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précisément de savoir si l'on est admis à prouver la nonconformité du titre et de la possession, alors qu'en apparence elle existe. Si on ne le peut pas, comme nous le croyons, en s'inscrivant en faux contre l'acte, on ne le peut pas davantage en contestant l'identité. Ce serait toujours remettre en question, au moyen de la preuve testimoniale, un état qui s'appuie sur la double preuve de la possession et du titre; et n'est-ce pas là ce que le législa teur a voulu prévenir? 11 y a sans doute des abus possibles, mais cette possibilité n'a pas arrété les auteurs da code; ils ont voulu assurer le repos des familles par une maxime absolue; or, elle cesserait de l'être et elle manquerait son but, si l'on permettait de s'inscrire en faux contre l'acte de naissance, et si l'on autorisait la preuve do la non-identité; les faux témoins que le code redoute trouveraient une porte ouverte pour altérer l'état des per sonnes, et n'oublions pas que c'est contre les faux témoins que la disposition de l'article 322 a été formuléo.

413. On dira qu'à force de vouloir maintenir le repos des familles contre les aventuriers munis de faux témoiguages, on favorise la fraude de ceux qui, moyennant des titres falsifiés ou une possession menteuse, introduisent dans une famille des enfants qui y sont étrangers. Lo danger est réel; mais on ne peut pas chercher le remède au mal dans le texte de la loi, dont les termes absolus excluent toute exception. Il n'y a qu'un cas dans lequel on peut attaquer l'etat de celui qui invoque la double preuvo du titre et de la possession, c'est celui où il n'y a pas cu de mariage. La double preuve, que Tarticle 322 déclare incontestable, n'est que la preuve de la filiation; elle no prouve pas la légitimité. Il est de principe invariable que la légitimité suppose le mariage; Tenfant ne peut meine invoquer les preuves de la filiation que la loi admet, quo si le mariage est constant. De là suit que l'on peut atiaquer la légitimité d'un enfant qui a pour lui la possession et un acte de naissance, en prouvant que ses prétendus père et mère n'ont pas été mariés. L'enfant ne pourrait pas opposer la double preuve de l'article 322, car aucune des deux preuves n'établit le mariage, ni l'acte de naissance,

ni la possession d'état. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord sur ce point (1). Il en résulte une conséquence très-importante, c'est que si le débat s'engage pendant la vie des père et mère ou de l'un deux, la preuve du mariage ne pourra se faire que par la production de l'acte de célébration (art. 194, 197). Si le mariage n'est pas prouvé, l'enfant ne peut se prévaloir ni de l'acte de naissance, ni de la possession d'état; il est enfant naturel, et il doit prouver sa filiation par un acte de reconnais

sance.

SECTION III. Do la preuve testimoniale.

§ Ier. Règles générales.

414. L'article 323 porte : « A défaut de titre et de possession constante, ou si l'enfant a été inscrit, soit sous de faux noms, soit comme né de père et mère inconnus, la preuve de filiation peut se faire par témoins. » Lorsque l'enfant n'a pour lui aucune des preuves qui servent à établir la filiation, ni acte de naissance, ni possession d'état, il en résulte, dit Bigot-Préameneu, une présomption trèsforte qu'il n'appartient pas au mariage. Les présomptions sont tout aussi fortes contre lui quand il a un titre, mais que ce titre dépose contre ses prétentions: s'il était légitime, aurait-il été inscrit sous de faux noms? ses parents l'auraient-ils renié en l'inscrivant comme né de père et mère inconnus? Puisque toutes les probabilités sont contre l'enfant, pourquoi la loi permet-elle de prouver sa filiation par témoins, c'est-à-dire par la plus dangereuse des

