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car il serait possible qu'elle ne voulût pas défendre son enfant; la loi a donc dû veiller à ce que l'enfant eût un représentant qui soutienne ses intérêts. C'est dans ce but qu'il lui est donné un tuteur spécial.

453. Par qui ce tuteur spécial est-il nommé? Nous avons émis l'opinion que les tuteurs ad hoc doivent être nommés par le tribunal (1). Le conseil de famille n'a qu'une compétence déterminée, il nomme le tuteur ordinaire; dès lors il est sans qualité pour nommer un tuteur spécial dont les fonctions n'ont rien de commun avec la tutelle ordinaire. En cas de désaveu, il y a un motif spécial et, à notre avis, péremptoire, pour ne pas attribuer la nomination du tuteur au conseil de famille; il s'agit de rejeter l'enfant de la famille, comme adultérin ou comme naturel; la famille est donc l'adversaire de l'enfant; sont-ce les adversaires de l'enfant qui lui choisiront un protecteur? Il n'y a qu'une seule disposition dans nos codes qui attribue la nomination des tuteurs spéciaux, dans un cas donné, au conseil de famille, c'est l'article 968 du code de procédure; mais cet article ne prouve-t-il pas que telle n'est pas la règle générale? Ne serait-il pas inutile, si la nomination devait toujours se faire par le conseil (2)?

L'opinion contraire est généralement suivie, elle est consacrée par la jurisprudence. Mais elle donne lieu à des difficultés sur lesquelles les cours et les auteurs sont loin d'être d'accord. De qui ce conseil sera-t-il composé? L'arti cle 407 veut que l'on appelle aux conseils de famille des parents pris dans les deux lignes. Faut-il appliquer cette disposition quand le conseil doit nommer un tuteur ad hoc en cas de désaveu? Les uns disent oui, les autres disent non. Ceux-ci veulent écarter les parents paternels, parce que c'est le père ou ses héritiers qui intentent l'action (3).

(1) Voyez le tome II de mes Principes, p. 454, no 342.

(2) C'est l'opinion de Delvincourt, t. Ier, p. 85, note 4, suivi par Valette sur Proudhon, t. II, p. 59, note a; Demolombe, t. V, p. 152, no 166; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, t. ler, p. 447. Il y a un arrêt de Paris en ce sens, du 4 juillet 1853 (Dalloz, 1853, 2, 201), mais rendu dans une espèce où la maternité était incertaine.

(3) Marcadé, t. II, p. 19, art. 318, no 1. Richefort, t. Ier, n° 71. Il y a des arrêts en ce sens (Dalloz, 1864, 1, 409, note).

Logiquement ils devraient écarter tous les parents, car tous sont intéressés à rejeter l'enfant de la famille il faudrait donc composer le conseil entièrement d'amis, ce qui aboutirait à un conseil dit de famille où il n'y aurait pas un seul membre de la famille ! L'opinion la plus logique est certainement celle qui, une fois le conseil déclaré compétent, applique les règles sur la composition des conseils de famille (1). Mais la doctrine admise par la jurisprudence en matière de désaveu soulève une nouvelle difficulté. Elle admet le désaveu, alors que la maternité est incertaine et que l'enfant est sans famille. Comment composera-t-on en ce cas le conseil? La cour de cassation a décidé que l'on doit suivre les règles ordinaires, parce que le mari, en désavouant l'enfant, est tenu de procéder comme si la maternité était certaine (2); la cour est donc obligée de supposer, de feindre une maternité qui en réalité n'existe pas encore, puisque l'action tend à établir la maternité. Cela ne prouverait-il pas que la jurisprudence est engagée dans une fausse voie, et pour ce qui concerne le désaveu et pour ce qui concerne la composition du conseil de famille? Conçoit-on le désaveu, qui est une contestation d'état, alors que l'enfant n'a pas d'état? Conçoit-on un conseil de famille, alors que l'enfant n'a pas de famille?

