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faits légitimes du capitaine, et qu'ils ne peuvent répon dre que de ses fautes.

<< Elles indiquent qu'il n'y a aucune obligation personnelle pour les propriétaires, ce qui exclut l'idée du mandat: ils répondent seulement des faits du capitaine, quels qu'ils soient; mais cette responsabilité, qui comprend toutes les obligations du capitaine, est limitée à la chose même qui avait été confiée à celui-ci, et ne peut porter que sur le navire et sur le fret. Ainsi, le même article de la loi qui a posé les règles de la responsabilité, en a pareillement fixé les bornes.

<«<Si l'art. 234 du code de commerce soumet les propriétaires du navire à tenir compte des marchandises vendues en cours de voyage par le capitaine, il faut entendre cette obligation dars les limites déjà fixées par la règle générale consacrée par l'art. 216.

<< L'art. 298, qui a été invoqué par les adversaires du sieur Bouet, n'est relatif qu'à un cas spécial, qui n'est point celui de l'espèce. Il ne peut, par conséquent, lui être appliqué, et cela dispense le tribunal de tout motif pour prouver que cet article ne contredit aucunement le principe consacré par l'art. 216.

<< La vente des marchandises, en cours de navigation, est un fait du capitaine qui la provoque et l'opère par suite de ses pouvoirs.

«Il est donc évident que si ce fait est dommageable pour les propriétaires, ils ont le droit de s'exonérer de sa responsabilité par l'abandon du navire et du fret.

«Le système contraire exposerait les propriétaires à une ruine certaine et même à l'impuissance absolue d'acquitter les engagemens de leur capitaine, si, dans le cours d'un même voyage, celui-ci faisait plusieurs relâches successives.

« D'ailleurs, il arrive souvent qu'un capitaine est remplacé en cours de voyage par un capitaine préposé par le consul: ce nouveau capitaine, au choix duquel le propriétaire ne concourt pas, a cependant les mêmes pouvoirs que celui qui avait été préposé au commandement du navire dans le port de l'armement.

Cependant les faits de ce nouveau capitaine n'obligeant pas moins le navire et le fret que les faits de celui qui avait été désigné par le propriétaire, ne serait-il pas contraire à toutes les règles de l'équité de soumettre ce propriétaire à la responsabilité indéfinie des faits d'un capitaine qu'il n'aurait pas choisi? La responsabilité des faits d'un capitaine, qui n'a pas été nommé par les propriétaires, n'est-elle même pas une nouvelle preuve que les rapports d'un capitaine avec ses armateurs, tels qu'ils sont réglés par la loi, ne sont pas ceux du mandat civil?

«Les défendeurs à l'abandon se sont prévalus de l'arrêt rendu par la cour de cassation dans l'affaire des sieurs Mercier père et fils, et de l'application que cette cour y a faite des règles du mandat, pour soutenir que le sieur Bouet ne pouvait pas se soustraire, par l'abandon du navire et du fret, au paiement des emprunts faits par le capitaine, et au remboursement du prix des marchandises vendues pour fournir aux diverses réparations du navire.

<< Une décision de la cour de cassation est sans doute pour le tribunal une autorité fort imposante.

<< Elle a été pour lui un motif d'examiner, avec l'attention la plus sévère, s'il devait persister dans l'opinion contraire qu'il avait adoptée en faveur des sieurs Mercier père et fils.

<< Les méditations et les recherches qu'il a faites, à cet égard, ont eu pour résultat de l'affermir dans cette opinion, et, dès-lors, il a considéré comme un devoir de continuer de

donner à l'art. 216 du code de commerce une interprétation favorable aux propriétaires de navires.

«En effet, les propriétaires de navires ont toujours été responsables de tous les faits des capitaines sans distinction.

« Omnia facta magistri præstare debet qui eum præposuit, dit la loi rre§ 5, ff. de exercitoriâ actione.

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<< Et lorsque plusieurs propriétaires concourent à l'armement du même navire, cette responsabilité est solidaire contre eux.

« Si plures navem exerceant, cum quolibet eorum in solidum agi potest ( même loi, § 25.)

<< Cette responsabilité était absolue et exclusive de toute distinction entre les faits licites, et les prévarications et fautes des capitaines.

