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A rien, car l'aveu de la mère n'est pas une preuve de la filiation, pas même de la filiation maternelle. Sur ce dernier point, il y a un arrêt contraire de la cour de Toulouse qui semble décider que la possession d'état, prouvée à l'égard de la mère, entraîne, par voie de présomption, la preuve de la paternité (1). Cela est inadmissible. La loi ne reconnaît cet effet qu'à l'acte de naissance et, dans de certaines limites, à la preuve testimoniale. Quant à la possession d'état, si elle est réelle, c'est-à-dire si elle réunit les caractères déterminés par la loi, elle fait preuve complète de la filiation paternelle et maternelle. Que si elle est incomplète, elle ne prouve rien et n'a aucun effet (2).

Il n'y a qu'un cas dans lequel la possession d'état puisse se diviser c'est quand le père meurt avant la naissance de l'enfant; il est impossible de prouver des faits posés par un père qui n'existe plus; pas plus qu'on ne peut établir des faits de possession à l'égard de la mère quand elle meurt en couches (3).

405. Comment se fait la preuve de la possession d'état? Par témoins; il n'y a pas de doute sur ce point, puisque la possession se compose de faits matériels qui par eux-mêmes ne produisent ni droit, ni obligation. D'après les principes généraux, la preuve testimoniale est donc admissible sans commencement de preuve par écrit. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord. Pour mieux dire, il ne peut pas même y avoir de question. Il en résulte cependant, à première vue, une contradiction entre l'article 321 et l'article 323. La loi n'admet la preuve testimoniale que lorsqu'il existe un commencement de preuve, tandis que la possession d'état se prouve par témoins sans qu'il y ait un commencement de preuve par écrit, ni indices, ni présomptions. La différence s'explique. Quand l'enfant recourt à la preuve testimoniale, il n'a pas de titre, il n'a pas de possession d'état, toutes les probabilités sont contre lui; dès lors la loi devait craindre les faux

(1) Arrêt du 4 juin 1842 (Dalloz, au mot Paternité, no 248, et la critique de Dalloz, no 249).

(2) Demolombe, t. V, p. 192, no 211. Marcadé, t. II, p. 24, art. 321, no II. (3) Valette, Explication sommaire du livre Ier du code civil, p. 177.

témoignages, et par conséquent écarter ce danger, en exigeant un commencement de preuve. La possession d'état n'offre pas ce danger. Comme l'a dit l'orateur du gouvernement, il n'y a pas de preuve plus certaine de la filiation que la possession d'état (1). C'est une suite de faits extérieurs et notoires qui impliquent l'aveu de tous ceux qui seraient intéressés à repousser l'enfant, s'il n'était pas légitime. Les faits qui constituent la possession étant publics, on conçoit difficilement le faux témoignage; il faudrait que tous ceux qui sont en position de connaître les faits se concertassent pour mentir à la justice.

Il y a encore une autre garantie contre les faux témoignages dans le caractère des faits que l'enfant doit prouver. L'article 319 veut que la possession soit constante; l'article 321 exige que l'enfant ait toujours porté le nom du père auquel il prétend appartenir; que le père l'ait traité comme son enfant, la loi n'ajoute pas toujours ni constamment, mais elle le prescrit implicitement, en disant que le père doit avoir pourvu à l'entretien de l'enfant, à son éducation, à son établissement, ce qui embrasse toute la vie de l'enfant, depuis sa naissance jusqu'au moment où il quitte sa famille pour fonder une famille nouvelle. Enfin il faut que l'enfant ait été reconnu constamment dans la société comme appartenant à la famille qu'il réclame comme la sienne. Le texte exige donc une possession continue, non interrompue, à partir de la naissance jusqu'à l'établissement de l'enfant. Si la possession d'état ne remontait pas à la naissance de l'enfant, elle ne ferait pas preuve de sa filiation. Les premières années surtout sont décisives, parce que les faits sont alors l'expression de la réalité, et en quelque sorte le cri de la nature. Si la possession commence plus tard, il y a danger de fraude : on peut craindre que les parents ne traitent comme le leur un enfant qui leur est étranger. Il faut aussi que la possession d'état ait continué, la loi elle-même l'exige, en principe, jusqu'au moment où l'enfant est établi. Tant que

(1) Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 19 (Locré, t. III, p. 89). Sur la jurispruence et la doctrine, voyez Dalloz, au mot Paternité, no 251.

l'enfant n'est pas établi, ce qui en général implique sa minorité, on ne conçoit guère l'interruption dans son état; il doit habiter avec son père. S'il est placé dans une pension ou chez un maître, c'est par la volonté du père; il y a donc nécessairement des faits de possession; l'interruption ne pourrait arriver que dans des circonstances exceptionnelles, et dans ce cas l'enfant devrait la motiver et la justifier (1).

406. Aux termes de l'article 253 du code de procédure, le tribunal peut ordonner l'enquête si les faits sont admissibles; ce qui donne au juge un pouvoir discrétionnaire en matière de preuve testimoniale; il peut l'admettre ou la refuser, dit la cour de cassation, le législateur s'en rapporte à sa conscience (2). Si les faits articulés par l'enfant sont de telle nature qu'ils ne prouveraient pas la filiation, quand même ils seraient établis, l'enquête serait frustratoire. D'un autre côté, le juge peut trouver dans les documents du procès des preuves suffisantes pour décider le débat, soit pour, soit contre l'enfant; dans ce cas encore, il est inutile de procéder à une enquête. La possession d'état s'établit, il est vrai, en règle générale, par témoins, mais il se peut qu'elle résulte des écrits produits par le demandeur; ou les écrits produits par le défendeur peuvent prouver que l'enfant n'a pas la filiation qu'il réclame. Voilà pourquoi l'admission de la preuve testimoniale doit être facultative.

