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serait contre le respect que l'enfant doit à ses père et mère qu'il puisse les traduire en justice et les obliger à y découvrir le secret de leurs affaires, pour connaître s'ils ont ou non le moyen de donner une dot. Il peut, à la vérité, se rencontrer des père et mère qui refusent de remplir ce devoir naturel sans raison suffisante; mais c'est un cas rare, et un moindre mal, qu'il faut tolérer pour en éviter un plus grand (1).

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46. Le mots aliments a un sens technique en droit; il comprend non-seulement la nourriture, mais tout ce qui est nécessaire à la vie, le vêtement, le logement; il faut y ajouter une dépense accidentelle, les frais de maladie. Cette signification spéciale résulte du texte même du code. Aux termes de l'article 210, celui qui est obligé de fournir les aliments est tenu de recevoir dans sa demeure, de nourrir et d'entretenir celui auquel il les doit. L'article 203 se sert des mêmes expressions: nourrir, entretenir. »

Il ne faut pas confondre le devoir d'éducation avec l'obligation alimentaire. Les aliments sont compris dans le devoir d'éducation, mais c'est l'accessoire, le devoir principal consistant à élever l'enfant, c'est-à-dire à développer ses facultés intellectuelles et morales; tandis que l'obligation alimentaire ne se rapporte qu'aux besoins physiques de celui qui y a droit. Le devoir d'éducation incombe aux père et mère; s'ils décèdent pendant la minorité de leurs enfants, ce devoir passe au tuteur; il n'est pas imposé aux ascendants, comme tels, et encore moins à des alliés. Il n'en est pas de même de l'obligation alimentaire; la loi l'impose aux ascendants, elle l'étend aux gendres et aux belles-filles, au beau-père et à la belle-mère; les conjoints, avant tout, se doivent secours et assistance. Cela implique

(1) Pothier, Traité de la communauté, no 646.

que le principe sur lequel les deux obligations sont fondées est différent. Le devoir d'éducation dérive du fait de la paternité le père seul a charge d'âmes. L'obligation alimentaire a pour fondement les liens du sang et de l'alliance qui imite la parenté. Ce sont les parents et les alliés les plus proches de la ligne ascendante et de la ligne descendante qui se doivent des aliments. Dans la ligne colla- . térale, il n'y pas lieu à l'obligation alimentaire.

Le devoir d'éducation a ses limites tracées par la nature; non pas que l'éducation de l'homme soit jamais achevée, son existence tout entière n'a d'autre objet que le développement de ses facultés intellectuelles et morales. Mais il arrive un âge où l'homme peut et doit lui-même diriger sa destinée en travaillant à son perfectionnement; alors le devoir d'éducation des parents cesse. L'obligation alimentaire n'a pas de limite certaine, elle naît avec les besoins de celui qui y a droit et ne finit qu'avec ces besoins. Il se peut que les besoins durent pendant toute la vie de celui qui réclame les aliments, quand, à raison de son incapacité physique ou intellectuelle, il ne peut pas lui-même pourvoir à sa subsistance. En général, quand l'éducation est achevée, l'enfant devenu homme est en état de gagner sa vie; mais cela n'est vrai qu'avec une restriction; dans toutes les carrières, et surtout dans les professions dites libérales, il faut un stage plus ou moins long pour acquérir une clientèle. On peut donc dire que l'obligation alimentaire commence quand le devoir d'éducation cesse. Cette obligation est réciproque (art. 207, 212). Il est évident qu'il ne peut être question de réciprocité pour le devoir d'éducation.

47. Pourquoi la loi impose-t-elle l'obligation alimentaire aux parents et alliés les plus proches? Au point de vue moral et religieux, les hommes sont tous frères, et tous se doivent secours et assistance. Mais ce devoir de charité est un de ceux que nous appelons imparfaits, parce qu'ils n'ont pas et qu'ils ne peuvent pas même avoir de sanction. La charité cesserait d'être une vertu du moment qu'elle serait commandée par la loi. Ce n'est que par exception qu'elle devient une dette civile. Entre conjoints

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et entre parents et alliés dans la ligne directe, il y a obligation civile de se fournir les aliments nécessaires à la vie. On suppose que celui qui les réclame en a besoin pour vivre; dès lors il a un droit moral à les demander. C'est la société qui, en général, organise l'assistance au profit des malheureux qui, par des causes quelconques, ne peuvent se procurer par leur travail les choses nécessaires à la vie. Mais cette obligation pèse avant tout sur les parents les plus proches; c'est le cri de la conscience qui nous dit que le conjoint doit les aliments à son conjoint; que les enfants ne peuvent pas laisser leurs ascendants dans un dénûment qui ne leur permettrait pas de vivre; et les ascendants pourraient-ils abandonner à la charité publique ceux auxquels ils ont donné le jour? Refuser les aliments, c'est donner la mort, disent les jurisconsultes romains. Ceux qui reçoivent la vie et ceux qui la transmettent sont par cela même obligés de la conserver. La loi étend cette obligation aux alliés, à raison du lien intime que l'alliance crée dans la ligne directe; ce lien imite la parenté jusque dans le langage; de là ces belles expressions de beau-père, belle-mère, beau-fils, belle-fille. Mais le lien du sang, et à plus forte raison celui de l'alliance, ne suffiraient pas pour engendrer par eux-mêmes une obligation civile. La loi seule peut attacher une sanction aux devoirs moraux; un devoir moral, quelque impérieux qu'on le suppose, ne produit pas d'action; il reste à l'état d'obligation naturelle, quand il est de nature à pouvoir devenir une obligation civile, mais que le législateur, par des raisons quelconques, ne l'a pas muni d'une action. Il ne suffit donc pas de se fonder sur un devoir moral pour en induire l'obligation alimentaire; il ne suffit pas même que ce devoir moral soit une obligation naturelle, il faut que le législateur l'ait sanctionné en accordant une action. Pas de texte, pas d'obligation alimentaire, et l'obligation, quand le législateur l'a consacrée, n'existe que dans les limites définies par la loi; on ne peut pas plus étendre l'obligation alimentaire par des considérations morales qu'on ne peut la créer en invoquant un devoir moral.

