Page images
PDF
EPUB

il aurait pu et dû l'apprendre. La question est plus délicate quand le mari est sur les lieux, mais que les époux vivent séparés soit de fait, soit en vertu d'un jugement. Dans ce cas, le mari peut aussi ignorer la naissance et l'existence de l'enfant, quoiqu'il n'y ait eu aucune fraude. Par cela même, le mari est déchu. Cela est contraire à l'esprit de la loi, puisque le silence du mari est un aveu; or, l'aveu ne se conçoit pas si le mari ignore qu'il ait un enfant. Il y a lacune dans le code. En France, elle a été comblée, pour la séparation de corps, par la loi du 6 décembre 1850; et sous l'empire de cette loi, il a été jugé que lorsque le mari ignore la naissance de l'enfant, le délai du désaveu ne court que du jour où il en a acquis la connaissance certaine (1).

447. Le mari peut-il désavouer l'enfant avant sa naissance? Un arrêt de la cour de Liége a décidé la question affirmativement, et tel est aussi l'avis de Zachariæ. Nous croyons avec M. Demolombe que c'est une erreur. « Aucune loi, dit la cour de Liége, ne défend à un époux qui voit sa dernière heure approcher de désavouer l'enfant qui est encore dans le sein de sa mère, et pareil désaveu n'a été frappé d'aucune nullité. » Non, il n'y a pas de loi qui le défend, mais les principes les plus élémentaires de droit le défendent. Le désaveu est une action judiciaire, et peut-on agir contre celui qui n'existe pas? Or, l'enfant conçu n'est pas encore une personne. Il est vrai qu'une fiction le considère comme né quand il s'agit de ses intérêts. Mais la fiction doit être renfermée dans les limites pour lesquelles elle est établie : on ne peut pas l'invoquer contre l'enfant conçu. Cela décide la question.

Faut-il que l'enfant réclame ses droits pour que les délais courent? La cour de cassation a jugé que l'action en désaveu peut être exercée contre un enfant qui n'a ni titre ni possession d'état, sans qu'il soit nécessaire d'attendre que cet enfant réclame les droits d'enfant légitime. A notre

(1) Arrêt de la cour de cassation du 9 décembre 1857 (Dalloz, 1858, 1, 132). (2) Arrêt de Liége du 10 fructidor an XIII (Dalloz, au mot Paternité, n 151). Zachariæ, traduction de Massé et Vergé, t. Ier, p. 303. En sens contraire, Demolombe, t. V, p. 150, no 161.

avis, comme nous l'avons dit plus haut (n° 434), ce cas n'est pas celui du désaveu, c'est le cas d'une action en contestation de légitimité. Quant au désaveu proprement dit, il est évident que le mari ne doit pas attendre la réclamation de l'enfant; la loi ne l'exige pas, et le plus souvent la chose eût été impossible, puisque le désaveu doit se faire dans le mois de la naissance.

448. Aux termes de l'article 318, les héritiers ont deux mois pour contester la légitimité de l'enfant. Les héritiers ont donc un délai de deux mois dans tous les cas où il y a lieu à désaveu, tandis que le mari n'a qu'un mois, s'il est sur les lieux. Cette différence est très-juste. Le mari ne peut pas ignorer le fait de sa paternité, une fois que la maternité est certaine; tandis que les héritiers, étrangers à l'intimité des relations qui existent entre époux, peuvent ne pas connaître les faits; ils doivent avoir un temps moral pour prendre des renseignements et se décider ensuite. Le délai ne court qu'à compter de l'époque où l'enfant s'est mis en possession des biens du mari, ou de l'époque où les héritiers seraient troublés par l'enfant dans cette possession. Nous avons dit plus haut quand il y a trouble (no 440).

N° 2. DISPOSITIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES DÉLAIS.

449. Les délais sont d'un ou de deux mois. Comment compte-t-on les mois? Lors de la publication du code civil, le calendrier républicain était encore en vigueur, et par suite les mois comprenaient un espace de trente jours. Le calendrier grégorien a remplacé le calendrier républicain; et il est de jurisprudence et de doctrine que les mois se comptent de quantième à quantième, selon le calendrier grégorien, sans que l'on tienne compte de la durée plus ou moins longue des mois (1).

450. Le délai d'un mois ou de deux est-il une prescription, et faut-il appliquer les principes sur les causes

(1) Merlin, Répertoire, au mot Mois. Zachariæ, t. Ier, § 49, p. 110, et notes 11 et 12.

[ocr errors][merged small]

qui suspendent ou qui interrompent la prescription? Tous les auteurs enseignent que le délai dans lequel l'action en désaveu doit être intentée n'est pas une prescription, que par conséquent il n'est pas suspendu par la minorité du mari ou de ses héritiers. Ils disent que c'est un de ces termes fixes dans lesquels un fait juridique doit être accompli sous peine de déchéance (1). La doctrine des délais préfix est très-vague; nous l'examinerons au titre de la Prescription. En cas de désaveu, elle souffre quelque difficulté. Les auteurs du code civil ont prescrit un bref délai, parce qu'ils ont vu dans le silence du mari, à un moment où tout l'engage à protester, un aveu de la paternité. Il ne s'agit donc pas ici d'un simple délai, matériel en quelque sorte, il s'agit de savoir si le mari ou ses héritiers, en gardant le silence, avouent que l'enfant est légitime. Or, l'aveu n'implique-t-il pas la capacité d'avouer? Evidemment. La question se complique donc et il faut demander si le mineur est capable de faire l'aveu de sa paternité. Quand il s'agit du père naturel, la doctrine et la jurisprudence lui accordent le droit d'avouer la paternité par un acte de reconnaissance; à plus forte raison le père légitime doit-il avoir ce droit : capable de se marier, il doit être capable d'avouer comme de désavouer l'enfant né de sa femme; mineur ou non, il doit savoir s'il est le père de cet enfant ou s'il ne l'est pas. Cela décide la question, nous semble-t-il, une fois le principe admis.

