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à ce dernier, par bravade et défi; elle admit le désaveu, et sa décision fut confirmée par la cour de cassation (1). Au point de vue moral, il faut certes applaudir à l'arrêt de la cour suprême. Mais est-il en harmonie avec la rigueur des principes? Nous en doutons. Le texte exige que la naissance ait été cachée et, dans l'espèce, la grossesse était connue du mari deux mois avant l'accouchement. Quant à l'esprit de la loi, il demande, ce sont les expressions de Duveyrier, « que la grossesse, l'accouchement et la naissance aient été cachés au mari. Dans l'espèce, on était donc hors du texte et hors de l'esprit de la loi. N'était-ce pas le cas d'interpréter le doute qui résulte de la lacune de la loi en faveur de l'enfant? On objecte que c'est permettre à la femme d'empêcher le désaveu, en aggravant sa faute par la publicité doleuse qu'elle lui donne. Cela est très-vrai; mais la doctrine consacrée par la cour de cassation n'empêchera pas cette fraude à la loi. La femme n'a qu'à déclarer sa grossesse au mari; quand même elle le ferait par bravade et défi, quand même elle le ferait pour rendre le désaveu impossible, le mari n'aurait pas le droit de désavouer l'enfant. Pourquoi? Parce qu'il n'y a point de texte. En définitive, il y a lacune. Le législateur a supposé une femme qui par un aveu tacite rend témoignage contre l'enfant; et le juge se trouve en présence d'une femme déhontée qui proclame ses désordres. C'est un cas tout différent de celui que la loi a prévu. Cela décide la question en faveur de l'enfant (2).

Comment se fait la preuve que la naissance a été cachée au mari? C'est une question de fait, abandonnée à l'appréciation du juge. Toutefois il y a un point qui est de droit : c'est que la naissance doit avoir été cachée par la femme; car il s'agit d'un aveu, et l'aveu ne peut émaner que du coupable. Il a été jugé à plusieurs reprises que l'inscription de l'enfant sur les registres de l'état civil, sous de faux noms ou comme né de père inconnu, suffit pour que le mari soit admis à la preuve de l'impossibilité morale de

(1) Arrêt du 7 janvier 1850 (Dalloz, 1850, 1, 5).

(2) Il y a un arrêt de Bourges en ce sens, du 6 juillet 1868 (Dalloz, 1868, 2, 180).

cohabiter (1). On ne peut admettre cette jurisprudence qu'avec une réserve : c'est que la fausse déclaration ait été faite au su de la mère et par sa volonté. Ici encore nous voyons que l'aveu de la vérité, c'est-à-dire la déclaration faite au nom de la mère qu'elle est accouchée, ne permet pas au mari de désavouer l'enfant, quand même la mère déclarerait que l'enfant est adultérin. C'est que la loi ne permet pas à la mère d'enlever à son enfant le bénéfice de la présomption de légitimité. Si elle admet l'aveu tacite, c'est parce que ce cri involontaire de la conscience témoigne contre la mère et non contre l'enfant.

373. La troisième condition exigée par l'article 312 est la preuve de l'impossibilité morale ou, comme dit la loi, des faits propres à justifier que le mari n'est pas le père de l'enfant. Question essentiellement de fait. Il a été jugé plusieurs fois que si l'enfant est conçu pendant la procédure en divorce, l'animosité qui divise les époux, la haine qui éclate dans tous leurs actes rendaient tout rapprochement moralement impossible (2). Cette impossibilité morale à elle seule ne suffirait pas pour autoriser le désaveu; nous en avons dit la raison. Mais quand la probabilité morale est fortifiée par la preuve de l'adultère, par le preuve que la femme a caché la naissance de l'enfant à son mari, alors elle prend la forme d'une certitude, devant laquelle la présomption de paternité doit céder.

374. On demande si, pour être admis à la preuve de l'impossibilité morale, le mari doit faire la preuve préalable d'abord de l'adultère, ensuite du fait que la naissance lui a été cachée. Il y a sur cette question une espèce de conflit entre la doctrine et la jurisprudence; mais les auteurs, de leur côté, ne s'accordent pas entre eux. A première vue, le texte semble décider la difficulté; il porte que le mari ne pourra désavouer l'enfant même pour cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée, auquel cas il sera admis à proposer tous les faits

(1) Voyez les arrêts dans Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, nos 45

et 59.

(2) Arrêts de Paris du 4 décembre 1820 et du 29 juillet 1826 (Dalloz, au mot Paternité, nos 59 et 45).

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propres à justifier qu'il n'en est pas le père. Les mots auquel cas il sera admis semblent indiquer que le mari ne sera reçu à faire la preuve de l'impossibilité morale que sous certaines conditions, c'est-à-dire si l'adultère est prouvé ainsi que la dissimulation de la grossesse et de l'accouchement; d'où suivrait que l'on peut opposer au mari une fin de non-recevoir, tant qu'il n'a pas rempli ces conditions. Le Tribunat paraît avoir entendu l'article 313 en ce sens ; il dit dans ses Observations: « On pense que pour être admis à la preuve, il ne suffit pas qu'il y ait adultère de la part de la femme, il faut de plus que la naissance de l'enfant ait été cachée au mari (1). Bigot-Préameneu suppose aussi que la femme a été condamnée pour adultère; si de plus elle cache à son mari la naissance de l'enfant, l'enfant, quoique repoussé de la famille et par la mère et par le mari, peut toujours invoquer la présomption de paternité, mais dans ce cas le mari pourra faire la preuve contraire, celle de l'impossibilité morale de cohabiter (2). Duveyrier abonde dans cette opinion. « Il faut, dit-il, que l'adultère soit constant, et il ne peut l'être que par un jugement public; il faut que la femme ait caché à son mari la naissance de l'enfant adultérin. Et ces deux conditions remplies, il faut encore que le mari présente la preuve des faits propres à justifier qu'un autre est le père de l'enfant (3).

