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motif de douter: le mot actes ne s'entend pas, en général, des lettres; toutefois, la doctrine et la jurisprudence sont d'accord pour les admettre (1). Ce n'est guère que dans les lettres que l'on trouve un commencement de preuve, quand il s'agit de l'état des personnes. Le droit commun d'ailleurs les admet, bien que l'article 1347 se serve aussi du mot acte. Cela décide la question. Il va sans dire que les lettres ne peuvent être produites en justice que du consentement de celui à qui elles sont adressées. Tel est le principe général, comme nous l'avons établi plus haut (n° 201). La cour de cassation l'a appliqué en matière de filiation dans un arrêt très-bien motivé: « Le secret des lettres dérive de la nature des choses qui ne permet pas qu'une confidence privée devienne l'objet d'une exploration. publique. Une lettre est la propriété de celui à qui elle est adressée; s'il en est dessaisi malgré lui, il y a violation de cette propriété; si l'on en fait un usage qu'il n'a pas consenti, il y a abus de confiance et violation de dépôt; à aucun de ces titres, la justice ne peut en tolérer la production (2). »

L'article 324 énumère les divers écrits qui peuvent servir de commencement de preuve. Cette énumération est-elle restrictive? C'est l'opinion commune. Il est vrai que les termes ne sont pas restrictifs, mais l'esprit de la loi l'est. Le commencement de preuve est un élément essentiel du débat; il doit prévenir les dangers de la preuve testimoniale. C'est au législateur seul à déterminer quels sont les actes qui méritent cette confiance (3). Il a été jugé, par application de ce principe, qu'un acte de notoriétó dressé sur la requête de l'enfant ne constitue pas un commencement de preuve par écrit (4).

Il est de l'essence du commencement de preuve par écrit qu'il rende vraisemblable le fait allégué (art. 1347). C'est une question de fait qui est abandonnée à l'apprécia

(1) Marcadé, qui avait enseigné le contraire, est revenu à l'opinion générale (t. II, p. 28, art. 324, no 2).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 12 juin 1823 (Dalloz, au mot Paternité, no 621).

(3) Bigot-Préameneu explique la loi en ce sens, dans l'Exposé des motifs, no 23 (Locré, t. 111, p. 90.

(4) Arrêt de Paris du 29 mai 1813 (Dalloz, au mot Paternité, no 272).

tion du juge (1). Il faut lire sur ce point le plaidoyer CII de Cochin. Ce sont d'ordinaire des lettres qui forment l'objet du débat. Il faut, dit-il, que les commencements de preuve se trouvent dans des actes qui ont un rapport direct à la filiation; car de nous présenter des actes absolument étrangers à l'objet de la naissance, et que l'on ne veut y appliquer que par des commentaires purement arbitraires, des écrits qui peuvent convenir à toutes personnes indifféremment, soit enfants, soit étrangers, c'est éluder la loi par des subtilités qui l'offensent et qui la feraient dégé nérer dans une véritable chimère... Est-ce un commence. ment de preuve par écrit que les témoignages des relations que l'enfant a eues et qui témoignent de l'estime, de l'amitié que l'on a pour lui? A ce seul titre, il faudra admettre. la preuve testimoniale et donner atteinte à l'état de toutes les familles (2)? »

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418. L'article 323 admet encore la preuve testimoniale lorsque les présomptions ou indices résultant de faits dès lors constants, sont assez graves pour déterminer l'admission. Il y a ici une nouvelle dérogation au droit commun. Le code Napoléon met les présomptions sur la même ligne que les témoignages; c'est une preuve principale qui est admise quand la preuve testimoniale l'est (art. 1353). En matière d'état, la loi n'admet pas les présomptions pour établir la filiation; mais elle les admet comme un commencement de preuve suffisant pour autoriser l'admission de la preuve testimoniale. Les écrits peuvent manquer; il y a malheureusement, malgré notre prétendue civilisation, de nombreuses familles où l'écriture est inconnue. Les faits. y tiennent lieu des lettres tels seraient des faits de possession, insuffisants pour fonder une possession d'état, c'est-à-dire une preuve complète, mais suffisants pour fournir un commencement de preuve.

La loi veut que les présomptions résultent de faits dès lors constants, c'est-à-dire de faits prouvés lors de la demande, soit que les parties les reconnaissent, soit qu'ils

(1) Voyez les arrêts rapportés dans Dalloz, au mot Paternité, no 275. (2) Cochin, Œuvres, t. IV, p. 358 et suiv., 361, 362.

résultent des documents du procès; peu importe, dit BigotPreamenca, comment ils sont établis, pourvu que leur existence soit démontrée aux parties autrement que par T'enquête demandée. C'est une condition préliminaire exigée pour que la preuve testimoniale soit admise; dès lors il est évident que les faits doivent être constants avant qu'on procède à l'enquête. De là suit que l'enfant ne peut pas faire la preuve de ces faits par témoins. Ce serait un véritable cercle vicieux; en effet, ce serait autoriser la preuve testimoniale, dont la loi se défic, par une autro preuve testimoniale, dont elle se défie également. Cependant il y a des auteurs qui admettent une exception à la rigueur de cette règle dans le cas où l'enfant allègue des faits de possession d'état (1). Cela est inadmissible. Peut-il y avoir une exception sans texte? On dit que la possession se prouve toujours par témoins. Oui, quand elle est complète, parce que dans ce cas la preuve testimoniale ne présente plus de danger, comme le dit Bigot-Préamenéu, la preuve portant sur des faits publics, notoires, continués pendant des années (2). Mais dès que la possession n'est pas complète, ce n'est plus une possession d'état, nous fentrons alors dans l'hypothèse de l'article 323; et ne seraitil pas absurde, contraire au texte comme à l'esprit de la loi, d'admettre une preuve dangercuso sur la foi d'uno preuve dangereuse?

