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d'être prouvé directement; en effet, la maternité se manifeste par un signe extérieur, la grossesse, et par un fait matériel, l'accouchement, signe et fait que le témoignage des hommes peut attester avec le même degré de certitude que tout autre fait. En ce sens, les jurisconsultes disent que la mère est toujours certaine; elle est certaine parce qu'elle peut être prouvée avec la certitude qui est la base des jugements (1). Cela est surtout vrai de la maternité légitime. Elle se produit en quelque sorte avec une évidence éclatante; car le plus souvent, presque toujours, les parents sont heureux de la manifester et de proclamer leur bonheur, en lui donnant la plus grande publicité. De là la force probante que la loi attache à l'acte de naissance, preuve par excellence de la filiation maternelle.

D'Aguesseau dit que rien n'est plus douteux que cette preuve, parce que rien n'est plus facile à altérer, à dissimuler qu'un acte de naissance. En effet, il se dresse sur une simple déclaration, et qui garantit que le déclarant dit la vérité? D'Aguesseau ajoute que c'est presque l'unique preuve que l'on puisse avoir de l'état des hommes; que, si on la rejetait, tous les fondements de la société civile seraient ébranlés; quelque douteuse donc, dit-il, que soit cette preuve, tout serait encore plus douteux si on ne l'admettait pas (2). L'illustre chancelier semble dire que c'est la nécessité seule qui a fait accorder une si grande foi à une preuve qui par elle-même est si douteuse. Non, c'est une probabilité telle, que la loi a pu hardiment y attacher la certitude. Ce n'est pas toute filiation maternelle qui s'établit par acte de naissance, c'est seulement la maternité légitime; c'est-à-dire que lorsque l'enfant produit son acte de naissance pour prouver sa filiation maternelle, le mariage est constant. C'est donc dans cette hypothèse qu'il faut se placer pour voir si la preuve résultant de l'acte de naissance est aussi douteuse que semble le dire d'Aguesseau. Les parents auraient-ils quelque intérêt à cacher, à déguiser, à altérer la preuve qui atteste

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Semper certa est mater. » L. 5. D., II, 4 (de in jus vocando). (2) D'Aguesseau, plaidoyer XLVII (Euvres, t. IV, p. 271 et suiv, de l'édition in-4°).

leur bonheur? Ce n'est que dans des cas excessivement rares que la déclaration de naissance ne sera pas conforme à la réalité. Ce qui le prouve, c'est la rareté des monuments que la jurisprudence nous offre sur cette matière. Nous pouvons donc dire que la filiation maternelle repose sur une preuve qui, d'après toutes les probabilités, est l'expression de la vérité.

Il est rare que cette preuve fasse défaut; quand cela arrive, la loi en admet une autre tout aussi certaine, la possession d'état. L'orateur du Tribunat, Duveyrier, cite avec complaisance les paroles enthousiastes qu'un de nos maîtres a écrites sur la possession d'état : « De toutes les preuves, dit Cochin, qui assurent l'état des hommes, la plus solide et la moins douteuse est la possession publique. L'état n'est autre chose que la place que chacun tient dans la société générale et dans les familles; et quelle preuve plus décisive peut fixer cette place, que la possession publique où l'on est de l'occuper depuis qu'on existe? Les hommes ne se connaissent entre eux que par cette possession. On a connu son père, sa mère, son frère, ses cousins, on a été de même connu d'eux. Le public a vu cette relation constante. Comment, après plusieurs années, changer toutes ces idées et détacher un homme de sa famille? Ce serait dissoudre ce qui est pour ainsi dire indissoluble; ce serait séparer les hommes jusque dans les sociétés qui ne sont établies que pour eux (1).

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Le plus souvent, l'acte de naissance et la possession d'état concourent; dans ce cas, la certitude devient absolue, autant que l'homme, être faillible, peut parler de vérité absolue (art. 322); par suite, le législateur n'admet plus aucune contestation sur l'état de celui qui a cette double preuve. Sans doute, il peut y avoir erreur, malgré le concours des preuves les plus puissantes. Mais cette erreur est si peu probable que le législateur n'a point voulu qu'elle devint l'occasion d'un procès qui ébranlerait les positions les plus assurées. Ici nous rencontrons un principe qui guide le législateur dans la solution des difficultés si

(1) Cochin, Euvres, t. I, p. 590, édition in-4°

délicates que présente la filiation. Il veut consolider l'état des personnes; quand il a pour lui une probabilité qui l'assure, il s'y tient, au risque même de se mettre en opposition avec la réalité des choses; il préfère, au besoin, les fictions à la vérité, qu'il est si difficile de découvrir dans le conflit des intérêts et des passions.

Nous avons donc une base solide sur laquelle s'appuie la filiation maternelle, les actes de naissance et la possession d'état. Il peut arriver que ces deux preuves fassent défaut; la loi admet, en ce cas, par nécessité, la preuve testimoniale, en l'entourant de garanties qui en préviennent le danger. Voilà certes une preuve on ne peut pas plus douteuse. Mais aussi ce n'est que dans des circonstances excessivement rares qu'il y a lieu d'y recourir. C'est à peine si l'on en trouve un exemple dans les annales judiciaires. Cette preuve si exceptionnelle n'est pour ainsi dire que de théorie. Elle n'ébranle donc pas la certitude qui, en établissant la filiation maternelle, devient la base de l'état des familles.

