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particulier n'y succèdent pas. C'est l'opinion commune; elle ne peut donner lieu à une difficulté sérieuse.

Puisque l'action appartient aux héritiers en leur qualité de successeurs universels, il en faut conclure que s'ils renoncent à l'hérédité, ils renoncent par cela même à l'action en désaveu. Par contre, s'ils l'acceptent et s'ils vendent leur droit héréditaire, l'acheteur peut exercer le désaveu. Car le désaveu n'a plus aucun caractère moral ni d'ordre public dans les mains de l'héritier; c'est un droit patrimonial qui passe à l'acheteur avec l'hérédité où il se

trouve.

439. L'application de l'article 317 donne lieu à de sérieuses difficultés. On demande d'abord si les héritiers doivent attendre que l'enfant les trouble dans leur possession, soit en se mettant en possession des biens du mari, soit en intentant une action en pétition d'hérédité contre les héritiers? Ou peuvent-ils agir avant d'être troublés? La doctrine et la jurisprudence distinguent. Si l'enfant a un acte de naissance ou la possession d'état, les héritiers pourront le désavouer, quand même il ne réclamerait aucun droit d'hérédité. L'enfant appartient, dans ce cas, à la famille, il importe de l'en chasser, parce que d'un jour à l'autre il peut réclamer ses droits; les héritiers sont donc toujours menacés, et s'ils devaient attendre que l'enfant agît contre eux, pour le rejeter de la famille, leurs preuves pourraient se perdre et par suite leur action périrait. Ils ont donc un intérêt à agir immédiatement; l'article 317 ne s'y oppose pas; il dit bien que la prescription ne court contre les héritiers qu'à partir du moment où leurs droits pécuniaires sont compromis, il ne dit pas qu'il ne peuvent agir avant tout trouble (1). Mais si l'enfant n'a ni titre ni possession, s'il est inscrit sous de faux noms, ou comme né de père et mère inconnus, dans ce cas, il n'a pas d'état, il ne menace pas les héritiers; leurs droits pécuniaires n'étant pas compromis, ils n'ont aucun intérêt à agir, car leur intérêt est un intérêt pécu

(1) Arrêt de Liége du 12 fructidor an xIII, confirmé par arrêt de la cour de cassation du 25 août 1806 (Dalloz, au mot Paternité, no 151).

niaire, donc il doit être né au moment où ils intentent l'action; or, à ce moment l'enfant les menace si peu, que ce sont eux, les héritiers, qui devraient commencer par rechercher sa filiation, pour l'expulser ensuite de la famille en le désavouant. Ne serait-ce pas une action sans intérêt, partant non recevable? Ne serait-ce pas une recherche de la maternité, naturelle ou adultérine, recherche que le code prohibe quand la filiation est adultérine (art. 342), que la jurisprudence repousse dans tous les cas, quand la maternité est recherchée contre l'enfant (1)?

A notre avis, il y a plus d'une erreur dans cette doctrine, sans parler des contradictions. Nous n'admettons pas que les héritiers aient le droit d'agir alors qu'ils ne sont pas troublés. Leur intérêt n'est jamais qu'un intérêt pécuniaire; il faut donc leur appliquer dans toute sa rigueur la règle qu'il n'y a pas d'action sans intérêt; cet intérêt doit être né et actuel, ce qui n'a lieu que si l'enfant se met en possession des biens du mari, ou s'il trouble les héritiers dans cette possession. Il ne suffit pas que l'enfant ait un titre ou la possession d'état, pour que les héritiers aient un intérêt actuel à agir; ce qui prouve, au contraire, qu'ils n'ont aucun intérêt, c'est que l'enfant ne réclame rien contre eux, malgré son titre ou sa possession. Il pourra, il est vrai, réclamer un jour, mais cette éventualité peu probable n'est pas un intérêt né, présent: le danger que les preuves ne dépérissent ne constitue pas davantage un intérêt actuel. Les héritiers ont contre eux l'esprit de la loi aussi bien que son texte. La loi ne leur donne qu'à regret, comme on l'a dit, l'action en désaveu, elle la leur refuse comme droit moral; dès lors ils ne peuvent agir que si leur intérêt est réellement compromis. Qu'ils ne viennent donc pas troubler les familles, soulever des débats scandaleux, déshonorants pour la mère et pour l'enfant, par la seule raison qu'il leur convient de prévenir une action peu probable que l'enfant pourra intenter!

(1) Arrêt de la cour d'Angers du 21 mai 1851, confirmé par arrêt de la cour de cassation du 5 avril 1854 (Dalloz, 1853, 2, 23; 1854, 1, 93).

Nous disons que la doctrine consacrée par la jurisprudence est contradictoire. Elle donne au mari le droit d'agir alors même que l'enfant est sans titre ni possession, par la raison que cet enfant pourra toujours réclamer son état, et elle refuse ce droit à ses héritiers. La distinction ne repose sur aucun principe. En effet, l'action passe aux héritiers telle que le mari l'avait, sauf que de morale qu'elle était, elle devient pécuniaire. Si le mari peut agir immédiatement, pour écarter un danger futur, les héritiers, étant menacés du même danger, doivent avoir le même droit. L'élément moral du désaveu est ici hors de cause; dès lors l'action des héritiers ne diffère en rien de celle du mari; elle doit donc être régie par les mêmes principes. A vrai dire, il ne s'agit pas du désaveu proprement dit, comme nous croyons l'avoir démontré. Il s'agit d'une contestation de légitimité. Si le mari a le droit de prendre l'initiative de cette contestation, pourquoi ses héritiers ne l'auraient-ils pas? Nous le refusons au mari et, par identité de raison, aux héritiers.

