit précédé de publications? Pour avertir ceux qui ont le droit de former opposition au mariage: mieux vaut, dit Portalis, prévenir le mal en empêchant la célébration d'un mariage nul, que d'avoir ensuite à le réparer en l'annulant. Les publications qui doivent être faites en France, alors que le mariage est célébré à l'étranger, n'ont pas d'autre but. Quelle doit donc être, en principe, la conséquence du défaut de publications? Faut-il toujours, dans toute hypothèse, annuler le mariage par cela seul que les publications n'ont pas été faites? Ce serait une rigueur excessive, car elle irait contre le but que le législateur s'est proposé. Voilà deux Français qui habitent depuis longues années la Belgique; ils sont majeurs, il n'y a aucun empêchement légal à leur mariage. Ils se marient et

(1) C'est ce que dit la cour d'Angers (arrêt du 12 janvier 1838. dans Dalloz, au mot Mariage, n° 393, 2o).

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