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l'effet de la condamnation cesse. Mais tel n'est pas le sens du texte. Quand le code dit que le mari consent à reprendre sa femme, cela implique que les époux rétablissent la vie commune; or, pour cela il faut le consentement de la femme, comme nous le dirons plus loin (n° 357). Lors donc que le mari offre à la femme de la reprendre, elle peut refuser. Dans ce cas, la condamnation sortira ses effets et la séparation continuera. Si la femme accepte l'offre, il y a concours de consentements, et par suite la reclusion cessera ainsi que la séparation de corps.

§ II. Des effets de la séparation de corps quant aux enfants.

350. Le code civil ne dit pas à qui les enfants doivent être confiés, soit pendant l'instance, soit après le jugement qui prononce la séparation de corps. Qué faut-il induire de ce silence? La conclusion juridique serait celle-ci. La séparation de corps, à la différence du divorce, laisse subsister le mariage et tous les effets du mariage, à l'exception de ceux qui tiennent à la vie commune. Or, la puissance paternelle ne tient pas à la vie commune, car l'article 372 dit que le père seul l'exerce pendant le mariage. Le père continuera à l'exercer après la séparation de corps; il peut invoquer le texte de la loi; il faudrait une disposition formelle qui déroge à ce texte, pour lui enlever la puissance qu'il tient de la loi. Où cette exception est-elle écrite? On invoque l'article 302 placé au chapitre du divorce. Mais peut-on appliquer une disposition, qui suppose la dissolution du mariage, à un état de choses où le mariage subsiste? Les dispositions qui dérogent au droit commun s'étendent-elles par voie d'analogie, alors surtout que le droit commun règle une matière d'ordre public, telle que la puissance paternelle?

Zachariæ et ses annotateurs ont senti la puissance de cet argument. Ils disent qu'on ne peut pas appliquer de plein droit à la séparation de corps ce que l'article 302 dit du divorce. En effet, cela serait contraire au principe

fondamental en cette matière, que le mariage subsiste avec tous ses effets, malgré la séparation de corps, à l'exception de la vie commune. Ils concluent de là qu'en règle générale, les enfants doivent être laissés au père. Cependant Zachariæ ajoute qu'il est loisible aux tribunaux de modifier cette règle dans l'intérêt des enfants, en ce sens que le tribunal peut les confier soit à la mère, soit à une tierce personne (1). Mais sur quoi fonde-t-il cette exception? Par une singulière inconséquence, il invoque l'article 302, qu'il vient de déclarer inapplicable à la séparation de corps. Si directement on ne peut pas l'appliquer, comment le pourrait-on par voie d'analogie? La doctrine et la jurisprudence sont plus logiques: elles appliquent l'article 302 parce qu'il y a même raison de décider.

Il est certain que le législateur aurait dû modifier l'exercice de la puissance paternelle quand il y a séparation de corps aussi bien que quand il y a divorce. En effet, la famille est dissoute de fait, sinon de droit. Quand le mariage subsiste avec tous ses effets, la mère concourt à la puissance paternelle par ses conseils, par son influence morale. Lorsque les époux vivent séparés, la mère n'aurait plus aucune action si l'on maintenait au père l'exercice exclusif de l'autorité paternelle. Voilà un premier fait dont le législateur aurait dû tenir compte. Il y en a un second tout aussi considérable. Quand la séparation de corps est prononcée contre le père, il se peut qu'il soit indigne d'exercer un pouvoir que la loi lui avait donné, parce qu'elle présumait qu'il méritait la confiance qu'elle lui témoigne. Laissera-t-on au père une jeune fille, alors qu'il souille le foyer domestique en y installant une concubine? Voilà certes des raisons suffisantes pour modifier le principe posé par l'article 372; évidemment cette règle n'a été faite que pour les mariages où le mari remplit ses devoirs, et non pour ceux où il les viole. Mais le législateur ne l'a pas fait, et ce qu'il n'a pas fait, l'interprète peut-il le faire?

D'après la rigueur des principes, non. Les auteurs, gardiens sévères de la pure doctrine, n'osent pas décider

(1) Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 282, note 12.

III.

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nettement la question. Nous avons entendu les hésitations de Zachariæ; Demante est tout aussi embarrassé. Il accorde bien aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire pour prendre des mesures dans l'intérêt des enfants, mais l'article 302 va plus loin: il veut, il ordonne de confier les enfants à celui des époux qui a obtenu le divorce. Demante ne croit pas que cette préférence obligatoire puisse être transportée à la séparation de corps; il faudrait pour cela un texte, dit-il (1). Ne faudrait-il pas aussi un texte pour donner aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire qu'on leur reconnaît? Qu'on le remarque bien! Il s'agit de modifier un texte de loi, l'article 372. Les interprètes ontils jamais le droit de déroger à une loi? Ils le peuvent, en matière de divorce, en vertu des articles 267 et 302. Mais hors ce cas, où est le texte, où est le principe qui permet au juge de modifier la puissance paternelle, telle que la loi l'organise (2)?

