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la prescription extinctive que l'on voudrait opposer à l'action en réclamation d'état intentée par l'enfant; l'article 328 n'est que l'application d'un principe général, c'est que la prescription, soit acquisitive, soit extinctive, suppose un droit qui est dans le commerce, un droit que l'on peut acquérir par titre ou par possession, un droit que l'on peut perdre par une renonciation tacite ou par négligence, toutes suppositions étrangères à l'état des personnes. D'ailleurs la prescription est établie dans l'intérêt général; or, l'intérêt de la société demande précisément que l'état soit imprescriptible; il importe que chacun puisse toujours réclamer la filiation qui lui appartient, et il importe également que l'on puisse toujours contester l'état de celui qui n'a aucun droit à la filiation qu'il possède ou qu'il revendique (1).

428. Il ne faut pas confondre l'état avec les droits pécuniaires qui y sont attachés. Quoique ces droits dérivent de l'état qui est d'ordre public et d'intérêt social, ils n'ont rien de commun avec l'ordre public ni avec l'intérêt de la société. Ils restent donc sous l'empire des principes généraux qui régissent les droits patrimoniaux. Ces droits sont dans le commerce; donc ils peuvent faire l'objet de toute espèce de convention, par exemple d'une transaction. La cour d'Orléans a fait une application remarquable de ce principe. Une transaction portait tout ensemble sur l'état de l'enfant et sur les droits pécuniaires qui en dérivaient. La cour maintint la convention quant aux intérêts pécuniaires, et l'annula quant à la question d'état. Bien que compris dans une même convention, les droits pécuniaires et les droits d'état sont essentiellement différents; on peut transiger sur les uns, on ne le peut pas sur les autres; la cour devait donc les séparer, comme elle l'a fait (2).

(1) C'est le motif donné par Bigot-Préameneu, Exposé des motifs, no 25 (Locré, t. III, p. 90).

(2) Arrêt d'Orléans du 6 mars 1841 (Dalloz, au mot Paternité, no 387, 3o). Comparez un arrêt de la cour de cassation du 29 mars 1852 (Dalloz, 1854, 1, 392), qui maintient une convention sur le partage de la communauté et de la succession, intervenue entre des enfants légitimes et des enfants adultérins.

Il suit de là que l'enfant peut renoncer aux droits pécuniaires qui sont attachés à son état; il peut se désister d'une action qui les concerne, y acquiescer. On peut se prévaloir de son aveu et lui déférer le serment. Enfin ces droits étant dans le commerce, on peut les acquérir et les perdre par la prescription.

429. L'état, considéré comme droit moral, ne concerne que l'enfant. Il est vrai que, en principe, ses descendants auraient aussi un intérêt moral à réclamer l'état qui appartenait à leur père. Mais le code Napoléon n'admet pas cette théorie; il en serait résulté que les débats sur les questions d'état auraient été éternels, ce qui eût compromis le repos des familles, et par conséquent troublé la société. Le législateur a donc limité la contestation sur l'état à la vie de l'enfant. A sa mort, l'état, comme droit moral, s'éteint; il n'est plus considéré que comme source d'intérêts pécuniaires. Les droits patrimoniaux attachés à l'état passent naturellement aux héritiers quels qu'ils soient, avec le patrimoine dans lequel ils se trouvent. De là suit que les questions d'état changent entièrement de nature, quand les héritiers y figurent. Les droits pécuniaires seuls sont en cause; or, ces droits sont dans le commerce, donc ils peuvent faire l'objet de transactions; les héritiers y peuvent renoncer; ils peuvent se désister de leur action, acquiescer; leurs droits sont sujets à prescription.

430. Les principes que nous venons d'exposer reçoivent des modifications en matière de désaveu; nous les ferons connaître en traitant de l'action en désaveu. Il nous faut noter encore quelques règles spéciales de procédure applicables aux actions qui concernent l'état des personnes. Le préliminaire de conciliation devant le juge de paix, que la loi prescrit pour toute demande principale introductive d'instance, ne doit et ne peut avoir lieu quand l'action porte sur des objets qui ne peuvent être la matière d'une transaction. Telles sont les questions d'état, lorsque l'enfant est partie en cause elles sont par leur nature dispensées d'un essai de conciliation qui n'aurait aucun but. Il n'en est pas de même quand les héritiers figurent

au procès, puisque le débat porte sur des intérêts pécuniaires (code de procédure, art. 48).

Aux termes de l'article 83 du code de procédure, les causes qui concernent l'état des personnes sont communicables aux ministère public. Cette disposition reçoit son application aux actions où l'enfant figure; elle ne s'applique plus quand les héritiers sont parties au procès, car, à leur égard, la cause rentre dans le droit commun qui régit toutes les contestations d'intérêt pécuniaire.

SECTION II. De l'action en désaveu.

§ Ier. Quand il y a lieu au désaveu.

431. L'article 312 dit que l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari; que néanmoins celui-ci peut désavouer l'enfant s'il prouve qu'à l'époque de la conception, il était dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme; l'article 313 ajoute qu'il peut aussi le désavouer pour cause d'impossibilité morale de cohabitation. Quant à l'enfant né pendant le mariage, mais conçu avant la célébration, le mari a, en principe, le droit absolu de le désavouer (art. 314). D'après ces dispositions, il y aurait lieu à l'action en désaveu contre l'enfant conçu ou né pendant le mariage. Mais pour que l'enfant puisse invoquer la présomption de paternité, qui ne peut être combattue que par le désaveu, il faut qu'il prouve qu'il est conçu ou né de la femme mariée qu'il prétend être sa mère. Cette preuve vient modifier les principes du désaveu, tels qu'ils résultent des articles 312, 313 et 314.

