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pour but d'établir sa filiation maternelle, donc c'est une réclamation d'état (1).

Si la filiation paternelle est mal indiquée, quelles que soient les irrégularités, elles n'altèrent pas le titre; nous en avons dit la raison (n° 398). L'acte de naissance n'a pas pour objet d'indiquer la filiation paternelle; dès lors les erreurs sont indifférentes. Il suffit que la maternité soit certaine pour que la paternité le soit aussi, puisqu'il s'agit de la filiation des enfants légitimes; le père peut seulement désavouer l'enfant, mais l'action en désaveu est régie par des principes spéciaux; il ne faut donc pas la confondre avec les actions qui ont pour objet de réclamer ou de contester l'état.

La cour de Paris et la cour de cassation 'ont décidé cette dernière question en sens divers dans l'espèce suivante (2). Un enfant est inscrit sur les registres de l'état civil, comme né de père et mère mariés; en réalité, la mère avait un mari autre que le père désigné. Les héritiers de l'enfant agissent en rectification de l'acte de naissance. On leur oppose l'article 329, aux termes duquel les héritiers ne peuvent intenter l'action en réclamation d'état, quand l'enfant est décédé, après l'âge de vingt-six ans, sans avoir réclamé. L'action était-elle une action en réclamation d'état? Non, d'après les principes que nous venons de poser. La maternité était certaine; dès lors l'acte de naissance prouvait la filiation légitime, même la filiation paternelle, sauf au père à désavouer l'enfant. Il n'y avait pas de désaveu, donc l'enfant avait un titre devenu incontestable, et par suite il n'avait rien à réclamer. Puisqu'il n'avait rien à réclamer, il n'y avait pas lieu à réclamation d'état. C'est la décision de la cour de Paris.

La cour de cassation a décidé que la rectification demandée n'avait d'autre but et d'autre résultat possible que de faire attribuer à l'enfant décédé un état différent de celui que lui avaient donné pendant toute sa vie son acte

(1) Zachariæ, édition d'Aubry et Rau, t. III, § 545 bis, p. 618 et suiv., et notes 7 et 10.

(2) Arrêts de Paris du 10 décembre 1852 et de la cour de cassation du 9 janvier 1854 (Dalloz, 1854, 1, 185).

de naissance et la possession; que l'action était par conséquent, sous le nom de demande en rectification, une vraie réclamation d'état. L'arrêt de la cour suppose que l'acte de naissance établissait la filiation paternelle; or, l'acte ne prouve jamais la paternité, alors même qu'il l'indique exactement; dans l'espèce, l'acte indiquait une paternité adultérine; la déclaration d'une paternité autre que celle du mari de la mère n'aurait pas dû être reçue par l'officier public; étant reçue, elle ne peut pas être opposée à l'enfant, qui a le droit d'invoquer la présomption de paternité légitime établie par l'article 312, jusqu'à ce que le mari de sa mère l'ait écarté par le désaveu. De là suit que cet enfant était légitime, et son état était prouvé par titre; il faut donc dire qu'il n'avait rien à réclamer, que partant il n'y avait pas lieu à une réclamation d'état, ni à l'application de l'article 329.

481. L'enfant a un titre, mais son identité est contestée. On demande si l'action ou l'exception par laquelle il établit son identité est une réclamation d'état. La question est douteuse. On peut dire que cet enfant a un état constaté par un titre, que par suite il ne réclame pas d'état; l'objet de son action n'est pas de lui attribuer un état, elle tend à prouver que l'état constaté par l'acte de naissance lui appartient. En principe, il faut donc décider que l'action de l'enfant n'est pas une réclamation d'état. Cela nous paraît incontestable, si l'action n'a réellement pour but que de prouver l'identité. Mais il se peut qu'un individu sans titre se prévale d'un acte de naissance qui n'est pas le sien, pour prouver par témoins sa prétendue identité, en échappant ainsi aux conditions rigoureuses que la loi exige pour la preuve de la filiation par témoins. Dans ce cas, l'action aurait pour objet véritable de réclamer un état, et par conséquent, il y aurait lieu d'appliquer les principes qui régissent l'action en réclamation d'état (1).

(1) Duranton, t. III, p. 151, n° 152. Demolombe, t. V, p. 216, no 237. Zachariæ, t. III, § 545 bis, p. 620.

§ II. De l'action en contestation d'état.

482. La loi ne dit pas quand il y a lieu à l'action en contestation d'état; elle dit seulement quand l'état d'une personne ne peut plus être contesté, c'est quand elle a une possession conforme à son titre de naissance (art. 322). De là suit que l'état peut être contesté lorsqu'il ne repose que sur l'une de ces deux preuves, l'acte de naissance ou la possession d'état. Il faut au moins que l'enfant ait pour lui ou la possession ou un titre pour qu'il y ait lieu de contester son état; s'il n'a ni titre ni possession, alors légalement il n'a pas d'état, et l'on ne peut pas contester ce qui n'existe pas. On ne peut donc pas intenter d'action contre celui qui n'a pas d'état; mais on peut défendre à l'action en réclamation d'état formée par l'enfant qui n'aurait ni titre ni possession, et qui demanderait à faire preuve de sa filiation par témoins; l'article 325 le dit.

Il y a un cas dans lequel l'action en contestation d'état prend le nom de contestation de légitimité: quand l'enfant naît trois cents jours après la dissolution du mariage, sa légitimité peut être contestée. Cette action est régie par des principes spéciaux que nous avons exposés plus haut (n° 460-463).