440. L'article 317 énumère deux cas dans lesquels l'enfant compromet les intérêts pécuniaires des héritiers. Quand il se met en possession des biens du mari, il n'y a aucun doute; la loi ajoute : ou quand il trouble les héritiers dans cette possession. Il s'agit d'un trouble de droit, c'est-à-dire d'une prétention que l'enfant manifeste sur les biens délaissés par le mari, biens qui sont possédés par les héritiers; car c'est dans la possession des biens que, selon le texte, les héritiers doivent être troublés. La cour de cassation a décidé qu'il y a trouble lorsque l'enfant, dans un acte judiciaire ou extrajudiciaire, notifie aux héritiers légitimes ses prétentions à la légitimité, et par conséquent à sa part héréditaire dans les biens du mari; qu'il n'est pas nécessaire que l'enfant intente une action directe contre les héritiers, en partage des biens. En effet, la loi ne l'exige pas. Dans l'espèce, c'était la mère de l'enfant qui, en sa qualité de tutrice, avait notifié les prétentions de l'enfant à ses frères et sœurs légitimes. C'était évidemment un trouble qui mettait les hé

ritiers en demeure de rejeter l'enfant de la famille (1). Les héritiers sont encore troublés quand l'enfant fait rectifier l'acte de naissance et notifie aux héritiers le jugement de rectification, avec injonction de lui délaisser les biens de son père. Dans ces termes, la chose est si évidente que l'on ne conçoit pas que la question ait été portée devant la cour de cassation; mais ce qui la compliquait, c'est que les héritiers étaient parties dans l'instance en rectification, et qu'ils avaient interjeté appel du jugement; on pouvait dire que par l'appel le jugement perdait ses effets, que par suite le trouble était comme non avenu. Mais le trouble résultait moins du jugement que de la notification par laquelle l'enfant réclamait une partie des biens (2). Il faudrait même aller plus loin; une action en rectification dirigée contre les héritiers, avec conclusion de délaisser au réclamant les biens du mari, serait un trouble, puisque la demande attaque et compromet les droits des héritiers sur les biens du défunt. Mais si les héritiers n'étaient pas mis en cause, il n'y aurait de trouble que si l'enfant leur notifiait le jugement de rectification.

441. L'action que la loi donne aux héritiers ne diffère en rien de celle qui appartient au mari, sauf qu'elle est pécuniaire. C'est un désaveu, et par conséquent il faut арpliquer tous les principes qui régissent le désaveu. Il est vrai que l'article 317 dit que les héritiers ont deux mois pour contester la légitimité de l'enfant, au lieu de dire que les héritiers pourront désavouer l'enfant; mais ce même article se sert aussi, en parlant de l'action du mari, du mot vague de réclamation. Il est certain que c'est l'action du mari qui passe aux héritiers, ils l'ont donc sous les mêmes conditions et avec les mêmes effets. Si l'enfant est conçu avant le mariage, ils ont le droit absolu de le désavouer (art. 314); si l'enfant est conçu pendant le mariage,

(1) Arrêt de cassation du 21 mai 1817, et sur le renvoi, arrêt dans le même sens de la cour d'Orléans du 6 février 1818 (Dalloz, au mot Paternité, n® 145, 2°).

(2) Arrêt de cassation du 31 décembre 1834, et sur renvoi, arrêt de Gronoble du 5 février 1836 (Dalloz, au mot Paternité, no 145, 3°).

ils peuvent le désavouer en prouvant l'impossibilité physique ou morale de cohabitation (art. 312 et 313). Ce dernier point a donné lieu à une légère difficulté. Le mari seul peut dénoncer l'adultère de sa femme; de là Proudhon a conclu que si le désaveu est fondé sur l'adultère, les héritiers ne peuvent exercer l'action, à moins que la femme n'ait été condamnée pour adultère sur la plainte du mari. Cette opinion, bien qu'ingénieuse, n'a pas trouvé faveur. Les héritiers qui désavouent, dans le cas prévu par l'article 313, doivent, à la vérité, prouver l'adultère, mais ils ne le dénoncent pas, ils ne poursuivent pas la condamnation de la femme, dès lors il n'y a pas lieu d'appliquer les principes qui régissent la poursuite de l'adultère. C'est l'état de l'enfant qui est seul l'objet de la demande (1). Seulement les héritiers doivent faire toutes les preuves que la loi exige pour établir l'impossibilité morale de cohabitation; ils sont, sous ce rapport, absolument assimilés au mari (2).

442. La loi n'accorde l'action en désaveu qu'au mari et à ses héritiers. Comme elle est restrictive, il en résulte que la mère n'a pas le droit de désavouer l'enfant. Le désaveu porte sur la paternité, alors que la maternité est certaine l'action de la mère tendrait donc à faire déclarer son enfant naturel ou adultérin, en s'accusant ellemême d'adultère ou de concubinage; le législateur n'a pas pu admettre une action aussi immorale. Par la même raison, l'enfant n'a pas le droit de rejeter la paternité que lui donnent le mariage et l'acte de naissance qui constate sa filiation maternelle. Il est cependant arrivé qu'un enfant a essayé d'abdiquer sa légitimité légale et non contestée, pour réclamer une filiation adultérine, dans la vue d'obtenir de plus grands avantages pécuniaires; la cour de Rouen a repoussé cette scandaleuse demande, comme contraire aux lois, aux mœurs et à tout sentiment de pudeur, dans son but comme dans ses résultats (3).

(1) Proudhon, Traité sur l'état des personnes, t. II, p. 55, et la critique de Valette, p. 56, note a.

(2) Arrêt d'Aix du 11 janvier 1859 (Dalloz, 1859, 2, 85).

(3) Arrêt du 6 juin 1820 (Dalloz, au mot Paternité, no 104).

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