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attribue au mari une paternité qui lui est étrangère. Mais rappelons-nous que le législateur veut l'évidence pour permettre au mari de répudier un enfant. Le premier consul a proclamé ce principe d'une manière énergique. « Il n'y a jamais d'intérêt, dit-il, à priver un malheureux enfant de son état; il n'y en a qu'à forcer ses père et mère à le reconnaître. Les légistes du conseil d'Etat partageaient cette manière de voir. Le doute, dit Boulay, s'interprète en faveur de l'enfant (1).

369. On demande si l'impuissance accidentelle est une cause de désaveu quand elle est antérieure au mariage. Les auteurs sont divisés (2). Nous n'hésitons pas à répondre négativement. Le texte laisse la question indécise, lo mot accident pouvant s'entendre d'une cause qui précède le mariage aussi bien que d'une cause postérieure. Il faut done recourir à l'esprit de la loi. Nous venons d'assister à la discussion du conseil d'Etat; tous ceux qui y ont pris part supposent que l'accident est survenu pendant le mariage. Cette supposition n'est pas encore une raison de décider; mais rappelons-nous le motif pour lequel le législateur défend au mari d'alléguer son impuissance naturelle, alors même qu'elle pourrait être constatée : il n'est pas admis à invoquer sa faute pour en faire tomber la responsabilité sur la femme et sur l'enfant auquel elle a donné le jour. Cela décide la question. La faute du mari est la même, que l'impuissance soit accidentelle ou naturelle elle est même plus grande, en cas d'accident, parco qu'il est impossible qu'il l'ignore, au moins dans l'opinion qui rejette la maladie interne comme cause de désavcu.

§ II. De l'impossibililé morale de cohabiter.

370. Dans l'ancien droit, la question de savoir si l'impossibilité morale de cohabitation autorisait le désaveu

(1) Séance du 14 brumaire an x, n° 8 et 4 (Locré, t. III, p. 22 et 20). (2) Voyez les auteurs cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 40. Il faut y ajouter Marcadé (t. II, p. 3, art. 312, n" II) pour l'opinion que nous enseignons, et Demante contre (t. II, p. 52, no 39 bis 1II).

était controversée. D'Aguesseau n'admettait d'autres causes de désaveu que l'eloignement du mari et son impuissance. Les auteurs du Nouveau Denisart professaient, au contraire, que les tribunaux pouvaient décider, d'après les circonstances, qu'il y avait un obstacle moral au rapprochement des époux, et que cette impossibilité morale pouvait être aussi forte que l'impossibilité physique (1). Le code tranche la controverse. En principe, il rejette l'impossibilité morale comme cause de désaveu; l'article 312 veut qu'il y ait impossibilité physique. Tronchet nous en dit la raison. L'impossibilité morale est toujours incertaine. On ne peut aller au delà de l'impossibilité physique, sans tomber dans l'arbitraire et sans donner lieu aux fraudes. Tronchet avouait que la réalité pouvait étre en contradiction avec les présomptions de la loi, et que des enfants illégitimes seraient considérés comme légitimes, grâce à cette fiction (2). Cette objection n'arrêta pas les auteurs du code. Le premier consul vient de nous dire que ce qui importe surtout à la société, c'est de maintenir la légitimité. L'article 313 admet une exception à cette règle; mais c'est une exception, donc de stricte interprétation. Dès que l'on n'est plus dans les termes de l'article 313, on rentre dans la règle, et la règle prohibe le désaveu pour impossibilité morale. La cour de cassation l'a décidé ainsi (3), et, en vérité, il ne peut pas y avoir le moindre doute sur ce point. Qui le croirait? Il y a des arrêts en sens contraire des cours de Bastia et de Bordeaux (4). On invoque l'ancienne jurisprudence, on invoque le droit romain, comme s'il n'y avait pas de code Napoléon. Défionsnous de la science indigeste, et laissons là l'ancien droit quand le nouveau y déroge.

371. L'article 313, apres avoir dit que le mari ne pouvait désavouer l'enfant en alléguant son impuissance naturelle, ajoute: « Il ne pourra le désavouer même pour

(1) D'Aguesseau, Plaidoyer XXIII (Œuvres, t. II, p. 542 et suiv.). Nouveau Denisart, au mot Questions d'état, § I, nos 6 et suiv.

(2) Séance du 16 brumaire an x, n° 3 (Locré, t. III, p. 35). (3) Arrêt du 2 juin 1840 (Dalloz, au mot Paternité, no 61). (4) Dalioz, Répertoire, au mot Paternité, n°* 62 et 294.

cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée, auquel cas il sera admis à proposer tous les faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père. "Les « faits propres à justifier qu'il n'en est pas le père » constituent ce que l'on appelle l'impossibilité morale. On voit que la loi ne l'admet pas d'une manière pure et simple; elle la subordonne à des conditions rigoureuses, conditions qui à elles seules sont déjà une forte présomption d'illégitimité. L'application du principe posé par l'article 313 a donné lieu à de longues controverses. Il y a un point sur lequel tout le monde est d'accord, le texte le décide, ce sont les conditions requises pour qu'il y ait lieu à désaveu.

La première, c'est l'adultère. Quand l'adultère est établi, il y a une probabilité si grande que l'enfant auquel la femme donne le jour n'appartient pas au mari, que l'on est étonné, à première vue, que la loi ne permette pas au mari de le désavouer pour cette cause seule. Les jurisconsultes romains nous en disent la raison, et elle est péremptoire malgré l'adultère, l'enfant peut appartenir au mari (1). Duveyrier se révolte contre cette supposition, et il faut l'avouer, elle implique une perversité singulière chez la femme qui se livre à son mari, alors qu'elle le déteste au point de trahir la foi conjugale (2). Mais l'orateur du Tribunat oublie qu'il s'agit d'une femme adultère, à laquelle une immoralité de plus ne doit pas coûter grandement, alors surtout qu'elle lui permet d'autant plus facilement de se livrer à ses honteuses passions.