361. Quand de la filiation maternelle on passe à la filiation paternelle, il semble que la certitude fait place à l'incertitude la plus absolue. Le plus ancien des poëtes dit que personne ne peut connaître son père, et encore moins prouver la paternité. La paternité est un mystère que la science et les investigations de la justice ne sauraient pénétrer. C'est donc inutilement, dit un magistrat, que l'on cherche des preuves véritables, des preuves certaines et authentiques, dans un sujet qui n'admet tout au plus que des probabilités et des présomptions (1). Est-ce à dire que la filiation paternelle reste toujours incertaine et qu'on ne puisse l'établir que sur de vagues vraisemblances? Non, elle n'est incertaine qu'en ce sens qu'elle ne se peut prouver directement, tandis que la maternité est certaine parce qu'elle comporte une preuve directe. Mais il y a une preuve indirecte, qui parfois est la plus forte des preuves, ce sont les présomptions, c'est-à-dire les conséquences que

(1) Muraire, premier président de la cour de cassation, Eloge de Target. prononcé à l'audience du 13 août 1807 (Merlin, Répertoire, au mot Légi timité, sect. II, t. XVII, p. 400).

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la loi tire d'un fait connu à un fait inconnu (art. 1349). Bien que cette preuve ne consiste que dans un raisonnément fondé sur des probabilités, la certitude qui en résulte est telle, que certaines présomptions n'admettent pas la preuve contraire (art. 1352). Eh bien, la paternité s'établit sur une présomption aussi vieille que le mariage, aussi forte que la moralité. Les auteurs du code civil en ont emprunté la formule au droit romain (1): « L'enfant conçu pendant le mariage, dit l'article 312, a pour père le mari. Est-ce là une simple vraisemblance, une probabilité douteuse? Non, certes, car elle a pour fondement le sentiment du devoir que Dieu a gravé dans notre conscience. La femme doit fidélité à son mari, ce devoir elle ne peut le violer que par un crime. Est-ce la fidélité qui forme la règle presque universelle, ou est-ce l'adultère? Nous ne posons la question que pour entendre la protestation de la conscience qui se révolte contre la seule supposition que le crime règne en souverain au sein des familles. Non, c'est l'affection, et, à défaut d'affection, le devoir. Cette base-là est aussi solide que les écritures authentiques. Le père est donc, en réalité, aussi certain que la mère. Ecoutons un instant d'Aguesseau : « Rien n'est plus fort que cette présomption. La loi ne présume jamais le crime; toujours favorable à l'innocence, quand un même effet peut avoir deux causes, l'une injuste, l'autre juste et légitime, elle rejette absolument la première pour s'attacher uniquement à la dernière. Ainsi quoiqu'il puisse arriver qu'un enfant conçu dans le temps du mariage soit redevable de la vie au seul crime de la mère, cependant, parce qu'il se peut faire aussi qu'il ne la doive qu'à l'union honorable d'une femme avec son mari, on présume toujours que la mère est innocente et le fils légitime, jusqu'à ce que le contraire soit démontré par des preuves évidentes (2).

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La présomption établie par l'article 312, dérivant du devoir de fidélité, ne peut être invoquée que par l'enfant

(1) Pater is est, quem nuptiæ demonstrant, L. 5, D., II, 14 (de in jus vocando).

(2) D'Aguesseau, plaidoyer XXXIV (Œuvres, t. III, p. 180, 181).

qui est conçu pendant le mariage, peu importe du reste l'époque de sa naissance, quand même il naîtrait après la dissolution du mariage: conçu pendant le mariage, il a pour père le mari. Par contre, s'il est conçu avant le mariage, bien qu'il naisse pendant le mariage, il ne peut invoquer la présomption, car il a été conçu à une époque où aucun lien légal n'existait entre ceux qui lui ont donné le jour. Mais ici reparaît le principe qui guide le législateur en matière de filiation: il est possible, il est même probable que l'enfant conçu avant le mariage et né pendant le mariage appartienne à celui qui a épousé la mère. De cette probabilité, la loi fait une présomption en faveur de l'enfant, et par suite elle le répute légitime. Cette légitimité est, à vrai dire, fictive. La loi établit la fiction par faveur pour la légitimité; il faut donc l'accepter avec toutes ses conséquences.

La présomption de l'article 312 suppose que l'enfant est conçu pendant le mariage. Mais comment peut-on prouver que la conception a eu lieu pendant le mariage, alors que l'enfant naît quelques mois après la célébration ou quelques mois après la dissolution du mariage? Ici nous sommes encore une fois en plein mystère. Il est impossible de déterminer avec certitude le moment de la conception. Si la grossesse avait une durée fixe, toujours la même, il serait facile de préciser le jour de la conception, mais tout le monde sait que cela n'est point. Depuis que la médecine est devenue une science, elle a constaté, à la vérité, que la grossesse avait une durée ordinaire de neuf mois, mais elle a aussi observé que cette règle recevait des exceptions, en ce sens qu'il y a des naissances précoces, l'enfant venant à naître avant le terme de neuf mois, et des naissances tardives, l'enfant venant à naître après ce terme. Dès lors l'époque où l'enfant est conçu ne saurait être fixée avec quelque certitude, une différence d'un jour suffisant pour entraîner la légitimité ou l'illégitimité de l'enfant. Dans cette incertitude, que devait faire le législateur?

La loi veut assurer l'état des personnes; elle ne pouvait donc pas, elle ne devait pas s'en rapporter à la pru

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