Il y a une autre difficulté. On ne sait pas par quel juge de paix le conseil sera convoqué. Quand la maternité est certaine, il est certain aussi que l'enfant a pour domicile celui de son père, puisqu'il a pour lui la présomption de paternité, tant que le désaveu n'est pas admis. Mais quel sera son domicile si le mari désavoue un enfant qui n'a ni titre ni possession? Il faut encore une fois une fiction. L'enfant aura pour domicile celui de la mère que le demandeur en désaveu lui attribue, et ce domicile est celui du demandeur lui-même (3) de sorte que c'est le demandeur qui détermine la compétence du juge de paix et aussi

(1) C'est l'opinion de Toullier, t. II, no 843: Proudhon, t. II, p. 59; Duranton, t. III, no 96. Elle est consacrée par la jurisprudence des cours de Belgique. Liége, 5 mai 1853 (Dalloz, 1853, 2, 200); Bruxelles, 24 novembre 1851 (Pasicrisie, 1852, 2, 66).

(2) Arrêt de la cour de cassation du 9 mai 1864 (Dalloz, 1864, 1, 400). (3) Arrêt de la cour de cassation du 24 février 1854 (Dalloz, 1854, 1, 89】

la compétence du tribunal, tout cela en vertu d'une fiction imaginée par la jurisprudence! Cette nécessité de recourir à chaque pas à des fictions, fictions qu'il appartient au législateur seul de créer, ne prouverait-elle pas que la jurisprudence est en dehors de la loi?

454. Si l'enfant est majeur, il nous semble évident qu'il n'y a pas lieu de lui nommer un tuteur. A-t-il besoin d'un protecteur, celui qui peut se protéger lui-même? Cependant l'opinion contraire a trouvé un partisan (1). Il est vrai que l'article 318 est conçu en termes généraux et en apparence absolus; on pourrait donc invoquer le vieil adage qui ne permet pas de distinguer là où la loi ne distingue pas. Nous avons répondu ailleurs que l'on peut et que l'on doit distinguer quand la raison sur laquelle la loi est fondée nous force à y introduire une distinction (2). Dans le cas de l'article 318, la distinction est tellement nécessaire qu'il est inutile d'insister. Et il eût été même inutile de soulever la question, si la même difficulté ne se représentait dans une autre question un peu plus sérieuse.

L'enfant a un tuteur; faut-il néanmoins lui nommer un tuteur spécial? Au premier abord, on est tenté de répondre non à quoi bon nommer un protecteur à celui qui en a un? Cependant la doctrine et la jurisprudence se prononcent pour l'affirmative (3) et, nous croyons, avec raison; non pas qu'il soit défendu de distinguer là où la loi ne distingue pas, mais parce que, dans l'espèce, la distinction irait contre le but que le législateur a eu en vue. Il a voulu donner un défenseur à l'enfant; or, le plus souvent le tuteur et le subrogé tuteur seront ses adversaires; le père évidemment l'est, ainsi que toute la famille paternelle; la loi elle-même a récusé la mère, les parents maternels sont également intéressés à rejeter l'enfant comme naturel ou adultérin. Il est donc bon qu'il y ait un tuteur ad hoc pris en dehors de la famille et désintéressé dans le débat. 455. L'article 318 dit que l'action en désaveu doit être

(1) Richefort, De l'état des familles, t. Ier, no 66.

(2) Voyez le tome 1er de mes Principes, p. 353, no 278.

(3) Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, no 161. Demante, Cours analytique, t. II, p. 76, no 44 bis IV.

