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décidé qu'il y avait lieu d'ordonner le huis clos, dans un cas où la demande en séparation était fondée sur des violences, sévices et outrages. On lit dans l'arrêt que la discussion absolument publique de torts de cette nature ne pourrait qu'offenser les mœurs, sans offrir aucune garantie de plus aux plaideurs; que la présence des parties et de leurs conseils donne aux débats toute la publicité que veut la loi; qu'on ne viole point la loi quand on la concilie avec le vœu de la morale et le véritable intérêt des parties (1). Rien de plus vrai, mais c'est faire la critique du code. Dans la procédure en divorce, le législateur maintient le huis clos, jusqu'à ce que tout espoir de réconcilier les époux soit perdu. Quand les époux demandent la séparation de corps, cet espoir existe toujours; il fallait donc prescrire le huis clos comme règle, au lieu de ne l'admettre que comme exception. Certes, si jamais il y a analogie entre le divorce et la séparation de corps, c'est ici: il faut dire plus, les raisons pour rendre les débats secrets sont plus puissantes quand il s'agit d'une demande en séparation, comme nous l'avons déjà dit. Quant à l'intérêt de la morale publique, invoqué par la cour de cassation, il existe dans toute demande en séparation, et quelle qu'en soit la cause. Voilà donc le législateur qui laisse là l'analogie, alors que la raison et la morale commandaient impérieusement d'en tenir compte!

336. Il y a une analogie incontestable entre la procédure en divorce et la procédure en séparation de corps : c'est que le tribunal n'est pas obligé d'ordonner une enquête, si les faits sont suffisamment prouvés par les documents du procès. L'article 247 le dit formellement pour le divorce; on peut et on doit appliquer cette disposition à la séparation de corps, parce qu'elle ne fait que consacrer un principe général, que le bon sens dicte à défaut de loi. Comme le dit la cour de cassation, le législateur ne fait un devoir aux magistrats de recourir aux voies légales d'instruction, que s'ils ne trouvent pas dans les documents du procès des éléments suffisants de conviction. Lors

(1) Arrêt du 21 janvier 1812 (Dalloz, au mot Séparation de corps, no 319).

III.

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donc que les faits sont établis, soit par la correspondance des parties, soit par leurs aveux, quand ces aveux confirment des faits déjà prouvés, le tribunal peut et doit immédiatement prononcer la séparation de corps (1).

337. Voici une nouvelle différence, et inexplicable, quand on part du principe de l'analogie entre le divorce et la séparation de corps, injustifiable même dans tout système. Les articles 259 et 260 permettent au juge de prononcer une séparation provisoire, pendant l'instance en divorce, année d'épreuve qui, on l'espère, calmera les passions et amènera le rapprochement des époux. On demande si le juge pourrait aussi prononcer une séparation provisoire dans l'instance en séparation de corps? La négative ne souffre guère de doute; la jurisprudence s'est prononcée en ce sens, et il en est de même de la doctrine, sauf quelques dissidences qui n'ont pas trouvé faveur (2). Il n'appartient pas aux tribunaux d'empêcher l'exercice d'un droit; or, dès qu'il y a une cause légale de séparation, c'est un droit pour l'époux de l'obtenir. Toutefois, le sursis, autorisé pour la demande en divorce, aurait dû l'être aussi pour l'action en séparation. Il tend à empêcher le divorce. N'importe-t-il pas d'empêcher aussi la séparation de corps? Vainement dit-on que les époux séparés de corps peuvent se réunir quand bon leur semblera. L'expérience est là pour attester que les séparations, une fois prononcées, sont presque toujours irrévocables. Ce qui prouve que le sursis ne serait pas inutile, c'est que dans l'ancien droit on admettait les séparations provisoires et même les séparations à temps (3). Aussi les auteurs qui enseignent le principe d'analogie regrettent-ils que le code ne permette pas d'appliquer à la séparation de corps ce qu'il autorise pour le divorce (4). N'est-ce pas une nouvelle preuve que le législateur ignore le principe d'analogie qu'on lui attribue, malgré les démentis que lui-même donne à chaque pas à ce prétendu principe?

(1) Arrêt de la cour de cassation du 29 avril 1862 (Dalloz, 1862, 1, 515). (2) Voyez les sources dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 266. (3) Merlin, Répertoire, au mot Séparation de corps, § III, nos 11 et 12. (4) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 587, no 486.

338. L'article 335 veut que l'action en divorce soit suspendue, quand les faits allégués par l'époux demandeur donnent lieu à une poursuite criminelle. Cette disposition reçoit son application à l'instance en séparation de corps, parce qu'elle ne fait que consacrer un principe de droit commun, l'adage que le criminel tient le civil en état. Il faut donc appliquer ici ce que nous avons dit au chapitre du divorce (n° 220).

§ III. Du jugement.