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Merlin soutint ce système devant la cour de cassation, mais sans succès; il dit dans son Répertoire qu'il le fit entraîné par l'autorité des orateurs du gouvernement et du Tribunat, plus que par sa conviction personnelle (4). Les opinions énoncées dans l'Exposé des motifs et dans les discours prononcés devant le Corps législatif, de même que les observations du Tribunat, n'ont qu'une autorité de doctrine c'est le texte et la raison qui décident. Or, le texte ne dit pas ce qu'on lui fait dire. Pour l'adultère, cela

(1) Observations du Tribunat, no 5 (Locré. t. III, p. 76).

(2) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 5 (Locré, t. III, p. 86). (3) Duveyrier, Discours, n° 15 (Locré, t. III, p. 127).

(4) Merlin, Répertoire, au mot Légitimité, sect. II, § II (t. XVII, p. 419 de l'édit. in-8°).

est certain; dire que le mari ne peut désavouer, même pour cause d'adultère, ce n'est pas dire que le mari doit d'abord faire condamner sa femme pour adultère, pour que sa demande en désaveu soit recevable; tout ce qui résulte du texte, c'est qu'il doit y avoir adultère, et partant que l'adultère doit être prouvé. Mais c'est dépasser la loi que d'exiger la preuve préalable de l'adultère par un jugement qui condamne la femme. Or, en matière de désaveu, si l'on doit interpréter la loi en faveur de la légitimité, on ne peut cependant pas créer des conditions que la loi ne prescrit point tout le texte, mais rien que le texte! La jurisprudence est en ce sens, et la doctrine a abandonné la condition de la preuve préalable de l'adultère.

La question est plus douteuse pour ce qui concerne le fait que la naissance a été cachée au mari. D'après le texte, il faut dire que le recèlement de la naissance est une condition exigée pour rendre admissible l'action en désaveu; aussi la cour de cassation l'a-t-elle jugé ainsi dans le même arrêt qui décide qu'il n'est pas nécessaire de fournir la preuve préalable de l'adultère (1). Mais les cours admettent généralement que le mari ne doit pas commencer par articuler et prouver préalablement le recèlement de la naissance, qu'il peut proposer simultanément des faits propres à prouver les trois conditions prévues par l'article 313. La cour de cassation même l'a jugé ainsi par un arrêt postérieur (2). Elle dit que le texte n'exige pas un jugement préalable: cela est vrai; mais dire que la naissance doit avoir été cachée pour que le mari soit admis à faire la preuve de l'impossibilité morale, c'est bien exiger que ce fait soit être prouvé avant que l'on procède à la preuve de l'impossibilité morale. Cela est aussi fondé en raison. A quoi bon entamer une procédure sur l'impossibilité morale de cohabiter, quand la naissance n'a pas été cachée? La cour de cassation avoue que le tribunal doit d'abord constater le recèlement de la naissance. S'il en

(1) Arrêt de la cour de cassation du 8 juillet 1812, et les autres arrêts cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 45.

(2) Arrêt du 9 mai 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 175) et arrêt de Metz du 9 décembre 1825 (ibid., no 45).

est ainsi, n'est-il pas logique qu'il constate le fait par un jugement? S'il n'est pas prouvé que la naissance ait été cachée, l'enquête sur l'impossibilité morale de cohabiter serait frustratoire au point de vue des frais et du temps perdu; et de plus elle donnerait lieu à un scandale inutile, scandale que l'intérêt de la femme, de l'enfant et de la famille doit faire écarter (1).

On fait une objection très-spécieuse contre cette distinction entre la preuve de l'adultère et celle du recèlement de la naissance. L'adultère aussi, dit-on, doit être prouvé; et tant qu'il n'est pas établi, il est inutile de donner le scandale d'une recherche qui tend à flétrir la mère et l'enfant. Nous répondons, avec la cour de Bordeaux, que la différence est grande entre l'adultère et le recèlement de la naissance; ce dernier fait n'a pas de relation intime avec la preuve de l'impossibilité morale de cohabitation, en ce sens du moins qu'il se peut que la naissance ait été cachée et que l'enfant appartienne néanmoins au mari, comme il se peut que la naissance n'ait pas été cachée et que le mari ne soit pas le père de l'enfant; les deux faits étant distincts, la preuve de l'un peut et doit se faire indépendamment de la preuve de l'autre. Il n'en est pas de même de la preuve de l'adultère; elle a un rapport intime avec la preuve de l'impossibilité morale, puisque l'impossibilité morale rend l'adultère probable, et l'adultère rend l'impossibilité probable. Rien n'empêche donc que la preuve des deux faits ne se fasse concurremment.

375. Est-ce à dire que le mari n'ait pas besoin de faire la preuve directe de l'adultère, et que cette preuve résultera suffisamment de l'impossibilité morale où le mari était de cohabiter avec sa femme? Les premiers arrêts rendus par la cour de cassation sur cette question délicate décident formellement que la preuve directe et distincte de l'adultère est inutile. Après avoir dit que le recèlement de la naissance de l'enfant est la seule condition exigée par la loi pour l'admission du désaveu fondé sur

(1) Ainsi jugé par la cour de Bordeaux, arrêt du 21 décembre 1849 (Dalloz, 1854, 5, 382, n° 4).

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