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l'adultère de la femme, la cour ajoute : « La preuve juridique de l'adultère serait même absolument sans objet, la preuve que le mari n'est pas le père de l'enfant désavoué ne pouvant être faite sans emporter nécessairement celle de l'adultère de la femme, et c'est sans doute pour ce motif que la loi n'exige pas que l'adultère de la femme soit constaté par un jugement préalable (1). » La plupart des auteurs ont vivement combattu cette doctrine (2), et avec raison; elle confond les deux faits que le mari doit prouver avec la connexité des preuves destinées à les établir. Il n'est pas exact de dire, comme le fait la cour de cassation, que le désaveu autorisé par l'article 313 soit fondé sur l'adultère, il est fondé sur l'impossibilité morale de cohabitation. Le texte et l'esprit de la loi sont formels, nous avons commencé par établir ce point qui ne peut pas faire de doute l'adultère ainsi que le recèlement de la naissance sont des conditions ou, si l'on veut, des circonstances aggravantes sans lesquelles le législateur n'aurait pas admis l'impossibilité morale comme cause de désaveu. Il y a donc deux conditions ou deux faits à prouver, l'adultère et le recèlement. Dire que l'adultère ne doit pas être prouvé directement, parce que la preuve résultera nécessairement de l'impossibilité morale, c'est éliminer l'un des faits, l'adultère. En théorie, la preuve de l'adultère devrait même se faire préalablement, de même que celle du recèlement, et c'est la force des principes qui a entraîné les orateurs du gouvernement et du Tribunat à professer cette opinion. Ils n'ont pas réfléchi que la preuve des deux faits étant connexe, il n'y a pas de raison suffisante pour que l'un des faits soit établi indépendamment de l'autre et avant l'autre. Mais il faut maintenir leur doctrine en ce sens que les deux faits doivent être prouvés directement, quoique cela puisse se faire par la même enquête.

Un arrêt récent de la cour de cassation s'est rapproché de la doctrine des auteurs. On y lit, à la vérité, que l'arti

(1) Arrêt du 25 janvier 1831 (Dalloz, au mot Paternité, no 45, p. 177). (2) Zachariæ et ses annotateurs, Aubry et Rau, t. III, p. 637-640. Marcadé, t. II, p. 7-10, article 313, no III.

cle 313 n'exige point que la preuve de l'adultère soit administrée d'une manière spéciale et distincte; cela rappelle la première doctrine consacrée par la cour suprême. Mais elle ajoute : « L'article 313 entend seulement que l'adultère soit établi d'une façon positive, en même temps que les autres faits, de l'ensemble desquels résulte la nonpaternité du mari. » L'arrêt constate ensuite que les motifs de la décision attaquée prouvent amplement l'adultère de la femme (1). Si l'adultère doit être prouvé d'une façon positive, en même temps que les faits qui constituent l'impossibilité morale, tout ce qui en résulte, c'est que la preuve est connexe, mais les deux conditions restent différentes et doivent par conséquent être prouvées d'une manière spéciale, et, en ce sens, distincte, quoi qu'en dise la cour. Nous acceptons son dernier arrêt, mais en insistant sur la nécessité d'une preuve directe (2).

376. La séparation de corps est-elle une cause d'impossibilité morale de cohabiter, et donne-t-elle lieu au désaveu? Il suffit de poser la question pour la résoudre. La séparation de corps laisse subsister le mariage et le devoir de fidélité qui en résulte. Donc l'enfant conçu après que la séparation de corps est prononcée peut invoquer la présomption de l'article 312. Le mari ne peut combattre cette présomption que pour cause d'impossibilité physique de cohabiter, et pour cause d'impossibilité morale, dans le cas et sous les conditions déterminés par l'article 313. Il n'y a ni impossibilité physique de cohabiter, ni impossibilité morale, dans le sens légal du mot, entre les époux séparés de corps. Partant le mari ne peut désavouer l'enfant. Le contraire a été jugé par la cour de Rouen. Elle donne d'excellentes raisons, mais qui toutes s'adressent au législateur.. La présomption de l'article 312, dit-elle, suppose non-seulement le mariage, mais encore la cohabitation, donc la vie commune; or, la séparation de corps rompt la vie commune et par suite la cohabitation. Dès lors la présomption de paternité n'a plus de base,

(1) Arrêt du 31 juillet 1866 (Dalloz, 1867, 1, 297).

(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. V, p. 45, no 46.

et elle doit être écartée, à moins que l'on ne prouve qu'il y a eu un rapprochement entre les époux. En théorie, au point de vue législatif, il n'y a rien à répondre à ce raisonnement. Mais en se plaçant sur le terrain des principes consacrés par le code civil, la réponse est très-simple, elle a été faite par la cour de Caen et par la plupart des auteurs. Quand l'enfant est conçu pendant le mariage, le père ne peut le désavouer que dans les cas prévus par la loi; le désaveu est donc un droit exceptionnel, et si jamais une exception doit être de stricte interprétation, c'est bien celle qui détruit la présomption de paternité. Cela décide la question, et il est inutile de recourir aux travaux préparatoires pour prouver ce qui est plus clair que le jour (1).