339. Le code de procédure veut que le jugement qui prononce la séparation de corps soit rendu public. Il est inséré sur un tableau exposé pendant un an, dans l'auditoire des tribunaux de première instance et de commerce du domicile du mari, lors même qu'il n'est pas négociant; et s'il n'y a pas de tribunal de commerce, dans la principale salle de la maison commune. Pareil extrait doit être inséré au tableau exposé dans la chambre des avoués ou notaires. Quels sont les motifs de cette publicité? La séparation de corps intéresse les tiers qui sont dans le cas de traiter avec les époux. Bien que le mariage subsiste, la vie commune cesse, et par suite la femme n'est plus mandataire de son mari pour les dépenses du ménage. Chacun des époux vit séparé et a son ménage à lui. Ils sont de plus séparés de biens; d'où suit que le mari n'a plus la jouissance des biens de la femme, tandis que la femme reprend l'administration de son patrimoine, et elle en a aussi la jouissance. La séparation de corps altère donc le crédit du mari, et elle donne à la femme une capacité exceptionnelle. De là la nécessité d'avertir les tiers du changement qui s'est opéré dans la position des époux (code de procédure, art. 880 et 872; code civil, art. 1445).

340. Pour les voies de recours, on suit le droit commun. En matière de divorce, et par dérogation au droit commun, le pourvoi en cassation est suspensif (art. 263). Nous avons dit que cette disposition exceptionnelle est

fondée sur les effets que produit le divorce; le mariage étant dissous, les époux peuvent se remarier; il fallait donc empêcher le divorce admis par jugement de produire ses effets pendant le pourvoi, puisqu'il peut être annulé par la cour suprême. Comme la séparation de corps laisse subsister le mariage, il n'y avait pas de raison pour étendre au jugement qui la prononce l'exception établie par l'article 263. Cela a été jugé ainsi, et, en vérité, il n'y avait pas le moindre doute (1).

341. Le divorce doit être prononcé par l'officier de l'état civil. Il n'en est pas de même de la séparation de corps. Le mariage subsiste; seulement les époux sont autorisés à vivre séparément. Il suffit pour cela qu'il y ait un jugement; il n'y a aucune raison pour faire intervenir l'officier de l'état civil.

§ IV. Des demandes reconventionnelles.

342. Les demandes reconventionnelles sont admises dans l'instance en séparation de corps, comme dans l'instance en divorce (nos 270-272). C'est l'application d'un principe général. L'époux défendeur en séparation peut-il former sa demande reconventionnelle en appel? Non, car il est de règle qu'en cause d'appel il ne peut être formé aucune nouvelle demande, à moins qu'elle ne soit une défense à l'action principale. Or, une demande reconventionnelle n'est pas une simple défense. Cela est de jurisprudence, et cela ne pouvait guère faire de doute, l'article 464 du code de procédure étant formel (2). Il y a cependant quelques arrêts en sens contraire, et M. Demolombe préfère cette dernière opinion. Mais il ne donne pas de raison de cette préférence (3).

343. La demande reconventionnelle formée en première instance donne lieu à une difficulté sur laquelle la

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Séparation de corps, no 307.
(2) Voyez les arrêts dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 298.
(3) Deinoiombe, Cours de code Napoléon, t. IV, no 437.

jurisprudence est très-divisée. Faut-il qu'elle soit précédée de l'essai de conciliation prescrit par le code de procédure (art. 875-878)? Il y a une raison de douter. Les demandes incidentes sont formées par un simple acte, et dispensées par conséquent du préliminaire de conciliation. Or, la demande reconventionnelle en séparation n'est-elle pas une demande incidente? D'ailleurs la tentative de conciliation prescrite par le code de procédure ne tient-elle pas lieu du préliminaire de conciliation devant le juge de paix (1)? Nous admettons que la demande reconventionnelle est incidente; est-ce à dire qu'elle puisse se faire par simple acte, d'après le droit commun (code de proc., art. 337)? Le véritable nœud de la difficulté est dans l'essai de conciliation qui doit précéder la demande en séparation. Est-il vrai qu'elle a le même caractère que le préliminaire de conciliation devant le juge de paix auquel sont soumises les actions ordinaires? On n'a qu'à lire l'article 48 du code de procédure pour se convaincre du contraire. Pour qu'il y ait lieu à ce préliminaire, il faut que les parties soient capables de transiger et que l'objet du litige puisse être la matière d'une transaction. Il s'agit donc, devant le juge de paix, de transiger sur des intérêts pécuniaires. Est-ce que tel est aussi le but de l'intervention du président, quand un époux demande la séparation de corps? Transige-t-on sur la séparation? Non, certes; on ne transige pas sur le mariage, qui est essentiellement d'ordre public. Ainsi, d'après le droit commun, la demande en séparation n'aurait pas même été soumise au préliminaire de conciliation. Si donc la loi veut que les époux se présentent devant le président, c'est pour d'autres raisons, des raisons bien plus graves, des raisons d'ordre public. Le législateur veut que la séparation de corps soit empêchée, parce qu'en fait elle

(1) Voyez, en ce sens, les arrêts cités dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 116. Il faut y ajouter les arrêts de Nancy, du 16 décembre 1859 (Dalloz, 1860, 5, 351, no 4); de Pau, du 19 avril 1864 (Dalloz, 1864, 2, 226); d'Orléans, du 29 juillet 1864 (Dalloz, 1864, 2, 228); de Paris, du 13 janvier 1865 (Dalloz, 1865, 1, 9); d'Agen, du 30 novembre 1864 (Dalloz, 1865, 2, 12); de Bordeaux, du 23 août 1865 (Dalloz, 1866, 2, 90), et d'Aix, du 4 décembre 1865 (Dalloz, 1866, 2, 91). Voyez, dans le même sens, Demolombe, t. IV, p. 553, no 436.

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