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(1) Demolombe, t. V, p. 205, no 228, 229. Arrêts d'Agen du 19 janvier 1864 (Dalloz, 1865, 2, 16) et de la cour de cassation du 19 juin 1867 (Dalloz, 1867, 1, 343). Il y a des arrêts contraires, mais ils n'ont aucune valeur doctrinale. C'est ainsi que la cour de Grenoble dit, arrét du 5 février 1807 (Dalloz, au mot Paternité, no 253), que « l'acte de naissance constitue la légitimité de l'état des enfants. L'erreur est évidente. De même, la cour de Toulouse confond la preuve de la tiliation et la preuve de la légitimité (arrêt du 24 juin 1820, ibid., no 333, 2o), La cour de Montpellier a été jusqu'à décider que la légitimité de l'enfant qui a un titre et la possession d'état ne peut être contestée après la mort de ses parents, alors même que la mère aurait reconnu qu'il n'y avait pas eu de mariage 'arrét du 4 février 1824 ibid., 384). Dalloz critique cette jurisprudence (ibid., no 330).

preuves? Le législateur a dû admettre l'enfant à faire preuve de sa filiation, répond Duveyrier, parce que l'enfant réclame son bien, c'est-à-dire son droit. S'il peut prouver qu'il est victime de mauvaises passions, pourquoi la loi le repousserait-elle? Lui demandera-t-elle les titres habituels, alors que l'enfant se plaint précisément qu'un délit, le plus répréhensible des crimes, l'en a privé (1) ?

D'après le droit commun, la preuve testimoniale est admissible, sans commencement de preuve par écrit, quand celui qui demande à prouver un fait en justice n'a pu s'en procurer une preuve littérale. Or, tel est certainement le cas de l'enfant qui n'a pas de titre. Mais dans les questions d'état, la loi se montre plus rigoureuse; elle exige que l'enfant ait un commencement de preuve qui rende sa demande probable. Portalis explique très-bien les motifs de cette dérogation au droit commun. Des témoins peuvent être corrompus ou séduits; leur mémoire peut les tromper; ils peuvent, à leur propre insu, se laisser entraîner par des inspirations étrangères. Tout nous avertit donc qu'il faut se tenir en garde contre de simples témoignages. Vainement dit-on que cette exigence pourra compromettre l'état d'une personne qui n'aura pas de commencement de preuve. La loi se préoccupe plus des familles que des individus; le sort d'un citoyen la touche moins que le danger dont la société entière serait menacée, si, avec quelques témoignages suspects, on pouvait introduire dans une famille des êtres obscurs qui ne lui appartiennent pas (2).

415. Tel est le principe posé par l'article 323. Pour qu'il y ait lieu à la preuve testimoniale, il faut que l'enfant n'ait ni titre ni possession. S'il y a un titre qui fait connaître sa mère, quand même l'acte ajouterait que l'enfant est né d'un père inconnu ou d'un père autre que le mari, l'enfant ne doit pas recourir à la preuve testimoniale, car son état est établi par titre, comme nous l'avons dit plus haut (no398).

(1) Bigot-Préamencu, Exposé des motifs, no 21 (Locré, t. III, p. 89). Duveyrier, Discours, n 26 (ibid., p. 131).

(2) P'ortalis,. Discours préliminaire, no 67 (Locré, t. Ier, p. 173). Comparez Cochin, Plaidoyer C11 (Œuvres, t. IV, p. 352).