Les faits, dit l'article 323, doivent produire des présomptions assez graves pour déterminer l'admission de la preuve testimoniale. C'est une question de fait. Il est inutile de citer des arrêts, les circonstances variant d'un cas à un autre (3). Mais il y a des applications qui soulèvent des questions de droit. Les père et mère ou l'un d'eux reconnaissent la légitimité de l'enfant. Il est certain quo cette reconnaissance ne fait pas preuve de la filiation, la loi n'admettant d'autres preuves que l'acte de naissance,

(1) Valette sur Proudhon. t. II, p. 91, note a, suivi par Demolombe, t. V, p226, no 252.

(2) Bigot-Préamenen, Exposé des motifs, no 21 (Locr3, t 111. p. 89). (3) Voyez un exemple dans un arrêt de Metz du 16 août 1816 (Ďalluz, zu mot Paternité, no 255).

la possession d'état et les témoignages. Mais n'est-ce du moins pas un commencement de preuve par écrit ? Les tribunaux peuvent l'admettre comme tel, si l'enfant l'opposo à celui de qui elle émane; mais ils ne doivent pas nécessairement l'admettre, tout dépend des circonstances dans lesquelles la reconnaissance se fait et de la sincérité des déclarations qu'elle contient (1).

419. L'acte de naissance irrégulier est-il un commencement de preuve? Il nous semble que les actes de naissance ne sont pas compris dans le texte de l'article 324: ce n'est pas un titre de famille, car comme titre il ferait preuve complète : ce n'est pas un acte public émané de la partie engagée dans la contestation, car l'acte de naissance n'émane pas d'un particulier, c'est l'œuvre d'un offi. cier public. Il faut done dire que l'acte de naissance fait preuve complète quand il est régulier, et il est régulier quand il indique suffisamment la mère. Que s'il y a une irrégularité qui rende la mère incertaine, l'acte ne fait plus aucune foi, sauf à l'enfant à demander la rectification. au tribunal, et si l'acte rectifié fait connaître le nom de la mère, il prouvera la maternité et par suite la paternité, sauf désaveu. En aucun cas, il ne peut donc être question d'un commencement de preuve résultant de l'acte de naissauce. La jurisprudence sur ces questions est incertaine (2); nous l'avons discutée en traitant de la preuve littérale (n° 398). Si l'acte de naissance n'est pas un commencement de preuve par écrit, le juge peut-il du moins y chercher des présomptions résultant de fits constants? Nous ne le croyons pas, et pour les mêmes raisons. Tant que T'acte est irrégulier, il ne prouve rien; du moment qu'il sera rectifié, il fera preuve complète.

420. Quel est l'objet de la preuve testimoniale? L'enfant doit prouver par témoins d'abord l'accouchement do la femme qu'il prétend étre sa mère, ensuite son identité. C'est la preuve directe de la filiation maternelle. L'article 3-11 le dit de la recherche que l'enfant naturel fait do

(1) Voyez la jurisprudence daus Dalloz, au mot Paternité, nos 307 et 275, 2o. (2) Dalloz, au mot Paternité, nos 220, 281 et 282.

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sa mère; or la preuve est identique, qu'il s'agisse de la filiation légitime ou de la filiation naturelle. Il va sans dire que les adversaires de l'enfant sont admis à combattre les témoignages qu'il produit. C'est le droit commun. L'article 325 le dit « La preuve contraire pourra se faire par tous les moyens propres à établir que le réclamant n'est pas l'enfant de la mère qu'il prétend avoir. Si la loi s'est expliquée sur ce point, c'est peut-être pour marquer que les défendeurs sont admis à la preuve testimoniale sans commencement de preuve. Cela encore allait sans dire. C'est le débat que la loi repousse, tant qu'il n'y a pas un commencement de preuve pour la demande; mais une fois le procès engagé, et la preuve par témoins admise pour le demandeur, il fallait bien admettre le défendeur à combattre par d'autres témoignages les témoignages qu'il allegue (1). L'appréciation de tous ces témoignages appartient au juge; il admet ou il rejette la filiation, selon sa

conscience.

421. La maternité est prouvée. Est-ce que l'enfant peut invoquer la présomption de l'article 312? Aura-t-il pour père le mari de la mère, sauf désaveu? L'article 325 répond à notre question : « Même la maternité prouvée, l'on est admis à faire la preuve par tous les moyens que le réclamant n'est pas l'enfant du mari de la mère. » Il résulte de cette disposition d'abord que la preuve de la maternité entraîne indirectement celle de la paternité, en vertu de la présomption établie par l'article 312. Cela est fondé en raison. Dès qu'il est prouvé que l'enfant est conçu d'une femme mariée, il a nécessairement pour père le mari. Mais le mari ne peut-il combattre cette présomption que par l'action en désaveu? Sur ce point, l'article 325 déroge à l'article 312, puisqu'il admet les adversaires de l'enfant à prouver par tous les moyens que le réclamant n'est pas l'enfant du mari de la mère. Les termes de la loi prouvent qu'il ne s'agit pas de l'action en désaveu. Car le désavcu ne peut pas être formé par tout adversaire de l'enfant,

(1) Tout le monde est d'accord sur ce point (Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 310 et note 26.

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