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c'est l'honorer de la manière la plus utile. » Le tribun parle avec une dureté extrême de la recherche que les enfants adultérins et incestueux voudraient faire de leur filiation maternelle : Y aurait-il rien de plus immoral, s'écrie-t-il, que d'assurer la protection des lois à cet enfant monstrueux qui, pour quelques aliments qu'il peut se procurer d'ailleurs, accuserait les auteurs de ses jours de lui avoir donné naissance par un crime (1)! »

"

Il y a beaucoup de phraséologie dans cette indignation. Le vrai monstre, ce n'est pas l'enfant qui recherche sa mère, c'est la mère qui repousse son enfant. Elle est coupable, oui. Si elle fait l'aveu de son crime, ou si on le découvre malgré elle, punissez-la, mais n'enlevez pas à l'enfant un droit que la nature lui assure, le droit à l'éducation, le droit aux aliments. Par une étrange contradiction, les auteurs du code civil donnent des aliments aux enfants incestueux et adultérins (art. 762), et ils rendent ce droit le plus souvent illusoire, en interdisant toute reconnaissance de ces malheureux, soit volontaire, soit forcée. Pour devoir leur naissance à un crime, les enfants, fruit de l'adultère ou de l'inceste, ne sont-ils plus des hommes? n'ont-ils pas droit à être élevés? Refusez-leur la richesse, si leur mère est riche, mais ne leur refusez pas le pain de vie de l'éducation! Les auteurs du code civil ont voulu honorer le mariage, ils ont voulu flétrir Fadultère et l'inceste. Nous applaudissons à ce sentiment moral. Mais n'est-ce pas se faire illusion que de croire que cette flétrissure arrêtera ceux qui se livrent à la fougue de leurs sales passions? Rien de plus égoïste que le crime. Ceux qui ne reculent pas devant la honte de l'inceste et de l'adultère, ne songent guère aux enfants qui devront le jour à leur impureté!

Quand la filiation naturelle est établie, elle est loin de produire des effets aussi considérables que la filiation légitime. D'abord elle peut être contestée par tous ceux qui y ont intérêt, tandis que l'acte de naissance appuyé sur

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 35 (Locré, t. III, p. 94). Lahary, Rapport, no 34 (Locré, t. 111, p. 115).

l'acte de mariage assure l'état des enfants légitimes; la loi n'ouvre qu'une seule action contre eux, le désaveu, et elle la soumet à tant de restrictions, toutes favorables à la légitimité, que l'on peut dire que l'état de l'enfant né dans le mariage est presque toujours à l'abri de toute contestation. Les droits de l'enfant naturel sont aussi bien moindres que ceux de l'enfant légitime. Cela se conçoit. A moins de mettre le concubinage sur la même ligue que le mariage, comme l'avait fait le législateur révolutionnaire, il fallait établir une différence sensible entre les droits pécuniaires des enfants légitimes et ceux des enfants naturels.

La loi donne cependant un moyen aux père et mère de l'enfant naturel de l'assimiler aux enfants légitimes, c'est de couvrir leur faute par le mariage. Ils mettront fin à une vie de désordre, et ils feront entrer les enfants dans le sein de leur famille. La loi n'exige qu'une condition, c'est que les enfants soient reconnus avant le mariage. Cela exclut les enfants adulterins et incestucux. Pour l'adultère, nous comprenons la rigueur de la loi; c'est une tache que le mariage ne saurait effacer; mais l'inceste n'est pas un crime, et quand le mariage a licu en vertu d'une dispense, la souillure de l'inceste disparaît; pourquoi la dispense ne profiterait-elle pas aux enfants déjà nés, comme elle profite aux enfants à naître? On dirait que le législateur est à la recherche de défaveurs dont il veut frapper des relations coupables, sans doute, mais le mariage ne devrait-il pas racheter toutes les fautes? Le législateur sacrifie les droits des enfants, malgré le mariage de leurs parents, à une défiance exagérée. Il ne veut pas que la reconnaissance pendant le mariage légitime les enfants; il ne veut pas même que cette reconnaissance produise les effets ordinaires au préjudice du conjoint ou des enfants légitimes (art. 331 et 337). Certes il peut y avoir fraude, mais pourquoi la présumer? Ne suffisait-il pas d'ouvrir une action au profit de ceux qui ont intérêt à attaquer la légitimation? Et si l'on prend en considération les droits du conjoint et des enfants légitimes, ne faut-il pas tenir compte aussi des droits de l'enfant naturel?

CHAPITRE II.

DE LA FILIATION PATERNELLE.

SECTION I.

De l'enfant conçu pendant le mariage.