407. Quand y a-t-il lieu de prouver la filiation par la possession d'état? L'article 319 répond: « A défaut de titre, c'est-à-dire quand il n'y a pas d'acte de naissance inscrit sur les registres de l'état civil. Il n'y a pas à distinguer les causes pour lesquelles il n'y a pas de titre. Le projet présenté au conseil d'Etat par la section de légis lation portait « Si les registres sont perdus, ou s'il n'en a point été tenu, la possession constante de l'état d'enfant légitime suffit. C'était limiter l'admission de la possession d'étát au cas prévu par l'article 46; or, dans ce cas,

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(1) Comparez Demolombe, Cours de code Napoléon, t. V, p. 190, no 210. Arrêt du 19 mai 1830 (Dalloz, au mot Paternité, no 252).

le code admet la preuve testimoniale, même sans commencement de preuve; c'eût donc été donner à l'enfant un droit dont à la rigueur il pouvait se passer, et le lui refuser dans tous les autres cas où il n'a pas d'acte de naissance, sans que l'on puisse jamais lui imputer le défaut de titre. En principe, quelle que soit la cause pour laquelle l'enfant n'a point de titre, la loi doit lui permettre de se prévaloir de la possession d'état. C'est ce que marque la rédaction nouvelle (1). De là suit que l'enfant n'a pas même besoin d'indiquer la cause pour laquelle il n'a point de titre; il suffit qu'il n'en ait pas pour que la preuve par la possession d'état soit admissible (2).

Mais ce n'est qu'à défaut de titre que la possession d'état est admise comme preuve de la filiation des enfants légitimes. S'il y a un acte de naissance, c'est ce titre qui décide, car il est la preuve par excellence de la filiation Nous venons de dire que ce titre fait foi en faveur de l'enfant, alors même qu'il serait contredit par la possession d'état. Mais aussi l'enfant ne peut invoquer la possession d'état contre son titre. On lui opposerait l'article 320 qui dit formellement que c'est à défaut de titre que la possession d'état suffit. Sauf à l'enfant à soutenir qu'il a été inscrit sous de faux noms; c'est le cas prévu par l'article 323. En ce cas, il sera admis à faire la preuve de sa filiation par témoins, mais sous la condition qu'il y ait un commencement de preuve résultant d'indices ou de présomptions. Il en serait de même si l'enfant avait été inscrit comme né de père et mère inconnus; s'il avait la possession d'enfant légitime, il ne pourrait pas s'en prévaloir, toujours par application du principe posé par l'article 320; mais il serait admis à prouver sa filiation par témoins, sous la condition d'un commencement de preuve (art. 323). Le système du code est fondé en raison. Quand l'enfant a une possession d'état contraire à la filiation que lui donne son acte de naissance, la possession perd toute autorité; si l'enfant appartenait réellement à ceux dont il porte le

(1) Séance du conseil d'Etat du 16 brumaire an vi, no 7 (Locré, t. III, p. 38). (2) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, p. 656 et note 13.

nom, et qui le traitent comme tel, l'auraient-ils inscrit sous de faux noms, ou comme né de père et mère inconnus? Non, certes. Il faut donc croire que cet enfant a une autre filiation que celle que lui donne sa possession d'état. La loi devait l'admettre à faire la preuve de sa vraie filiation, mais avec des garanties qui préviennent le danger des faux témoignages.

408. Quand la possession d'état est établie, elle prouve la filiation, mais elle ne prouve pas la légitimité. Nous disons qu'elle prouve la filiation d'une manière absolue, c'est-à-dire la filiation paternelle et maternelle. Cette preuve ne pourrait pas être combattue par le désaveu, car elle implique l'aveu du mari de la mère, l'un des éléments de la possession étant que le père ait traité l'enfant comme sien. C'est une différence remarquable entre la possession d'état et l'acte de naissance ainsi que la preuve testimoniale. Lorsque l'enfant prouve sa filiation par l'acte de naissance, le père peut le désavouer, et si c'est par témoins, il peut prouver, par tout moyen légal de preuve, qu'il n'est pas le père de l'enfant. Sans doute, lorsque l'enfant allègue la possession d'état, le mari peut combattre ses prétentions dans le cours du débat; il peut nier qu'il y ait possession, il peut opposer à l'enfant une fin de non-recevoir en produisant un acte de naissance, puisqu'il n'y a lieu à la possession d'état qu'à défaut de titre. De même, les père et mère pourraient prouver qu'ils n'ont jamais eu d'enfant, ou que l'enfant qu'ils ont eu est mort. Dans tous ces cas, il n'y a pas de possession d'état, partant pas de filiation. Mais une fois la possession d'état admise, elle ne peut plus être combattue, pas même par le désaveu, puisqu'elle implique que le père a avoué l'enfant comme sien (1).

Il y a encore cette différence entre la possession d'état et l'acte de naissance, que la possession prouve prouve l'identité, tandis que l'acte ne prouve que l'accouchement. Le fait de l'identité ne peut pas être séparé, dans ce cas, de l'accouchement, car la preuve ne porte pas directement sur

(1) Les auteurs sont unanimes sur tous ces points. Nous nous bornons à citer le plus récent, M. Demolombe, t. V, p. 197, no 216.

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