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Il faut qu'il soit inserit, dit notre texte, de père et mère inconnus, ou sous de faux noms. La dernière hypothèso donne lieu me difficulté. On demande si l'enfant doit s'inscrire en taux contre l'acte de naissance. Il y a quelque incertitude dans la doctrine sur cette question. Zachariæ enseigne que l'enfant doit s'inscrire en faux. L'opinion contraire est plus gnéralement suivie par les auteurs récents, et elle est consacrée par la cour de cassation (1). La cour dit très bien qu'il n'y a lieu à inscription de faux que lorsque l'officier public qui a reçu l'acte a commis un faux; or, l'officier de l'état civil ne fait que constater les déclarations qui lui sont faites; il n'a ni mission, ni capacité do s'assurer de la vérité de ces déclarations; dès lors, quand même elles seraient mensongères, le mensonge n'altéro pas la substance de l'acte, par suite il n'y a pas lieu à inscription de taux. Il y aurait lieu à s'inscrire en faux si Tofficier public avait constaté autre chose que ce que les con.parants lui ont déclaré; dans ce cas il y aurait faux. Quand les déclarations sont constatées telles qu'elles out été faites, l'acte en fait foi, à la vérité, mais seulement jusqu'à preuve contraire. Si donc l'enfant soutient que les déclarations sont mensongères, il devra le prouver, puisque c'est sous cette condition qu'il est admis à la preuve tsstimoniale, mais il pourra le faire par toutes voies de droit. C'est l'application des principes que nous avons posés au titre des Actes de l'état civil (2).

416. L'application du principe soulève encore d'autres difficultés. O suppose que l'enfant a une possession, il n'a pas de titre. Peut-il réclamer un état différent de celui que lui donne sa possession? L'article 323 ne prévoit pas ce cas; ou pourrait done dire que la condition sous laquelle la loi admet la preuve testimoniale n'existe pas, et que par suite il n'y a pas lieu à cette preuve. Mais la question est d'cidée en sens contraire par Tarticle 322. C'est sculement quand il y a un titre de naissance et une possession

(1) Zachariæ. t. III. p. 659, note 23. En sons contrairò. Valettê sur Proudhon, t. 11, p. 89. note a Demolombe, t. V, p. 217, no 239 Air i de la cour de cassation du 12 juin 1823 (Dalloz, au mot l'alernité, no 621). (2) Voyez le tome 11 de mes Principes, p. 51, ш” 33-12.

conforme que l'enfant ne peut pas réclamer un état contraire à celui qui est établi par ces deux preuves. S'il a un titre sans possession, l'article 323 lui ouvre la preuvo testimoniale, il est admis à prouver qu'il a été inscrit sous de faux noms. S'il a une possession, mais sans titre, il est aussi admis à réclamer, en vertu de l'article 322. Cetto réclamation ne peut se baser que sur la preuve testimo niale; or, on ne peut réclamer la filiation par témoins que sous les conditions exigées par l'article 323. Cela est admis par tout le monde (1).

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417. Aux termes de l'article 323, la preuve testimoniale n'est admise que lorsqu'il y a un commencement do preuve résultant soit d'écrits, soit de faits constants. L'article 324 dit quels sont les écrits que l'enfant peut invo quer les titres de famille, les registres et papiers domestiques du pèro et de la mère, les actes publics et mêmo privés émanés d'une partie engagée dans la contestation ou qui y aurait intérêt, si elle était vivante. Cette dornière partie de l'article déroge au droit commun. « On appelle commencement de preuve par écrit, dit l'arti cle 1347, l'écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée ou de celui qu'il représente. » L'arti cle 324 est plus large; il admet les écrits de tous ceux qui auraient intérêt à la contestation s'ils étaient vivants, par exemple d'un frère ou d'une sœur de l'enfant. A preinière vue, on est porté à croire que la loi est en contradiction avec elle-même, en se relâchant de la rigueur du droit commun dans une matière où elle se défie plus des témoignages que lorsqu'il s'agit d'intérêts pécuniaires. Mais la contradiction n'est qu'apparente. Les débats sur les questions d'état sont des débats où toute la famille est réellement engagée; car l'enfant demande à entrer dans la famille; il est done naturel que les écrits émanés des mem bres de la famille, intéressés à la contestation, puissent être invoqués par l'enfant.

On demande si des lettres peuvent servir de commencement de preuve. Les termes de l'article 321 présentent un

(1) Zachariæ, t. III, p. 659, note 22 Marcadé, t. II, p. 27, art. 323, no 1.

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