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puisse être contestée, mais il veut aussi qu'elle puisse triompher de toutes les attaques qui ne seraient pas fondées. Ces paroles seraient décisives si elles étaient en harmonie avec le texte et avec les principes; elles sont, au contraire, en opposition avec le système de la loi, et tout ce qu'elles prouvent, c'est qu'il ne faut se prévaloir qu'avec une grande réserve des discours et des rapports. Lahary, que nous venons de citer, nous en fournit un témoignage singulier. Il cite le cas suivant, dans lequel, selon lui, la contestation de légitimité devrait être rejetée : « Si l'enfant prouvait que son père divorcé se serait rapproché de sa mère postérieurement à la dissolution du mariage (1). L'erreur est palpable; il est de toute évidence que l'enfant né d'un pareil rapprochement, étant conçu après la dissolution du mariage, sera illégitime.

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L'opinion que nous venons d'exposer est professée par la plupart des auteurs; la jurisprudence est divisée; elle présente du reste peu de monuments sur cette question (2).

388. Les présomptions que la loi établit sur la durée de la grossesse donnent lieu, dans l'application, à une difficulté qui paraît inextricable. Aux termes de l'article 228, la femme ne peut contracter un nouveau mariage qu'après dix mois révolus depuis la dissolution du mariage précédent. L'article 296 étend cette disposition au divorce prononcé pour cause déterminée: la femme divorcée ne peut se remarier que dix mois après le divorce prononcé. Il est arrivé que les femmes veuves ou divorcées n'ont pas attendu l'expiration de ce délai pour se remarier. L'empêchement n'étant que prohibitif, le mariage ne peut pas être annulé. Si la femme remariée dans le mois qui suit la mort de son mari, accouche dans le septième, le huitième ou le neuvième mois du second mariage, qui l'enfant appartiendra-t-il? Il est l'enfant du premier mari, si l'on applique la présomption de la grossesse la plus longue; il est l'enfant du second mari, si l'on applique la présomption de la grossesse la plus courte. Il y a

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 13; Lahary, Rapport, no 14 (Locré. t. III, p. 88 et 106).

(2) Voyez les sources dans Dalloz, au mot Paternité, no 85 et 86.

donc incertitude sur sa filiation; c'est cette confusion de part que le législateur a voulu éviter, en prescrivant le délai de dix mois à la femme veuve ou divorcée. Comment décidera-t-on la difficulté?

C'est une de ces questions célèbres qui ont exercé la sagacité des légistes; et chacun voulant faire preuve d'originalité, il en est résulté qu'il y a à peu près autant d'avis que d'auteurs. On peut les voir dans Duranton (1). L'opinion qui réunit le plus de suffrages parmi les jurisconsultes modernes attribue la décision du litige aux tribunaux, en ce sens qu'ils jugeront d'après les circonstances, c'est-à-dire la vraisemblance des faits connus. Si, d'après la déposition des gens de l'art, la constitution physique de l'enfant né dans le dixième mois était telle que l'on dût admettre une naissance tardive, le juge l'attribuerait au premier mari, à moins que la caducité, l'absence ou la maladie du mari défunt ne fissent pencher la balance pour le second. Si la naissance était déclarée précoce, le juge se prononcerait pour le second mari (2). Zachariæ modifie cette décision en ce sens que le tribunal videra le débat d'après le plus grand intérêt de l'enfant (3).

Cela nous paraît inadmissible. La loi a établi des présomptions, précisément pour ne rien laisser à l'appréciation du juge, par crainte de l'arbitraire, de la partialité. Il est donc dans le vœu de la loi que la question soit décidée par l'application des présomptions, et non d'après la déposition des gens de l'art. Dans l'opinion de Zachariæ, on se rapproche davantage du texte et de l'esprit de la loi. Le tribunal appliquera l'une ou l'autre présomption, en consultant le plus grand intérêt de l'enfant. C'est, en effet, de l'intérêt de l'enfant qu'il s'agit, pour mieux dire de son droit, puisqu'il a le droit d'appartenir à l'une des deux familles, selon que l'on applique l'une ou l'autre présomption. Puisque c'est le droit de l'enfant qui est en cause, pourquoi ne lui permettrait-on pas de réclamer l'une ou l'autre filiation? Il peut invoquer deux présomp

(1) Duranton, t. III, p. 59, no 63. Dalloz, au mot Paternité, no 91. (2) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. Ier, p. 0.

(3) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 653, § 546.

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tions, donc il doit avoir le choix. S'il se décide pour premier mari, il en a le droit, et que pourrait-on lui opposer? L'autre présomption? Mais cette présomption est établie en sa faveur et il y peut renoncer. De quel droit d'ailleurs lui imposerait-on une filiation qu'il ne réclame pas? L'opinion que nous soutenons est une de celles que l'on professait dans l'ancien droit. C'est plus qu'une simple théorie, elle est consacrée par le droit anglais (1). Cela est une grande autorité, au moins au point de vue théorique. Elle est en harmonie avec l'esprit de notre code civil, puisqu'elle n'abandonne rien au pouvoir arbitraire du juge. On fait une objection très-singulière. Laisser le choix à l'enfant, dit-on, c'est lui permettre de choisir son père. Ce sera donc l'enfant, en définitive, qui fera son père. L'objection ne nous paraît pas sérieuse. Non, ce n'est pas l'enfant qui se fait son père, puisqu'il invoque une présomption légale; c'est donc la loi qui fait le père, et non l'enfant. Il y a plus: la loi elle-même consacre, en cette matière, une espèce d'option au profit de l'enfant. Quand, dans le cas de l'article 312, il s'agit de déterminer l'époque de la conception, il y a une époque variable du cent quatre-vingtième au trois centième jour avant la naissance l'enfant se place donc, à son choix, ou sous la présomption de la grossesse la plus longue, ou sous celle de la grossesse la plus courte. Et rien de plus logique. Celui à qui la loi donne deux droits a nécessairement la faculté de choisir (2).