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363. « L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari (art. 312). Cette présomption peut être combattue par le désaveu du mari de la mère. La présomption suppose la cohabitation des époux, elle doit donc céder devant la preuve que les époux n'ont pas cohabité, à raison d'une impossibilité physique ou morale. Pour ne rien laisser à l'arbitraire, la loi définit d'une manière précise l'impossibilité physique et l'impossibilité morale. Le but que la loi a en vue prouve qu'elle est limitative; elle doit donc être interprétée d'une manière restrictive. Ce principe d'interprétation résulte encore de la nature exceptionnelle du désaveu. Quand l'enfant est conçu pendant le mariage, il a pour lui la plus forte des présomptions; donc, en général, il ne pcut pas être désavoué. Les cas où il peut l'être sont de rares exceptions, et, à ce titre, de rigoureuse interprétation. Enfin la faveur dont la loi entoure la légitimité nous conduit à la même conséquence. Le législateur favorise la légitimité, par cela même il ne peut pas être favorable à l'action en désaveu. Ici l'on peut donc et l'on doit appliquer le vieil adage, odiosa restringenda. On abuse de cette maxime, et nous ne voudrions pas la poser comme règle. C'est faire injure au législateur que de qualifier ses dispositions d'odieuses; on doit toujours supposer qu'il a de bonnes raisons pour justifier sa rigueur. Dans l'espèce, le droit du mari mérite, en principe, autant de faveur que le droit de l'enfant. Reste à savoir lequel doit l'emporter quand ils sont en conflit. Eh bien, nous avons prouvé que le législateur veut avant tout

assurer l'état des personnes, en maintenant leur légitimité. Donc, en cas de doute, le droit de l'enfant doit l'emporter sur celui du mari.

§ Ier. De l'impossibilité physique de cohabiter.

No 1. DE L'ÉLOIGNEMENT.

364. Le mari prouve qu'il était, par cause d'éloignement, dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme, pendant le temps qui a couru depuis le trois centième jusqu'au cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant. Dans ce cas, il peut désavouer l'enfant. En effet, d'après les présomptions que la loi établit sur la durée de la grossesse, il est impossible que le mari soit le père de cet enfant. La grossesse peut durer cent quatrevingts jours, elle peut durer trois cents jours, elle peut durer cent quatre-vingts à trois cents jours; la conception peut donc avoir eu lieu dans l'intervalle qui sépare le trois centième et le cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant. Si pendant tout le temps où la conception a été possible, le mari n'a pu cohabiter avec sa femme, il est prouvé, par cela même, que cet enfant ne lui appartient pas (art. 312). L'on voit ici un exemple frappant de la faveur que la loi témoigne à la légitimité. Un enfant naît avec une conformation telle, qu'il est certain que sa naissance est précoce; il aura été conçu dans le septième mois qui précède l'accouchement. Suffira-t-il que le mari prouve son éloignement pendant ce septième mois? Non; T'enfant invoquera contre lui la présomption qui admet un terme de dix mois pour la durée de la grossesse; si donc le mari habitait avec sa femme dans le dixième mois avant la naissance de l'enfant, il ne pourra pas le désavouer, bien qu'il soit certain que la naissance, loin d'être tardive, est, au contraire, précoce. L'enfant peut donc, selon son intérêt, invoquer la présomption de la plus courte ou de la plus longue grossesse, à son choix. Il est évident que la réalité peut se trouver en opposition avec la présomp

tion; la légitimité reposera sur une fiction; il suffit d'une fiction pour que la loi s'en empare en faveur de la légitimité. Elle repousse toute preuve contraire. Nous en avons dit les raisons.

365. Quels doivent-être les caractères de l'éloignement? La loi, dit-on, ne les détermine pas; d'où l'on conclut que c'est une question de fait (1). Cela n'est pas tout à fait exact. L'article 312 dit que le mari doit prouver que, par cause d'éloignement, il a été dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme. Donc l'éloignement doit être tel, qu'il en résulte une impossibilité physique de cohabitation. Voilà bien la définition de l'éloignement et c'est la loi qui la donne. Après cela vient la question de savoir si l'éloignement a été tel, qu'il a produit une impossibilité physique de cohabiter: ce point est certes de fait, mais les tribunaux, en le décidant, ne doivent pas oublier que l'impossibilité de cohabiter doit être physique, c'est-à-dire absolue, en ce sens du moins qu'il ne reste aucun doute sur ce qu'il ne peut y avoir eu de rapprochement. Ce sont les expressions de Bigot-Préameneu (2). Le tribun Duveyrier est encore plus explicite et plus restrictif. Il faut, dit-il, que l'absence soit constante, continue, et de telle nature que, dans l'intervalle de temps. donné à la possibilité de la conception, l'esprit humain ne puisse concevoir la possibilité d'un seul instant de réunion entre les deux époux (3). » C'est cette impossibilité absolue que les tribunaux auront à constater en fait : il faut qu'ils déclarent, ainsi que Duveyrier s'exprime, « qu'au moment de la conception, toute réunion, même momentanée, entre les époux, ait été physiquement impossible.

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Il ne suffirait donc pas, comme Demante l'enseigne, de prouver par témoins que les deux époux ont constamment résidé à une certaine distance l'un de l'autre. Ce ne serait là qu'une probabilité, ce ne serait certes pas la preuve d'une impossibilité de cohabiter. La cour de Bourges l'a jugé ainsi, dans une espèce où le mari résidait habituel

(1) Demante, Cours analytique, t. II, p. 50, no 39 bis I.

(2) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 3 (Locré, t. III, p. 86) (3) Duveyrier, Discours, no 13 (Locvé, t. III, p. 125).

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