dirigée contre le tuteur ad hoc donné à l'enfant et en présence de sa mère. Bien que l'action ne soit pas intentée contre la mère, elle y est intéressée; elle a l'état de son enfant à défendre et son propre honneur; elle peut d'ailleurs fournir d'utiles renseignements. On demande si la mère doit être mise en cause, sous peine de déchéance, dans le délai d'un mois, prescrit par la loi. La cour de Caen a décidé la question négativement; les motifs qu'elle donne sont si péremptoires que nous ne comprenons pas les hésitations de la doctrine (1). Après avoir soutenu qu'il y a déchéance, M. Demolombe finit par dire que la déchéance n'est peut-être pas suffisamment écrite dans l'article 318 (2). Il faut dire plus : le texte est très-clair, et l'esprit de la loi ne laisse aucun doute. La loi veut que l'action soit intentée dans un bref délai. Contre qui est-elle dirigée? Contre un tuteur ad hoc, dit l'article 318. Est-elle aussi dirigée contre la mère? Du tout, le code se borne à exiger que la mère soit présente. Présente à quoi, demande la cour de Caen? Au procès, naturellement. Il faut donc qu'il y ait procès avant qu'on puisse y appeler la mère. Si la mère est présente aux débats quand ils s'ouvrent, cela ne suffit-il pas ? Si elle n'assistait pas aux enquêtes, celles-ci pourraient être déclarées nulles. L'intérêt de la mère, celui de l'enfant sont, par cela même, sauvegardés. Et ils ne le seraient pas, qu'il faudrait encore décider qu'il n'y a pas de déchéance, car il n'y a pas de déchéance sans texte, et l'article 318 ne prononce certainement pas la déchéance contre le mari ou ses héritiers, si la mère n'a pas été assignée dans le délai prescrit pour l'assignation du tuteur spécial.

456. Le désaveu doit être fait dans un temps trèscourt, sous peine de déchéance. Il importe donc d'examiner si l'action contre le tuteur ad hoc prescrite par l'article 318 peut être remplacée par un acte équivalent. Dalloz se prononce pour l'affirmative, en se fondant sur la jurisprudence (3). Cela nous paraît plus que douteux. Si l'enfant a un

(1) Arrêt du 31 janvier 1836 (Dalloz, au mot Paternité, no 169).
(2) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. V, p. 154, no 168.
(3) Dalloz, Répertoire, au mot Paternité, nos 173, 174.

titre, il peut invoquer la présomption de paternité établie par l'article 312. Cette présomption ne peut être combattue que par le désaveu, et la loi définit ce qu'elle entend par désaveu, c'est une action dirigée contre l'enfant ou son tuteur spécial. Elle veut de plus que l'action soit intentée dans un bref délai, sous peine de déchéance. Tout est donc ici de rigueur.

Il y a des cas où la jurisprudence elle-même a décidé qu'il n'y avait pas acte équivalent à l'aveu. Le mari demande le divorce pour adultère; il est certain que cette demande n'équivaut pas à un désaveu; car l'adultère de la mère ne prouve pas l'illégitimité de l'enfant, et l'action en divorce n'est pas dirigée contre l'enfant, donc ce n'est pas un désaveu (1).

Il n'y a qu'un cas dans lequel il y aurait acte équivalent, c'est quand le désaveu se ferait par voie d'exception contre l'enfant. En effet, l'exception est une vraie demande, et si celui qui l'oppose conteste réellement la légitimité de l'enfant, il faut dire qu'il y a désaveu. Ainsi jugé par la cour de cassation dans un cas où l'enfant avait intenté une action en rectification de son acte de naissance contre les héritiers légitimes; ceux-ci contestèrent la légitimité. C'était bien un désaveu sous forme d'exception (2). Hors de ce cas, il ne peut pas y avoir d'acte équivalent.

§ VI. Effet du désaveu

457. Si le désaveu est admis, l'enfant est rejeté de la famille, en ce sens qu'il n'aura pas pour père le mari de sa mère. Le jugement prouvera donc que l'enfant appartient à un autre qu'au mari; dès lors il est illégitime. Il sera naturel s'il a été conçu avant le mariage, et adultérin s'il a été conçu pendant le mariage. Dans ce dernier cas, la filiation adultérine résulte du jugement combiné

(1) Arrêt de Montpellier du 20 mars 1838 (Dalloz, au mot Paternité, no 66, p. 84). (2) Arrêts de la cour de cassation du 31 décembre 1834 (Dalloz, au mot Paternité, no 2), et de Grenoble du 5 février 1836 (ibid, no 3).

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