389. Une difficulté analogue s'est présentée dans une affaire célèbre qui a donné lieu à des arrêts en sens divers. Un enfant naît deux cent quatre-vingt-trois jours après la mort du mari de sa mère. Il est reconnu comme enfant naturel par sa mère et par son père. Plus tard, il est légitimé par le mariage de ses parents. Quelle est la filiation de cet enfant? La cour de Paris a décidé que l'enfant appartenait au mari défunt, en vertu d'une présomption légale conçu pendant le mariage, il a pour père le

(1) Blackstone, Commentaire des lois anglaises, t. II, chap. VIII, no 2. (2) Arntz, Cours de droit civil français, t. Ier, p. 275, no 527.

mari, et cette présomption ne peut être détruite que par le désaveu; la reconnaissance et la légitimation ne sauraient détruire la présomption, en enlevant à l'enfant un état qu'il tient de la loi. Tel ne fut pas l'avis de la cour de cassation, elle cassa l'arrêt de la cour de Paris. L'enfant reconnu et légitimé était mort en possession de l'état d'enfant légitime du second mari de sa mère. Cette reconnaissance et cette légitimation assurent son état; il ne peut pas lui être enlevé par la présomption de l'article 315 qui attribue l'enfant au premier mari, car cette présomption est établie pour protéger l'enfant né dans les trois cents jours, et qui est en possession de l'état d'enfant légitime de son père défunt; on ne saurait donc l'invoquer contre l'enfant qui jouit d'un autre état, puisque ce serait lui enlever un état en vertu d'une présomption qui ne reçoit pas d'application à l'espèce, et qui ne peut, en tout cas, pas être rétorquée contre l'enfant. La cour d'Orléans, à laquelle la cause fut renvoyée, se prononça dans le même sens (1).

Les auteurs sont divisés; les uns prennent parti pour la cour de Paris, les autres pour la cour de cassation (2). Il y a un point qui nous paraît certain, c'est que l'enfant dont il s'agit a deux filiations. La cour de Paris invoque, non l'article 315, mais l'article 312; l'enfant né dans les trois cents jours de la dissolution du mariage est conçu dans le mariage, donc il a pour père le mari, sauf désaveu. Il n'y a rien à répondre à cela. Mais cet enfant n'a-t-il pas une seconde filiation? Reconnu et légitimé, il appartient au père qui l'a reconnu et légitimé. Dira-t-on que cette reconnaissance est nulle parce que ce serait la reconnaissance d'un enfant adultérin? Non, ce serait faire une très-fausse application de la présomption qui détermine la durée de la grossesse; elle est étrangère aux enfants naturels. Dans l'espèce, l'enfant reconnu pouvait être conçu depuis la dissolution du mariage: si ses père

(1) Arrêts de Paris du 16 juillet 1839, de la cour de cassation du 23 novembre 1842 et de la cour d'Orléans du 10 août 1843 (Dalloz, au mot Paternité, no 94).

(2) Demolombe, t. V, p 96-103, no 96. Demante, t. II, p. 67, no 42 bis V.

et mere s'étaient mariés au moment de la reconnaissance, l'enfant aurait certainement pu invoquer l'article 314, il eût été présumé conçu dans le second mariage, donc légitime. Sa conception n'était donc pas adultérine; elle ne le serait que si l'on pouvait rétorquer contre l'enfant la présomption de la durée la plus longue de la grossesse : mais n'est-il pas de toute évidence qu'une présomption établie pour assurer la légitimité de l'enfant ne saurait être invoquée pour le déclarer adultérin? La reconnaissance est donc valable, et par suite la légitimation. D'où suit que l'enfant a une double filiation.

Si l'enfant avait été en cause, il aurait pu dire qu'il a fait son choix, qu'il entend être enfant du second mari de sa mère. Et nous ne voyons pas ce que l'on aurait pu lui objecter. Qu'il appartient au premier mari par une présomption légale? « Tout ce que cela prouve, aurait répondu l'enfant, c'est que je pourrais réclamer cette filiation. C'est un droit pour moi, mais n'est-ce pas chose absurde que de vouloir m'imposer un droit? J'ai encore un autre droit et j'en use. Je suis et je veux rester l'enfant du second mari de ma mère. Qui peut me contester l'usage d'un droit que je tiens de la reconnaissance de mon père et de la légitimation? Mais l'enfant était mort. Dès lors, il fallait dire qu'il avait consommé son choix, car il n'avait jamais songé à réclamer l'état d'enfant légitime du premier mari. Son titre et sa possession d'état lui assuraient la qualité d'enfant légitime du second mari de sa mère. Son état était donc définitivement fixé à sa mort, personne n'ayant le droit de lui imposer une filiation dont lui n'avait pas voulu.

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390. La loi fixe deux limites extrêmes pour la durée de la grossesse, un minimum de cent quatre-vingts jours et un maximum de trois cents. Mais elle ne dit pas comment on doit compter ces délais. De là une grande incertitude dans la doctrine; M. Demolombe se plaint, et non sans tort, dit M. Valette, qu'il n'y a rien de plus compliqué ni de plus obscur, et rien de pius divergent que les

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