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« Mais, ainsi que l'atteste Emérigon dans son Traité des contrats à la section grosse, 11, § << cette action << (de responsabilité) ne compète contre les propriétaires « que jusqu'à la concurrence de l'intérêt qu'ils ont sur « le corps du navire; de sorte que si le navire périt, ou << s'ils abdiquent leur intérêt, ils ne sont garans de rien. « C'est ainsi que les lois maritimes du moyen âge l'ont <<< entendu. >

« Après avoir cité l'avis conforme d'un grand nombre de juriconsultes, Emérigon ajoute: «Telle est la jurispru«dence qu'on suit dans le Nord. Et telle est la disposition << de notre ordonnance (1681) au titre des Propriétaires, << art. 2: Les propriétaires des navires seront responsables « des faits du maître, mais ils en demeureront déchargés «en abandonnant le bâtiment et le fret.

<< On voit par là, continue le même auteur, que l'obli<<gation où les propriétaires sont de garantir les faits de << leur capitaine est plus réelle que personnelle. Pen«dant le cours du voyage, le capitaine pourra prendre

<< deniers sur le corps, ou vendre des marchandises (art.

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19 de l'ordonnance de 1681, au titre du Capitaine), << mais voilà tout. Son pouvoir légal ne s'étend pas au<delà des limites du navire dont il est maître, c'est-à<dire, administrateur; il ne peut engager la fortune de « terre de ses armateurs qu'autant que ceux-ci y ont con<< senti d'une manière spéciale. »

Le sens dans lequel l'art. 2 du titre des Propriétaires de l'ordonnance de la marine était entendu, n'est donc pas équivoque, et ses dispositions étaient conformes à l'usage observé par toutes les nations commerçantes de l'Europe.

«Le code de commerce contient-il quelque innovation, à cet égard? A-t-il introduit quelque disposition contraire? « L'examen que le tribunal a fait de cette question l'a convaincu :

1° Que les pouvoirs conférés aux capitaines par le code de commerce actuel, d'emprunter et même de vendre des marchandises pour les besoins et cas imprévus qui arrivent en cours de voyage, sont les mêmes que ceux qui leur étaient conférés précédemment par l'ordonnance de la marine;

«2° Que l'art. 216 du code actuel n'est que la répétition de l'art. 2 de cette ordonnance au titre des Propriétaires.

<< Il y a, sur ces deux points, une parfaite concordance entre l'ancienne ordonnance et le code actuel. Rien n'indique, de la part des auteurs de ce code, l'intention de changer la législation alors existante, et la jurisprudence généralement établie, à cet égard.

<< Il est de principe que les lois nouvelles se rattachent aux précédentes, à moins qu'elles ne soient contraires.

<< Posteriores leges ad priores pertinent nisi sint contrariæ. «Or, il existe une parfaite conformité entre l'ancienne

et la nouvelle loi. Le législateur paraît même avoir voulu donner une nouvelle sanction aux dispositions d'une ordonnance qui avait fixé le droit maritime de toutes les nations de l'Europe.

<«Il n'est donc pas possible d'entendre ou d'appliquer l'art. 216 du code de commerce autrement qu'on entendait et appliquait l'art. 2 de l'ordonnance de la marine au titre des Propriétaires de navires.

<< S'il fallait rendre compte des motifs du législateur, il serait facile de les trouver dans la nature même des choses et dans l'intérêt du commerce.

<« Il est évident qu'un armateur qui met en mer une expédition, l'expose aux chances de la navigation, et sait qu'il peut la perdre par suite de ces chances.

<< Mais il n'entend pas perdre autre chose. Les fortunes de mer ne peuvent lui enlever que ce qu'il leur a livré.

« Si le résultat des événemens de la navigation pouvait dépasser la perte des objets mis en mer, et compromettre la fortune entière de l'armateur, et même la liberté de sa personne, il y aurait peu de négocians prudens qui voulussent s'exposer à de pareilles chances.

<«< Aussi la loi ne permet-elle au capitaine que d'engager le navire et le fret. Dans les obligations qu'il contracte, il ne peut jamais obliger son armateur personnellement.

<< Ceux qui contractent avec lui savent qu'il ne leur confère qu'un droit réel sur le navire confié à son commandement.

<< Cette règle ne souffre d'exception que dans le cas où le propriétaire-armateur du navire a autorisé le capitaine à emprunter, ou lui a ouvert des crédits chez des correspondans.

« Dans ce cas, le propriétaire répond, parce qu'il s'est lui-même obligé, et non parce que la loi le déclare civilement responsable des faits de son capitaine.

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