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prudence est divisée. La plupart des cours statuent sur les dépens, en ce sens qu'ils les compensent (1). Nous croyons avec la cour de Caen (2) que les tribunaux ne peuvent pas plus régler les dépens que décider sur le fond. En effet, le code de procédure veut (art. 130) que les dépens soient supportés par la partie qui succombe. Or, comment savoir qui aurait succombé dans l'instance en séparation? Il faudrait pour cela continuer l'instance; or, elle est éteinte. Donc personne ne succombe, et partant il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 130.

SECTION VI. Cessation de la séparation de corps.

357. La séparation de corps cesse du moment où les époux sont d'accord pour rétablir la vie commune. Le code ne le dit pas, mais il n'avait pas besoin de le dire. En effet, le jugement qui prononce la séparation de corps. ne condamne pas les époux à vivre toujours séparés, il leur en donne seulement le droit. Or, ils sont libres de renoncer à un droit qui n'est établi qu'en leur faveur. Loin d'empêcher la réunion des époux, le législateur la désire et l'espère. Aussi ne la soumet-il à aucune condition, et c'est la raison pour laquelle il n'en parle pas. Il n'y a que l'un des effets de la séparation de corps qui ne peut cesser que sous certaines conditions, c'est la séparation de biens. Voilà pourquoi le code en parle au titre du Contrat de mariage (art. 1451).

L'on a soutenu que le consentement de l'époux qui a obtenu la séparation suffit pour la faire cesser (2). Nous n'hésitons pas à dire que c'est une erreur. Le jugement prononce la séparation de corps entre deux époux. Qu'est-ce à dire? Que les deux époux sont séparés de corps, c'est-àdire que chacun a le droit de vivre séparément. Or, si

(1) Arrêts de Paris du 5 avril 1864, de Rouen du 20 août 1863 et de Metz du 30 août 1864 (Dalloz, 1865, 2, 119).

(2) Arrêt de Caen du 3 mai 1864 (Dalloz, 1865, 2, 119).

(3) Cette opinion a pour eile un grand nombre d'auteurs qui sont cités daus Dalloz, au mot Séparation de corps, no 407.

nous pouvons renoncer à un droit qui est établi en notre faveur, nous ne pouvons certes pas priver, par cette renonciation, un tiers du droit qui lui appartient. Cela décide la question. Sans doute, il importe de mettre fin à la séparation et de rétablir la vie commune. Mais serait-ce rétablir la communauté de vie et de sentiments que de forcer l'un des époux à se réunir à son conjoint? Ce serait une singulière réconciliation que celle qui se ferait malgré l'un des époux. Que cet époux soit le coupable, peu importe; il n'en a pas moins le droit de vivre séparé (1).

Il y a cependant un cas dans lequel la séparation peut cesser malgré l'un des époux, et, chose singulière, c'est l'époux coupable auquel la loi donne le droit de mettre. fin à la séparation en demandant le divorce. Nous avons expliqué l'article 310 au chapitre du Divorce (n° 198200, 303).

358. Quand les époux se réunissent, le jugement qui a prononcé la séparation perd-il tous ses effets? Il faut distinguer oui, pour ce qui concerne les époux et les enfants: non, en ce qui concerne les biens. La vie commune est rétablie, le mariage produit de nouveau tous ses effets; le mari reprend l'exercice de la puissance maritale, et le père reprend la plénitude de la puissance paternelle. Il n'en est pas de même de la séparation de biens. Il suffit, à la vérité, du consentement des époux pour rétablir la communauté, mais il faut qu'ils observent les conditions. et les formes que la loi prescrit (art. 1451). Nous reviendrons sur ce point au titre du Contrat de mariage.

