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de corps. En effet, il peut aussi y avoir séparation de biens sous le régime exclusif de communauté et sous le régime dotal (art. 1531, 1563). Elle a cet effet que le mari cesse d'être administrateur et usufruitier des biens de la femme. On conçoit que, la séparation de corps rompant la vie commune, le mari ne peut plus administrer les biens de sa femme, et bien moins encore en jouir; quand il n'y a plus de rapports personnels entre époux, il ne doit plus y en avoir quant aux biens. Si juridiquement la séparation de biens doit être la conséquence de la séparation de corps, il n'en est pas de même au point de vue moral. Le mari perd la jouissance des biens de la femme; cela est très-juste quand la séparation de corps est prononcée contre lui, mais cela est injuste quand la séparation de corps est prononcée contre la femme; celle-ci y gagne alors, et par suite le mari y perd. Il serait donc à désirer que l'époux demandeur obtînt une indemnité quelconque du préjudice qu'il souffre par la faute de son conjoint. La jurisprudence, comme nous venons de le dire, a cherché cette indemnité dans l'article 301; mais cette disposition ne parle pas d'indemnité, elle accorde seulement à l'époux qui obtient le divorce une pension alimentaire, et de l'avis unanime des auteurs, on ne peut pas même l'appliquer à la séparation de corps. Il y a une lacune dans la loi, qu'il n'appartient pas à l'interprète de combler.

352. Nous renvoyons au titre du Contrat de mariage les questions auxquelles donne lieu la séparation de biens qui résulte de la séparation de corps. On demande si la séparation ne produit pas d'autres effets pécuniaires. L'article 386 dit que l'usufruit légal n'a pas lieu au profit de celui des père et mère contre lequel le divorce est prononcé. Cette déchéance doit-elle être étendue à la séparation de corps? La négative est enseignée par tous les auteurs, à l'exception de Delvincourt (1). Cela est évident dans l'opinion que nous professons sur la séparation de corps. La séparation n'a aucune influence, à notre avis, sur la puissance paternelle, donc elle ne peut enlever l'usu

(1) Voyez les sources dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 399.

fruit légal à celui des père et mère qui a l'exercice de cette puissance. D'ailleurs l'article 386 établit une peine contre l'époux coupable; or, les peines ne s'étendent pas d'un cas à un autre, pas même par voie d'analogie. Nous allons voir que la jurisprudence n'admet pas ce principe pour les libéralités dont l'époux défendeur en divorce est déclaré déchu; elle applique cette peine à la séparation de corps, et tel est aussi l'avis de beaucoup d'auteurs. Dans cette doctrine, il faudrait également appliquer à la séparation de corps la déchéance prononcée par l'article 386, car il y a même motif de décider. Vainement veut-on faire une distinction entre les effets du divorce établis au titre du Divorce et ceux qui sont établis dans d'autres titres; cette distinction n'a pas de sens. Si la séparation de corps est le divorce des catholiques, et s'il faut appliquer à la séparation les effets que produit le divorce, en tant qu'ils sont compatibles avec la séparation de corps, il n'y a pas de raison de distinguer entre les divers effets du divorce selon qu'ils sont établis dans tel ou tel titre. C'est une de ces distinctions que l'on imagine pour le besoin de la cause, et qui témoigne contre ceux qui l'invoquent.

On demande si le père conserve l'administration des biens de ses enfants. Il nous semble que la question peut à peine être posée. L'administration est un devoir et non un droit. Et pourquoi la séparation de corps déchargeraitelle le père d'un devoir? Cesse-t-il par hasard d'être père? Même dans l'opinion qui admet l'application à la séparation de corps des articles 302 et 303, on enseigne que le père conserve la puissance paternelle, sauf les modifications que ces dispositions y apportent; dès lors il doit aussi continuer à administrer les biens de ses enfants, et sans distinguer, comme on l'a proposé, s'il a l'usufruit ou s'il ne l'a point (1).

353. L'article 767 porte que, lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent au conjoint non divorcé qui lui survit. On demande si la séparation de corps

(1) Massol, Traité de la séparation de corps, p. 325 et suiv.

fait aussi perdre le droit de successibilité. Non, certes. Si les époux divorcés ne succèdent pas, c'est par la raison qu'ils ne sont plus époux; ils n'ont donc pas la qualité requise pour pouvoir succéder. Les époux séparés restent époux; donc ils doivent succéder, et sans distinguer entre l'époux coupable et l'époux innocent. Cela est admis par tout le monde. Il en résulte cependant une singulière anomalie, dans l'opinion consacrée par la jurisprudence sur la révocation des libéralités faites à l'époux contre lequel la séparation est prononcée. Ces libéralités, fussent-elles révocables, fussent-elles des legs, sont révoquées de plein droit par la loi. Et cette même loi admet l'époux coupable à succéder à son conjoint! S'il est indigne de recueillir un legs, pourquoi est-il digne de recueillir toute l'hérédité?

354. Nous allons aborder cette question, l'une des plus controversées du droit civil. L'article 299 porte que l'époux contre lequel le divorce est prononcé, perd tous les avantages que l'autre époux lui avait faits. Cette disposition doit-elle être appliquée à la séparation de corps? Pendant trente ans, la cour de cassation a jugé que l'article 299 ne pouvait être étendu à la séparation (1). En 1845, les chambres réunies ont consacré l'opinion contraire, qui était celle de la plupart des cours d'appel. Nous maintenons la première doctrine, c'est celle qui a été professée par Merlin et Dupin, procureurs généraux à la cour de cassation, c'est celle qui est suivie par les cours de Belgique. Ecoutons d'abord les motifs que la cour suprême a donnés pendant trente ans à l'appui de cette opinion; nous examinerons ensuite les raisons qui l'ont engagée à changer de jurisprudence.

