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opinions des auteurs. Cependant ces questions sont d'une haute importance: suivant la manière dont on compte les délais, la filiation d'un enfant peut être légitime ou naturelle, et même adultérine. Nous allons d'abord exposer la doctrine qui est le plus généralement suivie par les auteurs.

Elle repose sur deux principes traditionnels. D'après le premier, les délais se calculent par jours et non par heures. Le code Napoléon le dit en matière de prescription (article 2260). L'on entend par jour l'espace de vingt-quatre heures; d'où suit que l'on ne tient pas compte des fractions de jour dans le calcul des délais. Un second principe exclut du calcul le premier jour du délai, précisément parce que ce ne serait qu'une fraction de jour, tandis qu'il y comprend celui de l'échéance, en ce sens qu'il doit être écoulé en entier (code de procédure, art. 1033; code civil, art. 2061). Par application de ces principes, on calcule les délais de cent quatre-vingts et de trois cents jours, non de moment à moment, mais de jour à jour, en excluant le premier, celui que dans le langage de l'école on appelle le dies a quo. La loi dit que l'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage ne peut pas être désavoué; le jour où le mariage a été célébré ne compte pas; il faut donc cent soixante-dix-neuf jours complets entre le jour du mariage et celui de la naissance; de sorte que si le mariage est célébré le 1er janvier et si l'enfant naît lc 29 juin, il ne sera pas conçu pendant le mariage, et par suite il pourra être désavoué, car il naîtra le cent soixantedix-neuvième jour, tandis qu'il faut cent soixante-dixneuf jours complets. S'il naît le 30 juin, les cent soixantedix-neuf jours étant accomplis, l'enfant sera présumé conçu pendant le mariage et ne pourra être désavoué.

On fait le même calcul pour le délai de trois cents jours. Le jour de la dissolution du mariage ne compte pas; il suffit donc de deux cent quatre-vingt-dix-neuf jours complets pour former le délai de trois cents jours; c'està-dire que l'enfant qui naît le trois centième jour sera encore présumé conçu dans le mariage (1).

(1 Demolombe, t. V, p. 13, no 19. Zachariæ, t. III, p. 623, note 4. Dalloz, au mot Paternité, nos 27-29.

Reste à prouver que ces calculs concordent avec la loi. L'article 315 dit que la légitimité de l'enfant né trois cents jours après la dissolution du mariage pourra être contestée. Ces mots, après la dissolution du mariage, semblent indiquer qu'il ne faut pas compter dans le délai le jour de la dissolution; et les mots né trois cents jours impliquent que les trois cents jours doivent être écoulés; ce qui aboutit à notre calcul, d'après lequel l'enfant conçu le trois centième jour est encore présumé conçu pendant le mariage.

Il y a plus de difficulté dans le cas de l'article 314, qui porte L'enfant né avant le cent quatre-vingtième jour du mariage ne pourra être désavoué. » Ces mots du mariage semblent dire que le jour de la célébration est compris dans le délai, et le bon sens nous le dit aussi, puisque la conception peut avoir lieu ce jour. A cela on répond qu'il est impossible de comprendre le dies à quo dans le calcul des jours quand il s'agit du minimum de la grossesse, alors qu'on l'exclut dans le calcul du maximum. En effet, dans le cas de l'article 312, les deux délais concourent pour former l'époque à laquelle la conception peut avoir lieu; il faut donc nécessairement une manière uniforme de compter les délais : dès lors, l'on doit ou comprendre dans tous les cas le dies à quo dans les délais, ou l'exclure dans tous les cas. Le dernier système est en harmonie avec le principe traditionnel sur le dies à quo; il est consacré par le texte de l'article 315 et il n'est pas contraire à l'article 314: cette dernière disposition parle du cent quatre-vingtième jour du mariage, mais elle ne nous dit pas ce qu'il faut entendre par un jour; or, on ne compte pas les délais par heures, ce qui exclut les fractions de jour, et par conséquent le jour où le mariage a été célébré.

391. L'opinion générale que nous venons d'exposer repose sur une base très-fragile, ce sont deux principes traditionnels. Il s'agit de savoir si l'on doit compter les délais par jours ou par heures. M. Demolombe dit que la supputation doit se faire par jours et non par heures, que c'est là une vérité incontestable (1). Sur quoi est fondée

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. V, p. 12, no 18.

III.

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cette vérité? Au titre de la Paternité, la loi est muette, tout le monde s'en plaint. Pour que cette manière de compter fût une vérité incontestable, il faudrait donc que le législateur eût posé ailleurs une règle générale, applicable à tous les délais. Or, c'est ce que le législateur n'a point fait. On cite l'article 2260; il décide effectivement la question pour le calcul de la prescription: en cette matière, les délais se comptent par jours et non par heures. Mais, la disposition de l'article 2260 est spéciale, et rien ne nous autorise à en faire une règle générale. Il y a des raisons pour que la prescription ne se compte point par heures : c'est qu'il serait le plus souvent impossible de fixer d'une manière précise l'heure à laquelle elle a commencé et l'heure à laquelle elle s'est accomplie; recourt-on aux actes, ils sont datés par jours et non par heures; fait-on appel au témoignage des hommes, qui donc se rappellera l'heure à laquelle a commencé il y a dix, vingt ou trente ans, un fait de possession par lui-même très-insignifiant, et qui par conséquent ne frappe pas l'attention? Ces motifs expliquent la disposition spéciale de l'article 2260, mais ils sont tout à fait étrangers à la matière de la filiation. Un mariage se célèbre le 1er janvier; la durée la plus courte de la grossesse est de cent quatre-vingts jours quel sera le point de départ du délai? Le bon sens répond: Le moment où la conception pendant le mariage est devenue possible; or, elle devient possible dès que le mariage est célébré. Qu'importe que ce ne soit qu'une fraction de jour, si précisément pendant ces douze ou quatorze heures la conception a été possible et, disons plus, probable? Donc c'est par heures qu'il faut compter et non par jours. Nous disons que les motifs qui ont fait établir une autre règle en matière de prescription n'ont rien de commun avec la filiation. La vérité eût exigé que l'on calculât par heures, car il s'agit de constater l'état réel des choses et non de procéder par fiction. Si la loi ne l'a pas fait, c'est que la chose était impossible. Est-il aussi impossible de préciser le moment où le mariage se célèbre, puis le moment de la naissance? Les actes de l'état civil indiquent l'heure où ils sont reçus; c'est une des énonciations que l'article 34