483. Qui peut intenter l'action en contestation d'état? La loi ne limite pas l'exercice de cette action à certaines personnes, comme elle le fait pour l'action en réclamation d'état. Il en faut conclure qu'elle reste sous l'empire du droit commun. Or, il est de principe que tous ceux qui ont intérêt peuvent agir. Cet intérêt doit être, en général, né et actuel, c'est-à-dire un intérêt pécuniaire. Mais il y a aussi des cas où un intérêt moral suffit, c'est quand l'objet du débat est moral, et tels sont les débats sur l'état des personnes. L'état est, avant tout, un droit moral. Voilà pourquoi la loi n'accorde qu'à l'enfant l'action en réclamation d'état. Mais quand il s'agit de contester l'état, tout membre de la famille à laquelle une personne prétend appartenir a le droit de contester cette prétention.

Il le peut, cela va sans dire, lorsque l'intérêt est pécuniaire; il le peut aussi si l'intérêt est moral. Tel est le cas où un individu prend le nom et les titres d'une famille. Tout membre de cette famille peut lui contester ce droit, alors même qu'il n'y aurait en jeu aucun intérêt d'argent. Il n'y a nul doute sur ce point (1).

L'action en contestation d'état diffère, sous ce rapport, du désaveu par lequel on conteste l'état de l'enfant conçu ou né dans le mariage. Cette dernière action n'appartient, en principe, qu'au mari; elle n'appartient jamais aux membres de la famille, même les plus proches, à leur titre de parents; ils l'ont seulement, sous certaines conditions, en qualité d'héritiers. Tout parent, au contraire, peut contester l'état qu'une personne prétend avoir; bien entendu, à moins que, par son acte de naissance, elle ne prouve qu'elle est conçue ou née d'une femme mariée, pendant le mariage; dans ce cas, sa légitimité ne peut être attaquée que par le désaveu du mari et, s'il y a lieu, de ses héritiers. Hors le cas de désaveu, tout parent peut contester l'état de l'enfant; un frère peut contester l'état de son frère, bien que sa contestation implique le déshonneur de sa mère; la loi ne connaît pas d'exception ou de fin de nonrecevoir fondée sur l'immoralité de l'action; ces considérations sont du domaine de la morale et non du droit. Cela a été jugé ainsi par la cour de Douai (2).

484. L'action en contestation d'état soulève une question d'état, pour mieux dire, elle a pour objet direct l'état qui est contesté. Elle implique donc nécessairement une question d'état. De là suit qu'il faut appliquer à la contestation d'état les principes qui régissent les actions concernant l'état des personnes (3). L'état est hors du commerce, dès lors il ne peut faire l'objet d'une convention (art. 1128). Une conséquence évidente de ce principe, c'est que celui qui a renoncé au droit de contester l'état d'une personne, celui qui a reconnu sa légitimité, peut néanmoins

(1) Merlin, Répertoire, au mot Questions d'état, § III, art. 2, no 6. Voyez la jurisprudence dans Dalloz, au mot Nom, nos 10 et suiv.

(2) Arrêt du 8 mars 1845 (Dalloz, 1845, 2, 163).
(3) Voyez, plus haut, no 426-430, p. 536 et suiv.

intenter l'action en contestation; en effet, toute renonciation, toute reconnaissance, en matière d'état, est frappée de nullité radicale, puisqu'elle manque d'objet : c'est un acte plus que nul, il n'a pas d'existence aux yeux de la loi, et partant il ne peut produire aucun effet (1).

Cette doctrine, enseignée par tous les auteurs (2), a été combattue par un magistrat dont le nom jouit d'une grande autorité. Troplong soutient que la transaction favorable à l'état de la personne peut toujours être opposće à celui qui l'a consentie; la reconnaissance de l'état produit, selon lui, une fin de non-recevoir insurmontable (3). Les conventions sur l'état seraient donc valables ou nulles, selon qu'elles consolideraient l'état ou qu'elles l'attaqueraient. Voilà une étrange théorie! Disons le mot, c'est une hérésie juridique, qui est en opposition avec les principes les plus élémentaires. L'état, considéré comme droit moral, est-il, oui ou non, dans le commerce? Est-ce que l'on vend, est-ce que l'on achète la parenté, le sang, la race? L'état est donc hors du commerce. Dès lors, il faut appliquer l'article 1128, conçu dans les termes les plus restrictifs Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions. » Le principe est absolu : il n'y a pas à distinguer si la convention est favorable à l'état ou si elle lui est défavorable. Ces distinctions se comprendraient dans la bouche du législateur à la rigueur, il pourrait sacrifier un principe de droit à la paix des familles. Quant à l'interprète, il est lié par les principes, il est enchaîné par les textes; il n'a pas à se préoccuper des intérêts généraux, du repos des familles. Les principes et rien que les principes, voilà sa mission. Troplong invoque des textes, mais des textes qui sont des exceptions. Il y en a une en matière de filiation: on peut opposer à l'action en désaveu la reconnaissance que le mari a faite de la légitimité de l'enfant (art. 314 et plus haut, nos 377 et 381). Mais les exceptions s'étendent-ellos?

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(1) Telle est la doctrine généralement reçue; nous l'établirons au titrə des Obligations.

(2) Merlin, Répertoire, au mot Transactions, § V. Duranton, t. III. p. 98, n° 102. Zachariæ, t. III, p. 665, § 547 bis. Demolombe, t V, p. 300, no 332. (3) Troplong, Des transactions, art. 2045, no 69 et suiv.

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