Le rétablissement du mariage ne porte pas obstacle à ce que l'un des époux demande la séparation de corps ou le divorce, s'il survient une nouvelle cause pour laquelle la loi autorise soit le divorce, soit la séparation. Il y aurait lieu, en ce cas, d'appliquer par analogie l'article 273, qui permet de faire usage des anciennes causes pour appuyer la nouvelle demande, lorsque la première a été éteinte par la réconciliation. En effet, le rétablissement de la vie

(1) Demolombe, t. IV, p. 650, no 352. Marcadé, t. Ier, p. 616 et suiv., n° 5 de l'article 311. Zacharia, t. III, p. 378, note 4, édition d'Aubry et Rau.

commune s'est opéré par une réconciliation; on peut donc appliquer les principes qui régissent la réconciliation; ce que le législateur a fait dans le cas de l'article 273, l'interprète peut le faire dans tous les cas, puisqu'il s'agit de principes généraux.

TITRE VII.

DE LA PATERNITÉ ET DE LA FILIATION (1).

CHAPITRE I.

PRINCIPES GENÉRAUX.

359. On entend par filiation le lien qui rattache l'enfant à son père et à sa mère. Ce lien peut être légitime ou naturel. De là la distinction de la filiation légitime et de la filiation naturelle. Ces deux filiations s'établissent d'une manière différente, et elles ont des effets différents. La filiation légitime donne seule à l'enfant une famille et les droits importants qui en dérivent, le nom, les ancêtres, l'honorabilité, puis les droits pécuniaires tout ensemble et moraux, le droit à l'éducation, aux aliments, à l'hérédité. Il n'y a donc rien de plus important pour l'enfant que sa filiation légitime; sa destinée tout entière en dépend. Quels sont les éléments qui constituent cet état, et comment, en cas de contestation, peut-il les prouver?

La filiation légitime constitue la légitimité. Ce bienfait est un effet du mariage. C'est le mariage seul qui produit des enfants légitimes. Est-ce à dire que tous les enfants

(1) Richefort, De l'état des familles, 2 vol.

qui naissent pendant le mariage soient des enfants légitimes? Non, il se peut que l'enfant né pendant le mariage de ses père et mère ne soit pas légitime; il se peut aussi qu'il le soit, s'il naît après la dissolution de leur union. La légitimité est un fait complexe. Il faut avant tout, pour que l'enfant soit légitime, que ses père et mère soient mariés, puisque en dehors du mariage la légitimité ne se comprend pas. Il faut ensuite qu'il soit issu de l'homme et de la femme qu'il prétend être ses père et mère, et qu'il ait reçu le jour pendant leur union. De là suit que l'enfant qui veut établir sa légitimité doit prouver d'abord le mariage de l'homme et de la femme dont il se dit issu. Il doit ensuite prouver sa filiation, c'est-à-dire qu'il est né de telle femme qu'il dit être sa mère, ce que nous appelons la filiation maternelle; qu'il est né de tel homme, le mari de sa mère, ou la filiation paternelle. Cela ne suffit pas; comme c'est le mariage qui seul donne la légitimité, l'enfant doit prouver qu'il a été conçu pendant le mariage de ses père et mère. Toutefois, nous verrons que, par une fiction légale, la légitimité appartient aussi à l'enfant qui naît pendant le mariage de ses père et mère, bien qu'il ait été conçu avant la célébration de leur union. Enfin, s'il est constant, à la vérité, qu'un enfant est issu de deux personnes mariées, mais que l'on conteste que le demandeur soit cet enfant, il doit prouver son identité.

360. Comment se prouvent ces divers éléments de la légitimité? Au titre du Mariage, nous avons dit comment se prouve le mariage, quand c'est l'enfant issu du mariage qui doit faire cette preuve (1). Parmi les autres faits qui constituent la légitimité, il y en a que l'on peut prouver d'une manière directe, comme on prouve toute espèce de faits. Telle est l'identité; ce sont certains faits de possession d'état qui l'établissent; et ces faits n'étant pas juridiques de leur nature, mais des faits purs et simples, la preuve en peut être fournie par témoins; c'est l'application des principes généraux qui régissent la preuve testimoniale. La filiation maternelle est encore un fait susceptible

(1) Voyez, plus haut, nos 1-18.

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