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le porte l'article 46, les mariages, naissances et décès. Quant aux mariages et aux décès, il n'y a aucune difficulté. Il n'en est pas de même des naissances. L'acte de naissance ne prouve pas seulement le fait qu'un enfant est né, il prouve encore la filiation, quand il s'agit d'enfants nés du mariage. Or, l'acte de naissance est remplacé par la preuve testimoniale, lorsqu'il n'a pas existé de registres ou qu'ils sont perdus; donc la preuve testimoniale établit également la filiation des enfants légitimes. Vainement objecte-t-on que l'article 46 dit seulement que les naissances seront prouvées par témoins; il ne dit pas que la filiation sera établie par la preuve testimoniale. La réponse est simple et péremptoire : l'objet de l'article 46 n'est pas de déterminer ce que prouvent les actes de naissance et la preuve testimoniale; il n'a qu'un seul but, c'est de décider dans quels cas et sous quelles conditions l'acte qui n'a pas été inscrit sur les registres peut être remplacé par des témoignages. Quant à la preuve résultant des actes de naissance, il en est traité au titre de la Paternité là nous lisons que l'acte de naissance fait preuve de la filiation quand il s'agit d'enfants légitimes; donc la preuve testimoniale qui le remplace, dans le cas de l'article 46, doit aussi établir la filiation.

Nous disons que tel est aussi l'esprit de la loi. On lit dans les Observations de la section de législation du Tribunat sur l'article 46, que le but de cette disposition est de constater l'état des citoyens (1). Donc quand il s'agit de la naissance d'un enfant légitime, la loi veut assurer son état, c'est-à-dire sa filiation. C'est là le grand intérêt de l'enfant. Que lui importe de prouver le fait matériel de sa naissance, si cette preuve n'entraîne pas celle de sa filiation? On dira qu'il y a un autre intérêt qui domine celui de l'enfant : l'intérêt des familles, qui est aussi celui de la société, demande que la preuve testimoniale soit écartée, quand il s'agit de prouver l'état des personnes. Tel est bien le système que le code Napoléon établit au titre de la Paternité; qu'il s'agisse de la filiation légitime ou de la filiation naturelle,

(1) Observations du Tribunat, no 2 (Locré, t. II, p. 85).

il exige un commencement de preuve pour rendre la preuve testimoniale admissible (art. 323, 340, 341). C'est donc violer l'esprit de la loi que d'admettre les témoignages sans aucun commencement de preuve. La réponse est simple et, à notre avis, péremptoire. Il n'est pas exact de dire que la loi pose le principe absolu que jamais, en matière de filiation, la preuve par témoins n'est admise que si elle est appuyée sur un commencement de preuve. La filiation légitime est établie par la possession d'état, et la possession d'état se prouve par témoins. Pourquoi le législateur admet-il dans ce cas les témoignages? Parce qu'ils ne présentent aucun danger. N'en serait-il pas de même lorsqu'il n'y a pas de registres? Il n'est pas vrai de dire que dans ce cas la preuve par témoins est admise d'une manière absolue; le demandeur doit, avant tout, prouver que les registres n'ont pas existé ou qu'ils sont perdus. Cette preuve préalable donne quelque probabilité à sa demande, en ce sens qu'il prouve l'impossibilité où il est de produire un titre qui n'a jamais existé ou qui a été détruit. Tandis que s'il existe des registres et que l'acte de naissance de l'enfant ne s'y trouve point, toutes les probabilités sont contre l'enfant; le législateur a dû, pour cette raison, repousser la preuve testimoniale, à moins que le danger n'en soit diminué par un commencement de preuve résultant d'écrits ou de présomptions. Cela explique la différence qui existe entre l'article 46 et l'article 323 : les deux dispositions prévoient des cas différents, et là où il n'y a pas même raison de décider, il ne doit pas y avoir même décision (1).

La preuve est différente dans les deux cas, et l'effet de la preuve diffère également. Quand il n'a pas existé de registre ou qu'ils sont perdus, la loi admet, et sur la même ligne, les registres et papiers émanés des père et mère et la preuve par témoins. Tandis que si l'enfant n'a ni titre ni possession, et qu'il n'allègue pas la non-existence ou la

(1) Cette opinion est enseignée par Zachariæ, Valette, Duvergier et Demolombe. L'opinion contraire est professée par Delvincourt, Duranton et Marcadé. Voyez les sources dans Demolombe (t. V, p. 536, nos 233 et 234) et Dalloz, au mot Paternité, no 266.

perte des registres, la loi n'admet les papiers domestiques que comme un commencement de preuve. L'article 323 admet aussi à titre de commencement de preuve les présomptions résultant de faits constants; tandis que dans le cas prévu par l'article 46, les présomptions sont admises comme preuve principale par cela seul que la preuve testimoniale l'est (art. 1353). Quand l'enfant a prouvé sa filiation par témoins, dans le cas de l'article 323, le mari peut prouver par tous moyens qu'il ne lui appartient pas. Lorsque, au contraire, l'enfant recourt à la preuve testimoniale pour remplacer des registres qui n'existent pas, la preuve de la filiation maternelle ne peut être combattue que par l'action en désaveu; en effet, elle tient lieu de l'acte de naissance; or, l'acte de naissance ne peut être combattu que par le désaveu (1).