prescrit; et l'officier public doit aussi mentionner l'heure de la naissance sur la déclaration des comparants (art. 57). On a donc une preuve légale qui constate la vérité. Pourquoi laisserait-on là la réalité des choses pour recourir à des fictions? Si ces fictions étaient consacrées par la loi, il faudrait les accepter. Mais la loi les ignore; il faut dire plus, c'est qu'elles nous écartent de la loi. D'après l'esprit et d'après le texte de la loi, le minimum de la grossesse est de cent quatre-vingts jours; cependant, d'après le calcul traditionnel, il se trouve que ce délai est réduit à cent soixante-dix-neuf jours. Nouvelle fiction, et fiction en dehors de la loi. Il faut compter cent quatre-vingts jours de vingt-quatre heures, à partir de l'heure où le mariage a été célébré jusqu'à l'heure où l'enfant est né; il sera légitime si ce nombre d'heures est écoulé, illégitime s'il n'est pas écoulé.

Nous en disons autant du délai de trois cents jours. On comptera également à partir de l'heure où le mariage s'est dissous jusqu'à l'heure de la naissance. L'enfant né dans ce délai sera présumé conçu pendant le mariage et partant légitime; celui qui naîtra après ce nombre d'heures sera conçu après la dissolution du mariage, donc illégitime. Ce calcul est en harmonie avec la réalité des choses, autant qu'une fiction peut s'accorder avec la réalité. Car nous sommes sur le terrain d'une fiction, non-seulement pour la durée du délai, mais encore pour le point de départ. Le délai court à partir du moment ou de l'heure où le mariage s'est dissous : ce qui suppose que la conception a pu avoir lieu à l'instant qui a précédé la mort ou la prononciation du divorce. Certes, voilà une fiction peu probable, mais du moins elle est dans l'ordre des choses possibles. Tandis que le calcul usuel, qui exclut le jour de la dissolution, implique que la conception a pu avoir lieu pendant tout le jour de la dissolution, ce délai ne commençant à courir qu'à partir du lendemain : ce qui est souverainement absurde. Reste à savoir si la mort peut se prouver aussi exactement que la naissance. Or, il se trouve que le code Napoléon ne prescrit pas l'énonciation de l'heure, pas même celle du jour du décès (art. 79). Les

officiers publics marquent, il est vrai, l'heure du décès sur les déclarations, qu'ils demandent, au besoin, aux déclarants; mais quelle est la foi due à cette énonciation? La loi ne la prescrivant pas, il faut décider qu'elle ne fait aucune foi c'est la constatation d'un témoignage donné en dehors de la loi. Toujours est-il qu'à défaut de la preuve littérale, on peut recourir à la preuve testimoniale. C'est ce que le législateur a supposé. Cette preuve est bien plus sûre en matière de filiation qu'en matière de prescription. La mort est un fait grave qui frappe les plus indifférents; ce moment solennel ne s'efface plus de leur souvenir, tandis que l'homme dont la mémoire est la plus fidèle oubliera facilement les faits de possession dont il a été témoin accidentel. Rien n'empêche donc d'avoir égard à la réalité.

C'est M. Valette qui le premier a proposé le système que nous adoptons (1). La jurisprudence la plus récente se prononce en ce sens (2). Nous appliquons ce calcul à tous les cas, même quand le mari désavoue l'enfant pour cause d'impossibilité physique de cohabitation (art. 312). On a objecté qu'il était impossible de préciser avec certitude l'heure à laquelle a commencé ou cessé cette impossibilité de cohabitation (3). L'objection n'est pas sérieuse Quand c'est pour cause d'éloignement, il y a un fait extérieur, le voyage, dont le commencement et la fin sont très-faciles à prouver. Si le mari allègue l'impuissance accidentelle, on peut encore, dans notre opinion, déterminer avec certitude la date de l'accident ainsi que la guérison, si guérison il y a. Pour la maladie interne, la chose serait difficile; mais, à notre avis, la maladie n'est pas admise comme cause d'impossibilité de cohabitation.

(1) Valette, Explication sommaire du premier livre du code civil, p. 164 et suiv.

(2) Jugement du tribunal d'Arras du 6 mai 1857; arrêts de Poitiers du 24 juillet 1855 et d'Angers du 12 décembre 1867 (Dalloz, 1858, 2, 138; 1865, 2, 129; 1867, 2, 201).

(3) Arntz, Cours de droit civil, t. Ier, p. 2ô6, 4o, no 505.

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