Toujours est-il que l'adultere fait naître une présomption grave contre la légitimité de l'enfant, mais à une condition, c'est que les relations adultérines aient existé vers l'époque présumée de la conception. La loi ne le dit pas, mais le bon sens le dit. Et il n'y a pas lieu, comme le fait M. Demolombe, de s'écarter de ce principe, en empruntant au droit canonique la détestable maxime que celle qui a une fois failli est toujours présumée coupable. En fait de présomptions, nous ne connaissons que celles que

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(1) Potest enim uxor adultera esse, et impubes defunctum patremn habuisse. L. 11, § 9, D., ad legem Juliam de adulteriis (XLVIII, 5). (2) Duveyrier, Discours, no 15 (Locré, t. III, p. 126).

le code établit, et il s'est bien gardé de présumer que l'homme est incorrigible (1). Un arrêt de la cour d'Aix a jugé, conformément à notre opinion, que le mari doit prouver que l'adultère coïncide avec l'époque précise de la conception de l'enfant; il a rejeté en conséquence comme insuffisantes des lettres sans date ou dont la date avait été déchirée, bien que ces lettres prouvassent des liaisons coupables (2).

372. La seconde condition exigée par l'article 313, c'est que la naissance ait été cachée au mari. Lors de la discussion au conseil d'Etat, le premier consul et Tronchet remarquèrent que ce fait était une des plus fortes présomptions contre la légitimité de l'enfant (3). Quand la mère est restée fidèle à son devoir, elle est heureuse de son enfantement, elle offre avec bonheur son nouveau-né à celui qui en est le père. Que si elle prend soin de cacher au mari la naissance de son enfant, elle s'accuse elle-même; c'est comme un avcu, non-sculement de son adultère, mais aussi de la conviction où elle est que cet enfant n'appartient pas au mari. Les orateurs du Tribunat vont jusqu'à dire que la conduite de la femme est un indice certain et la preuve presque évidente que l'enfant est illegitime (). Le code ne va pas aussi loin, et avec raison. Quand la femme cache la naissance de l'enfant à son mari, cela prouve certes qu'il y a de graves mésintelligences entre les époux: la femme craint le ressentiment du mari, et le plus souvent cette crainte sera justifiée par ses désordres; mais elle peut aussi l'être, comme on l'a dit au conseil d'Etat (5), par les violences du mari, par son humeur jalouse, par des soupçons injustes. Le législateur se décidant toujours, tant qu'il y a possibilité de doute, en faveur de l'enfant, ne voit encore qu'une présomption d'illegitimité là où l'on

(1) Demolombe, t. V, p. 50, no 7. Valette sur Proudhon, t. II, p. 22. Marcadé, t. II, art. 313, no II, p. 7.

(2) Arrêt d'Aix du 11 janvier 1859 (Dalloz, 1859, 2, 85).

(3) Séance du 16 brumaire an x, n° 10 (Locré, t. III, p. 40).

(4) Lahary, Rapport, no 11 (Locré, t. III, p. 105); Duveyrier, Discours, no 15 (Locré, t. III, p. 127).

(5) Roederer, dans la séance du 16 hrumaire an x, no 10 (Locré, t. III, p. 41).

serait tenté de voir une preuve complète; et il demande au mari qu'il administre cette preuve par tous les faits propres à justifier qu'il n'est pas le père de l'enfant. »

Il nous faut préciser maintenant ce qui constitue cette seconde condition du désaveu. La loi est on ne peut pas plus claire; elle exige que la naissance ait été cachée au mari. » Un arrêt de la cour de cassation semble dire qu'il y a lieu à désaveu quand le mari a ignoré la naissance. C'est une erreur évidente; la condition que l'article 312 prescrit est bien plus grave et plus probante. Le mari peut ignorer l'accouchement alors que la naissance est publique et que la femme n'a pas même songé à la cacher; or, c'est dans le fait de la femme d'avoir celé la naissance que le législateur voit une présomption contre ellé et contre la légitimité de l'enfant. A vrai dire, il y a plutôt erreur de rédaction dans l'arrêt de la cour suprême qu'erreur de droit; car l'arrêt de la cour de Bordeaux, contre lequel on s'était pourvu en cassation, établissait qu'il y avait eu recèlement de la naissance (1). Si donc la naissance était publique, c'est-à-dire si la femme n'avait pas essayé de la cacher, il n'y aurait pas lieu à désaveu, quand même le mari l'aurait ignorée (2).

On demande s'il suffit que la grossesse ait été celée, quand du reste la naissance a eu la publicité habituelle? D'ordinaire les deux faits sont inséparables; la femme cèle sa grossesse, précisément pour que la naissance reste cachée. S'il arrivait que la femme cessât de cacher sa grossesse vers l'époque de l'accouchement, et si la naissance était publique, on ne serait plus dans les termes de la loi, et par suite il n'y aurait pas lieu à désaveu. Le contraire a cependant été jugé dans des circonstances singulières. Pendant les sept premiers mois de la grossesse, la femme l'avait cachée; puis la discorde éclatant au grand jour, la femme fait connaître son état au mari. La cour de Paris constate que ce fut dans une intention injurieuse

(1) Arrêt du 5 mai 1836, confirmé par arrêt du 9 mai 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 175).

(2) Ainsi jugé par la cour de Rouen, arrêt du 2 avril 1840 (Dalloz, au mot Paternité, no 52), et par la cour de Rennes, 8 juin 1843 (Dallòz, ibid., no 53).

III.

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