La jurisprudence invoque la nature de la puissance paternelle, puissance de protection qui doit être exercée dans l'intérêt des enfants et non dans l'intérêt du père; d'où suit que les tribunaux doivent avoir le droit de modifier les droits du père, quand le plus grand avantage des enfants l'exige (3). Nous examinerons cette question au titre de la Puissance paternelle; pour le moment, nous répétons notre question : Où est le texte qui autorise les tribunaux à déroger à l'article 372 quand le mariage subsiste? Il y a un argument historique qui aurait pour nous une grande valeur, si les textes permettaient d'en faire usage. Dans l'ancien droit, les tribunaux confiaient les enfants à celui des époux qui leur paraissait le plus digne, ou même à une tierce personne. Certes, il en devrait être de même sous l'empire du code Napoléon, puisque la séparation de corps vient de l'ancien droit. Cela devrait être,

(1) Demante, Cours analytique, t. Ier p. 39, no 31 bis.

(2) 11 y a quelques arrêts en ce sens, mais ils ont été rendus dans les premières années de la promulgation du code civil. Aujourd'hui, la jurisprudence est constante dans le sens contraire (Dalloz, au mot Puissance paternelle, nos 57 et 58).

(3) Arrêt de Caen du 19 juin 1807 (Dalloz, au mot Puissance paternelle, n 58, 1).

oui; mais cela est-il? Le juge n'était pas lié sous l'ancien droit par un texte, comme nous le sommes aujourd'hui par l'article 372. En définitive, toutes les raisons qu'on allègue s'adressent au législateur; nous cherchons vainement une base juridique sur laquelle l'interprète puisse prendre appui. Avouons-le, c'est la puissance des faits qui l'a emporté sur la rigueur du droit.

On a prétendu que l'article 302 ne dérogeait réellement pas à la puissance paternelle, puisque le droit du père reste intact et qu'il s'agit uniquement de la garde des enfants (1). La cour de cassation s'est montrée plus logique. Elle a décidé que l'article 302 s'applique dans toute son étendue à la séparation de corps; d'où suit, selon elle, que les articles 373 et 374 ne reçoivent plus d'application après la séparation. Repousser les articles qui déclarent que le père seul exerce l'autorité paternelle pendant le mariage, et que l'enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la permission de son père, c'est certes porter atteinte au droit du père : il subsiste, mais profondément modifié (2). Le père n'a plus la direction de l'éducation de ses enfants; il peut seulement surveiller leur entretien et leur éducation, comme le dit l'article 302 (3). Il suit du même principe que les enfants doivent être confiés à l'époux qui a obtenu la séparation de corps, car la loi est conçue en termes impératifs : « Les enfants seront confiés. Il n'y a d'exception que si la famille ou le procureur du roi demandent que les enfants soient remis à l'autre époux ou à une tierce personne; le tribunal statue, en ce cas, selon le plus grand avantage des enfants (4). IÍ n'est donc pas juste de dire, comme on le fait d'habitude, que le tribunal a, en cette matière, un pouvoir discrétionnaire. Il a été jugé, et avec raison, que si l'époux demandeur est d'accord avec son conjoint pour confier leur enfant à une maison d'éducation, le tribunal ne peut pas ordonner

(1) Arntz, Cours de droit civil français, t. Ier, p. 254, no 489. (2) Arrêt de la cour de cassation du 17 juin 1845 (Dalloz, 1845, 1, 415). (3) Arrêts de la cour de cassation du 9 juin 1857 et du 13 mars 1839 (Dal· loz, 1857, 1, 401; 1859, 1, 466).

(4) Arrêt de Bruxelles du 10 mai 1859 (Pasicrisie, 1860, 2, 411).

qu'il soit remis à une autre personne (1). Les père et mère conservent, en effet, la puissance paternelle; et s'ils s'entendent, il n'y a plus de raison pour déroger à leur autorité. Cela prouve que le droit d'intervention des tribunaux est tout à fait exceptionnel.

Si l'article 302 est applicable à la séparation de corps, il en doit être de même de l'article 303. Il faut donc appliquer ici ce que nous avons dit au chapitre du Divorce (no 294). La cour de Paris a jugé que les époux séparés de corps doivent supporter les frais d'entretien et d'éducation. de leurs enfants; et que si l'un d'eux les supporte seul, il a un recours contre l'autre, sans qu'on puisse lui opposer la prescription, la prescription ne courant pas entre époux (2). La jurisprudence décide même que l'obligation des parents est solidaire. Sur ce point, nous avons fait nos réserves et nous les maintenons (no 43).

§ III. Effets de la séparation de corps quant aux biens.

351. Aux termes de l'article 311, la séparation de corps emporte toujours séparation de biens. Le régime ordinaire qui règle les droits pécuniaires des époux est celui de la communauté, légale ou conventionnelle. C'est une société de biens qui se forme entre les époux, en même temps que la société des personnes, dont elle est la conséquence. Or, la séparation de corps met fin à la société des personnes, puisque la vie commune cesse; dès lors il est naturel que la société de biens cesse également. Chacun des époux vivant séparément, il est juste que chacun administre ses biens et en jouisse. Cet état de choses constitue ce que l'on appelle la séparation de biens. La loi dit que la séparation de corps entraîne toujours séparation de biens, sans doute pour marquer que, quel que soit le régime des époux, ils seront séparés de biens dès qu'ils sont séparés

(i) Arrêt de la cour de cassation du 6 février 1865 (Dalloz, 1865, 1, 218). (2) Arrêt de Paris du 26 juillet 1862 (Dalloz, 1863, 2, 112).

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