Dupin a résumé la doctrine suivie jusqu'en 1845 par

la

(1) Les arrêts principaux sont rapportés dans Dalloz, au mot Séparation de corps, no 372. Cette opinion est professée par Merlin, Répertoire, au mot Séparation de corps, § IV, no 5, et Questions de droit, au même mot, § 1; Toullier, t. II, no 781; Duranton, t. II, no 629 et t. VIII, no 572; Favard, au mot Séparation entre époux, sect. II, § 3; Grenier, des Donations, t. Ier, no 220; Zachariæ et ses annotateurs, Massé et Vergé, t. Ier, p. 281, note 9; Demante, t. Ier, no 285; Poujol, sur l'article 950, n° 8; Coin-Delisle, sur l'article 959, nos 4 et 9.

cour de cassation (1). La disposition de l'article 299 est exceptionnelle, sous quelque rapport qu'on la considère. Elle révoque de plein droit des libéralités qui sont irrévocables de leur essence; elle révoque encore de plein droit des libéralités révocables, il est vrai, mais seulement au gré du donateur. La loi les révoque de plein droit en cas de divorce. Ici il y a une nouvelle exception, en ce sens que la loi établit une peine contre l'époux coupable. Or, il est de principe que les exceptions sont de stricte interprétation, et il est de principe que les peines ne s'étendent jamais d'un cas à un autre. Cela suffit pour décider la question. C'est le grand argument de Merlin. « Il n'est pas possible, dit-il, de soutenir sérieusement que l'article 299 révoque de plein droit, par une disposition qui ne porte que sur le cas de divorce, les donations par contrat de mariage entre époux depuis séparés de corps. Pour étendre ainsi la disposition de l'article 299, il faudrait être législateur (2). »

Que répond la cour de cassation dans son arrêt de 1845 (3)? Directement rien. Comment nier ce qui est clair comme le jour? La cour soutient ce que Merlin croyait impossible de soutenir sérieusement, que l'article 299 est applicable à la séparation de corps aussi bien qu'au divorce. Elle part du principe que le chapitre de la Séparation de corps faisant partie du titre du Divorce, et suivant immédiatement celui qui règle les effets du divorce, les dispositions qui concernent ces effets doivent être appliquées à la séparation en tant qu'elles sont conciliables avec le maintien du mariage. La cour invoque, à l'appui de ce principe, la jurisprudence qui applique journellement à la séparation de corps les articles 301, 302 et 303 sur le divorce. Nous avons contesté ce prétendu principe dans tout le cours de notre travail sur la séparation de corps; nous avons établi que le législateur, loin de suivre la règle d'analogie, y déroge à chaque pas, alors qu'il y aurait même motif de décider. On ne peut pas nous opposer

(1) Dalloz, Recueil périodique, 1845, 1, p. 227 et suiv.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Séparation de corps, t. XXX, p. 443, note 2. (3) Arrêt du 23 mai 1845 (Dalloz, 1845, 1, 230).

les articles 301-303, nous en avons repoussé l'application à la séparation de corps, nous avons constaté que les tribunaux ne l'ont admise que sous l'empire de la nécessité. Mais il ne s'agit pas de notre avis; il faut nous placer sur le terrain de l'opinion générale et écouter ce que Dupin a répondu d'avance à l'argumentation de la cour suprême.

La cour de cassation prétend que, dans l'esprit de la loi, car le texte ne le dit certes pas, les effets du divorce et de la séparation de corps sont identiques, dans tous les cas où ils se concilient avec le maintien du mariage. S'il en était ainsi, le législateur n'aurait jamais dû déclarer applicables à la séparation de corps des dispositions qui règlent les effets du divorce, alors qu'il y a lieu de les appliquer; et il aurait aussi dû, en toute hypothèse, mettre la séparation sur la même ligne que le divorce, en tant qu'il n'y a pas incompatibilité. Est-ce là ce qu'il a fait? Nous n'avons que six articles sur la séparation de corps. Eh bien, l'un de ces articles (308) reproduit la disposition de l'article 298. Si la femme adultère est punie quand l'adultère est la cause du divorce, n'allait-il pas de soi que la femme séparée de corps, et coupable d'adultère, doit subir la même peine? Certes, ici il y a identité de raison, et le maintien du mariage ne s'oppose évidemment pas à la punition de la femme adultère. Pourquoi donc le législateur répète-t-il dans l'article 308 ce qu'il a dit dans l'article 298? Ne serait-ce pas parce qu'il suit un principe tout contraire à celui qu'on lui attribue? Toutes les fois que la loi veut étendre à la séparation les effets du divorce, elle prend soin de le dire. Ainsi l'article 1441 dit que la communauté se dissout par le divorce et par la séparation de corps; puis l'article 1451 répète que la dissolution de communauté opérée par le divorce ou par la séparation de corps, ne donne pas ouverture aux droits de survie de la femme. L'article 1518 applique ce principe au préciput, en répétant de nouveau: Lorsque la dissolution de la communauté s'opère par le divorce ou par la séparation de corps, il n'y a pas lieu à la délivrance actuelle du préciput. Si de plein droit ce qui est dit du divorce s'applique à la sépara

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