La loi admet trois preuves pour établir la filiation des enfants légitimes: l'acte de naissance, la possession d'état et la preuve testimoniale. Quand l'enfant prouve sa filiation maternelle par un acte de naissance, il peut invoquer la présomption de paternité, et le mari n'est admis à la combattre que par le désaveu. Cela résulte de la combinaison de l'article 319 avec les articles 312,313 et 314. En effet, l'acte de naissance, appuyé sur l'acte de célébra

tion du mariage, prouve que l'enfant est né d'une femme mariée, pendant son mariage, qu'il ait été conçu après ou avant, peu importe; dès lors il y a lieu à la présomption de paternité et par suite à l'action en désaveu.

Il n'en est pas de même quand l'enfant prouve sa filiation par la possession d'état. En théorie, comme nous l'avons dit (n° 408), on pourrait soutenir qu'il y a lieu à désaveu; mais en fait, le désaveu n'est pas recevable, puisque la possession d'état se fonde précisément sur l'aveu du mari qui a traité l'enfant comme sien. Quand la possession d'état est constante, il ne peut donc plus être question de désaveu. Tout ce que le père ou, s'il y a lieu, ses héritiers peuvent faire, c'est de combattre les témoignages que l'enfant produit pour prouver la possession d'état.

Lorsque, à défaut de titre et de possession d'état, l'enfant prouve sa filiation par témoins, il peut, à la vérité, invoquer la présomption de paternité de l'article 312, mais cette présomption n'a plus la même force que lorsqu'elle repose sur un acte de naissance. Le mari peut par tous les moyens de droit, dit l'article 325, prouver que l'enfant ne lui appartient pas. Ce n'est plus l'action en désaveu, c'est la preuve contraire qui est régie par le droit commun (no 421).

Nous ne faisons que résumer les principes que nous avons exposés. Il en résulte que le mari ne doit recourir à l'action en désaveu que lorsque l'enfant établit sa filiation maternelle par l'acte de naissance. Cette règle est admise par la doctrine et par la jurisprudence; elle ne fait l'objet d'aucun doute (1). La cour de cassation a jugé que si l'enfant n'a pas de titre, le mari ne doit pas intenter contre lui l'action en désaveu (2). On ne désavoue que celui qui a pour lui la présomption de paternité résultant du mariage de la mère et prouvée par un acte de naissance. L'enfant qui n'a pas de titre doit former une demande en réclamation d'état; s'il allègue la possession, le

(1) Arrêt de Paris du 11 janvier 1864 (Dalloz, 1864, 2, 19). (2) Arrêt du 11 avril 1854 (Dalloz, 1854, 1, 92).

mari peut la combattre en prouvant qu'il n'a jamais avoué cet enfant comme sien; s'il recourt à la preuve testimoniale, le mari peut la repousser par la preuve contraire, sans être assujetti aux règles sur le désaveu. L'action en désaveu doit être intentée dans un délai très-court, dans le mois, en règle générale; ce délai ne peut être opposé au mari que lorsqu'il doit former une action en désaveu pour rejeter l'enfant de la famille, ce qui suppose que l'enfant a un titre; s'il n'en a pas, le mari n'est pas tenu de s'engager dans un procès scandaleux contre l'enfant qui probablement ne réclamera jamais un état auquel il n'a aucun droit; il peut attendre que l'enfant intente son action, alors il le repoussera par tous moyens légaux (1).

432. Quand l'enfant a un acte de naissance, il ne peut être rejeté de la famille que par une action en désaveu. Tel est le principe. Mais que faut-il décider si le titre est irrégulier? Il faut distinguer si l'irrégularité porte sur l'indication de la mère ou si elle porte sur la désignation du père. Si la mère n'est pas indiquée d'une manière certaine, l'enfant ne peut plus se prévaloir de son acte de naissance, sauf à en demander la rectification. En effet, l'acte de naissance doit prouver précisément la filiation maternelle; si donc l'acte ne fait pas connaître la mère d'une manière certaine, il ne peut plus être invoqué par l'enfant. Voici un cas qui s'est présenté. L'acte de naissance n'indiquait pas la mère sous son nom de femme mariée, cette irrégularité à elle seule n'aurait pas empêché que la mère ne fût certaine; mais de plus on donnait à la mère deux prénoms qui appartenaient à sa sœur, et dont l'un seulement lui était propre; l'énonciation du domicile pouvait encore s'appliquer à sa sœur aussi bien qu'à elle. Il y avait donc incertitude sur la maternité. La cour de Rouen décida que l'enfant devait, avant tout, faire rectifier son acte de naissance. Peut-être ne se serait-elle pas arrêtée devant ces irrégularités, si les circonstances de la cause n'avaient éveillé ses soupçons; le mari, lors de

(1) Demolombe, t. V, p. 137, no 145. Arrêt de Caen du 17 mars 1847 (Dalloz, 1848, 2, 57).

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