48. La dette alimentaire est une dette essentiellement

personnelle, c'est-à-dire que ceux auxquels la loi l'impose peuvent seuls être contraints à l'acquitter; elle est attachée à la personne du débiteur et s'éteint par conséquent avec sa vie. Ce principe est fondé sur l'essence de l'obligation alimentaire. Il y a des dettes, dit l'article 1122, qui, par leur nature même, ne passent pas aux héritiers. La loi ne définit pas les caractères des dettes personnelles. Il faut donc recourir à la doctrine. Une dette est personnelle quand celui qui en est tenu ne l'est que par des motifs fondés sur un devoir qu'il a à remplir, à raison d'un lien qui l'unit à celui qui réclame l'accomplissement de ce devoir, si le lien est formé par la parenté, par le sang; un pareil lien est intransmissible de sa nature, et par conséquent la dette qui en dérive ne saurait passer aux héritiers. Telle est l'obligation alimentaire. Elle incombe aux plus proches parents, à raison des liens du sang et de l'affection qu'ils supposent, ou à raison du lien d'alliance qui imite la parenté. Dès lors on ne conçoit pas qu'elle passe aux héritiers. Celui qui en est tenu la remplit tant qu'il vit; à sa mort, elle s'éteint avec sa personne; son héritier ne peut pas être forcé à la remplir, parce qu'il n'est pas du nombre des parents que la loi charge de cette dette. Comment une dette de sang et d'affection deviendrait-elle la dette de celui qui n'a ni ce sang ni cette affection!

Cette question est cependant très-controversée. L'opinion contraire à celle que nous venons d'émettre est plus généralement suivie; mais les auteurs qui l'adoptent ne sont point d'accord entre eux. Les uns disent que la dette alimentaire ne se transmet que lorsqu'elle a été établie par un jugement; les autres se contentent de la demande formée en justice; il y en a qui admettent la transmission dès que le besoin est né; il y en a qui vont plus loin, et décident que les héritiers sont tenus, alors même que le besoin n'était pas né du vivant de leur auteur (1). Dalloz est le premier qui ait soutenu la personnalité de la dette alimentaire (2). M. Demolombe a donné de nouveaux dé

(1) Voyez les auteurs cités par Dalloz, au mot Mariage, no 652. Dalloz, Recueil périodique, 1833, 2, 48, note.

veloppements à cette opinion (1), et la jurisprudence a fini par la consacrer.

Ce qui donne un grand poids à cette opinion, c'est que les jurisconsultes romains l'enseignaient. Fondée sur un devoir de piété, dit Ulpien, la dette alimentaire ne passe pas aux héritiers. Il admet cependant une exception pour le cas où le père serait réduit à une extrême pauvreté (2). On conçoit cette réserve dictée par l'équité sous l'empire d'un droit coutumier; quand les jurisconsultes font le droit, ils peuvent aussi le modifier. Mais il faut se garder de se prévaloir de l'équité sous l'empire d'une législation écrite; si l'interprète l'écoutait, il se mettrait au-dessus de la loi comme au-dessus des principes. C'est ce qui est arrivé pour l'obligation alimentaire. Dans l'ancien droit, Lebrun avouait que la dette était personnelle, comme étant fondée sur un devoir de piété; mais l'équité l'entraîna à recommander l'opinion contraire, quoique moins régulière (3). C'est aussi sous l'influence de ce sentiment d'équité que la jurisprudence s'est prononcée d'abord pour la transmission de l'obligation alimentaire (4). M. Demolombe, tout en combattant cette doctrine, reconnaissait que l'opinion plus sévère, mais plus juridique, ne comptait pas de partisans. Il ne faut jamais désespérer quand on a pour soi les vrais principes; maintenons-les, au besoin, contre les tribunaux, la vérité finira par triompher. C'est ce qui est arrivé pour la question que nous débattons. La cour d'Orléans, dans un arrêt fortement motivé, décida que la dette, personnelle de son essence, ne pouvait par cela même se transmettre à des étrangers; et la cour de cassation confirma cette décision par un arrêt de rejet (5).

Nous avons dit en quel sens la dette est personnelle; elle l'est, comme le dit la cour d'Orléans, parce qu'elle a

(1) Demolombe, Cours de code Napoléon, t. IV, p. 40, no 40, suivi par Vergé et Massé, traduction de Zachariæ, t. Ier, p. 222, note 10.

(2) L. 5, § 17, D., de agnoscendis et alendis liberis (XXV, 3). (3) Lebrun, des Successions, livre I, chapitre V, section VIII, nos 32 et 33. (4) Voyez les arrêts dans Dalloz, au mot Mariage, n° 652 (t. XXXI, p. 340). (5) Arrêt d'Orléans du 24 novembre 1855 (Dalloz, 1856, 2, 260). Arrêt de la cour de cassation du 8 juillet 1857 (Dalloz, 1857, 1, 352). Voyez, dans le même sens, un arrêt de Toulouse du 22 mars 1866 (Dalloz, 1866, 5, 22).

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