La difficulté a été décidée en France par une loi du 6 décembre 1850, portée sur la proposition de M. Demante, membre de l'Assemblée nationale. Elle est ainsi conçue En cas de séparation de corps prononcée ou même demandée, le mari pourra désavouer l'enfant qui sera né trois cents jours après l'ordonnance du président, rendue aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou depuis la réconciliation. L'action en désaveu ne sera pas admise s'il y a eu réunion de fait entre les époux (2).

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§ III. Des fins de non-recevoir.

377. Le mari peut-il renoncer au droit que la loi lui accorde de désavouer l'enfant pour cause d'impossibilité de cohabitation? Quand l'enfant naît le cent quatre-vingtième jour du mariage, la loi donne au mari le droit absolu de le désavouer, à moins qu'il n'ait reconnu tacitement sa légitimité; l'article 314 détermine dans quels cas il y a reconnaissance tacite. La loi admettant la reconnaissance tacite, il faut, à plus forte raison, admettre la reconnaissance

(1) Voyez les arrêts et les auteurs cités dans Dalloz, au mot Paternité, no 64. (2) Demante, Cours analytique, t. II, p. 56-58,

expresse. Si le mari peut renoncer à son action, lorsque l'enfant est conçu avant le mariage, il faut décider, à plus forte raison, qu'il a ce droit quand l'enfant est conçu pendant le mariage. Il est vrai que la loi ne le dit pas, mais elle n'avait pas besoin de le dire. Le silence du mari suffit pour assurer la légitimité de l'enfant. Ce silence suppose que le mari reconnaît l'enfant comme sien. Alors même qu'il y aurait eu impossibilité physique ou morale de cohabiter, le mari peut renoncer à l'action en désaveu; son silence suffit pour cela, donc aussi la reconnaissance. Il en pourra résulter qu'un enfant adultérin sera considéré comme légitime. C'est une nouvelle faveur que la loi accorde à la légitimité. Pure fiction, à la vérité, mais le législateur préfère la fiction, en cette matière, au scandale de la réalité. La reconnaissance peut être expresse ou tacite, comme toute manifestation de volonté. Dans le cas de l'article 314, la loi définit et limite par conséquent les faits d'où résulte la reconnaissance tacite. Il n'y a pas lieu d'appliquer ces restrictions au cas de l'article 312; la loi étant muette, on reste sous l'empire des principes généraux. Il y a d'ailleurs une raison de différence : l'état de l'enfant conçu avant le mariage est bien moins favorable que l'état de l'enfant conçu pendant le mariage. On comprend donc que le législateur limite les exceptions que l'on peut opposer au désaveu du mari, quand l'enfant est conçu illégitime, tandis qu'il n'y a aucune raison de les restreindre quand l'enfant est conçu légitime (1).

378. Le mari peut-il désavouer l'enfant pour cause d'impossibilité physique ou morale de cohabitation quand l'enfant n'est pas viable? Il nous semble que la négative ne souffre aucun doute, malgré le dissentiment d'un excellent esprit. Peut-il y avoir une action sans intérêt? et où est l'intérêt du mari à désavouer un enfant qui, aux yeux de la loi, est considéré comme n'ayant jamais existé? L'enfant qui n'est pas déclaré viable n'est pas une personne, et il ne jouit par conséquent d'aucun droit, c'est un non-être. Conçoit-on une action dirigée contre le néant?

(1) Zachariæ, traduction d'Aubry et Rau, t. III, p. 641, note 55, § 546.

Proudhon enseigne cependant l'affirmative, et elle ne lui paraît pas même douteuse. Le texte de l'article 314 lui semble décisif. La loi dit que le mari ne peut pas désavouer l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage, si l'enfant n'est pas déclaré viable. Elle n'établit pas la même exception pour les enfants conçus pendant le mariage; il n'est donc pas permis de l'admettre, car les exceptions ne s'étendent pas. Nous répondons qu'il y a des exceptions qui s'étendent, ce sont celles qui ne font qu'appliquer un principe général et qui existeraient alors même que la loi ne les consacrerait pas formellement. Telle est la non-viabilité. Ce n'est autre chose que l'absence d'intérêt; or, sans intérêt il n'y a pas d'action. Proudhon nie que le mari soit sans intérêt dans le cas où l'enfant a été conçu pendant le mariage; en effet, cette conception prouve l'adultère de la femme si le mari a été dans l'impossibilité de cohabiter avec elle, et l'adultère prouvé, le mari peut demander le divorce ou la séparation de corps. M. Valette a déjà répondu à l'objection (1). Il s'agit de savoir si le mari a un intérêt à désavouer l'enfant non viable. Or, le droit de demander le divorce pour cause d'adultère n'est pas un intérêt qui légitime le désaveu; car autre chose est l'action en divorce, autre chose est l'action en désaveu. Le désaveu est dirigé contre l'enfant et suppose qu'il est le fruit de l'adultère; tandis que le divorce est demandé contre la femme, peu importe que l'enfant soit ou non adultérin. L'intérêt que le mari a dans la demande en divorce n'a donc rien de commun avec l'intérêt qu'il a dans le désaveu. Cela décide la question.

(1) Proudhon, t. II. p. 33 et suiv., et 35, note. L'opinion contraire est généralement suivie (Dalloz, au mot Paternité, no 38).

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