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426. On donne le nom de questions d'état aux actions qui concernent la filiation. La cour de cassation définit l'état en ces termes : « L'état consiste dans les rapports que la nature et la loi civile établissent, indépendamment de la volonté des parties, entre un individu et ceux dont il tient la naissance (2). » Dans ce sens large, l'enfant naturel a un état aussi bien que l'enfant légitime, mais l'état de celui-ci embrasse des relations plus étendues que l'état de l'enfant naturel; car elles s'étendent à toute la famille des

(1) Mourlon, Répétitions, t. I, p. 455 et suiv.

(2) Arrêt du 12 juin 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 633, 2o).

père et mère, tandis que l'enfant naturel n'a pas de famille. Comme le dit la définition de la cour de cassation, l'état a pour base la filiation, il en découle comme de sa source. D'où suit que les actions concernant la filiation sont essentiellement des questions d'état. Telles sont :

Le désaveu, car il tend à contester la filiation légitime de l'enfant conçu ou au moins né pendant le mariage:

La contestation de légitimité, dans le sens spécial de l'article 315. Quand l'enfant naît trois cents jours après la dissolution du mariage, sa légitimité peut être contestée, c'est-à-dire que le demandeur nie que cet enfant soit conçu pendant le mariage; or, l'action qui tend à nier la filiation légitime est une question d'état aussi bien que l'action par laquelle l'enfant réclame sa légitimité:

L'action en réclamation d'état, qui est intentée par l'enfant ou ses héritiers, soulève toujours une question d'état, car l'enfant prétend appartenir à telle famille à raison de sa filiation.

L'action en contestation d'état tend à repousser l'enfant de la famille à laquelle il prétend appartenir, soit que l'enfant possède l'état qu'on lui conteste, soit qu'il ne le possède pas. Dans ce sens, le désaveu est une action en contestation d'état, car le mari conteste à l'enfant la qualité d'enfant légitime.

427. L'état des personnes est régi par des principes qui s'appliquent, du moins en général, à toutes les questions d'état. Il y a un principe fondamental en cette matière, c'est que l'état est, dans son essence, un droit moral. Il est vrai qu'il est la source de droits pécuniaires qui peuvent être très-considérables, mais ce ne sont pas ces droits qui constituent l'état; l'état peut exister, à la rigueur, sans qu'il en résulte des avantages pécuniaires; ce qui en fait l'élément essentiel, c'est le sang, c'est la famille, c'est l'honneur qui y est attaché. Par cela même, l'état est d'ordre public; il est la base de la classification civile des personnes. Il est aussi d'intérêt général, car c'est sur la filiation que reposent les familles, et la famille est le fondement de la société civile et politique. Il suit de là que l'état n'est pas dans le commerce; on n'achète pas, on ne vend pas le

sang ni la filiation. Par suite, l'état ne peut faire l'objet d'aucun fait juridique qui implique le commerce, dans le sens légal du mot. Donc personne ne peut transiger sur son état (1). La transaction suppose une renonciation; or, l'on ne conçoit pas que l'enfant renonce à son état; ce serait renoncer au sang, abdiquer des liens que la nature a formés, ce qui est impossible; ce serait aliéner une chose qui, n'étant pas dans le commerce, ne peut pas faire l'objet d'une aliénation; ce serait régler par des conventions particulières une matière qui est d'ordre public et d'intérêt général, ce que la loi ne permet pas. Toute renonciation que l'enfant ferait à son état est donc radicalement nulle (2). De là suit que si l'enfant a intenté une action en réclamation d'état et s'il s'en désiste, le désistement est nul, en tant qu'il implique une renonciation à son état; il pourra réclamer son état malgré son désistement. Par la même raison, il ne peut acquiescer au jugement qui a reieté sa demande; cet acquiescement ne l'empêcherait pas d'interjeter appel. Il est vrai que l'enfant peut ne pas interjeter appel; son silence impliquera un acquiescement tacite; mais si, dans ce cas, l'enfant est déchu du droit d'appel, c'est moins par sa volonté que par l'autorité que la loi attache aux jugements, et par la nécessité de mettre un terme aux procès (3).

Il suit du même principe que l'on ne peut opposer à l'enfant un aveu quelconque qu'il aurait fait de sa filiation, ni lui déférer le serment sur son état. Le serment ne peut jamais être déféré en matière d'état, pas plus au profit de l'enfant que contre lui, parce que le serment décisoire implique une transaction, et toute transaction sur une question d'état est frappée de nullité. Quant à l'aveu, il contient une disposition du droit sur lequel il porte; dès lors il est inadmissible en matière d'état.

Enfin, il résulte du même principe que l'état ne peut ni s'acquérir ni se perdre par prescription. La loi le dit de

(1) Arrêt d'Orléans du 6 mars 1841 (Dalloz, au mot Paternité, no 387, 3o). (2) Arrêt de Montpellier du 20 mars 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 66, p. 184). (3) Duranton, Cours de droit français, t. III, p. 146, no 144.

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