La difficulté est plus grande pour les héritiers. Ceux-ci n'agissent que pour sauvegarder un intérêt pécuniaire. Ne faut-il pas en conclure qu'ils sont placés sous l'empire du droit commun? S'ils sont mineurs, il s'agit, d'avouer ou de désavouer, non leur paternité, mais celle du mari. Ont-ils la capacité de faire cet aveu? Cela nous paraît très-douteux; car en avouant ils disposent de droits pécuniaires de la plus haute importance. Puisqu'il s'agit de droits pécuniaires, ne faut-il pas dire que c'est à leur tuteur à agir ou à ne pas agir? Et si le tuteur n'agit pas, s'il garde le silence pendant deux mois, n'est-ce pas le cas de dire

(1) Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, no 146.

que par cette négligence il n'a pu compromettre les intérêts du mineur, ou en d'autres termes que la prescription n'a pu courir contre eux? Au point de vue des principes qui régissent l'aveu, nous ne voyons pas ce qu'il y aurait à répondre à ces objections. Reste la maxime que les délais préfix n'admettent pas de suspension. Cette règle est-elle aussi absolue qu'on le dit communément? C'est ce que nous examinerons au titre de la Prescription. Quant à l'interruption de la prescription, elle tend à prolonger indéfiniment le délai donné pour agir. Nous croyons qu'il n'y a pas lieu à interruption du délai établi pour le désaveu; l'article 318 le prouve il donne un moyen de prolonger le délai; il suppose donc que les règles générales sur la prescription ne sont pas applicables. L'esprit de la loi s'oppose impérieusement à l'application de ces règles. Elle veut que le débat sur l'état de l'enfant qui a pour lui la présomption de paternité soit vidé le plus tôt possible. Dès lors, il ne peut être question d'interrompre la prescription.

451. La loi donne au mari et à ses héritiers un moyen de prolonger d'un mois le délai très-court qu'elle prescrit pour l'exercice du désaveu; ils peuvent désavouer l'enfant par un acte extrajudiciaire; dans ce cas, ils doivent, dit l'article 318, intenter l'action en justice dans le délai d'un mois. Cet acte extrajudiciaire ne tient donc pas lieu d'une demande en justice, il n'a qu'une utilité, c'est de prolonger le délai d'un mois, quand il est fait à l'expiration du délai légal. Qu'est-ce donc que cet acte extrajudiciaire? C'est la manifestation de l'intention qu'a le mari ou son héritier de désavouer l'enfant. Mais pourquoi, au lieu de recourir à un acte extrajudiciaire, n'agissent-ils pas immédiatement en justice? Le désaveu extrajudiciaire a un avantage, c'est qu'il n'engage pas le procès; le mari et ses héritiers peuvent encore réfléchir, changer de volonté, en évitant l'éclat et le scandale qui résultent d'une action en désaveu.

La loi ne dit pas en quoi ciaire; tout ce qui résulte du écrit, et pour que cet écrit

consiste cet acte extrajudimot acte, c'est qu'il faut un puisse être invoqué comme

prolongeant le délai, il faut qu'il ait date certaine. Il n'est pas même nécessaire qu'il soit signifié; la loi ne l'exige pas, et il n'y a pas de raison pour l'exiger. Tant que le procès n'est pas engagé, la signification serait inutile parce qu'elle n'aurait aucun but. Il suffit, dans l'esprit de la loi, qu'il soit prouvé que le mari ou ses héritiers ont manifesté la volonté sérieuse de désavouer l'enfant, avant l'expiration des délais ordinaires. Les auteurs sont d'accord sur tous ces points (1).

L'article 318 dit que l'acte extrajudiciaire sera comme non avenu, s'il n'est suivi, dans le délai d'un mois, d'une action en justice. C'est l'acte extrajudiciaire seul, comme le dit le tribun Lahary, qui demeure sans effet. De là suit qu'en ce cas on rentre dans le droit commun, d'après lequel le délai est de deux mois pour le mari s'il est absent ou si la naissance lui a été cachée, et toujours de deux mois pour les héritiers. Il se peut donc que le mari ou ses héritiers soient encore dans le délai; ils pourront naturellement en profiter pour intenter l'action. C'est la remarque du rapporteur du Tribunat, qui est reproduite par tous les auteurs (2), et il y a un arrêt de la cour de cassation en ce sens (3).

SV. Formes.

452. L'article 318 veut que l'action en désaveu soit dirigée contre un tuteur ad hoc donné à l'enfant, et en présence de sa mère. C'est l'enfant qui est défendeur, c'est donc contre lui que le désaveu est dirigé; mais comme l'action est intentée d'ordinaire immédiatement après la naissance ou du moins pendant la minorité de l'enfant, il fallait lui donner un défenseur. Ce protecteur ne peut être le père, puisqu'il est l'adversaire de l'enfant; ni la mère,

(1) Duranton, t. III, p. 89 et suiv., no 94, 95. Demolombe, t. V, p. 146, no 154.

(2) Lahary, Rapport, no 17 (Locré, t. III, p. 108). Demolombe, t. V, p. 148. no 158.

(3) Arrêt du 4 avril 1837 (Dalloz, au mot Paternité, no 157).

« PreviousContinue »