Page images
PDF
EPUB

Forcement de voiles. - Avarie commune.

Les dommages résultans du forcement de voiles, délibéré et opéré pour le bien et le salut communs et dans le but d'éviter la côte ou les écueils, sontils avarie commune? (Rés. aff.)

(Combal contre Bazire et consorts.)

LE 20 mars 1826, le capitaine Combal, ci-devant commandant le brick la Victorine, fait au greffe du tribunal de commerce du Havre un rapport de navigation dans lequel on lit ce qui suit:

« Après avoir pris un chargement composé de chanvre, huile, potasse et autres marchandises, destiné pour le Havre et Rouen, il est parti de Cronstadt, le 14 octobre 1825.

«Il a navigué sans événement remarquable, autre qu'un peu d'huile venant à la pompe, jusques au 18; ce jour, se trouvant dans les des parages feux de Kokskion et Nargo, faisant route à l'ouest pour sortir du golfe, il reçut un coup de vent en tempête de la partie sud-sud-ouest, le temps par. grains, la mer très grosse, ce qui lui fit craindre de ne pouvoir doubler les dangers de la côte voisine au nord du golfe; qu'ayant, à ce sujet, consulté son équipage, il fut résolu, d'un avis unanime

T. IX.-2me P.

6.

et pour le salut commun du navire et de sa cargaison de forcer de voiles, afin de doubler ces mêmes dangers.

« Cette navigation devint extrêmement pénible par la marche forcée du navire qui refoulait devant lui une mer affreuse; il en résulta des efforts considérables qui faisaient ouvrir le navire de toutes parts, principalement aux préceintes où le tiraillement des chaînes de haubans et galhaubans se faisait le plus sentir.

«Il reçut plusieurs coups de mer qui ébranlèrent le taille-mer et l'étrave, rompirent une sous-barbe, enlevèrent une partie du tableau, cassèrent une vergue de hune, et chaque coup de mer remplis. sait le pont du navire, qui était d'ailleurs presque toujours entre deux eaux et dont les gouttières. étaient insuffisantes pour le vider.

<< Dans cette position, le capitaine Combal, de l'avis de son équipage et pour le salut commun du navire et de sa cargaison, résolut d'enfoncer la muraille d'en haut, une pièce à eau, et de jeter à la mer une partie de la drome et autres objets qui se trouvaient sur le pont; les matelots furent obligés d'abandonner leur logement et se réfugiérent dans la chambre qui fut aussi inondée; les trois quarts des provisions principales furent mouillées, ainsi que les effets de tout le monde.

«Par suite des secousses violentes et répétées qu'éprouvait le navire, il contracta une voie d'eau de 20 à 24 pouces par heure, qui, obligeant à un travail continuel de la pompe, fatigua beaucoup l'équipage.

« Sur les 5 heures du matin, un grain plus violent que les autres enfonça le petit hunier, rompit les cargues et mit le petit foc hors de service. Heureusement ce même grain ayant fait sauter le vent au nord-ouest, le navire parvint à sortir des dangers.

« Le 18 novembre, le capitaine se dirigea vers le Sund et il reçut un pilote à bord.

<«< Enfin, il relâcha à Copenhague, port le plus voisin, afin d'y réparer le navire.

<< Des experts furent nommés et ces experts, après avoir fait décharger le navire et l'avoir examiné, le déclarèrent innavigable.

<«<Le capitaine en fit alors l'abandon et il congédia l'équipage.

Ensuite il rembarqua le chargement de la Victorine sur le navire danois Argo, capitaine Hansen, et il est arrivé au Havre, le 19 mars 1826. »

En l'état de ces faits et le 29 avril, le capitaine Combal assigne les consignataires devant le tribunal de commerce de Rouen, à fins de réglement des avaries communes souffertes par la Victorine. Il demande, en outre, que la perte du navire, devenu innavigable par suite des efforts occasionés par le forcement de voiles, soit déclarée avarie grosse, et que par suite, la somme de 26,000 fr., valeur de ce navire, soit comprise dans le régle

ment.

Les consignataires soutiennent que les dommages résultans du forcement de voiles sont avarie par

ticulière, même au cas où cette manoeuvre a été exécutée pour le bien et le salut communs du navire et de la cargaison.

JUGEMENT.

«Considérant qu'un passage du rapport de mer du capitaine Combal décèle, de sa part, l'intention de faire admettre en avarie grosse toutes les conséquences qui pouvaient résulter du forcement de voiles, après délibération et pour le salut commun, à l'effet de sortir des dangers du golfe de Finlande;

<< Considérant que quand il serait certain, ce qui n'est pas, que cette manœuvre a causé, en partie, les dommages qui ont fait déclarer le navire innavigable, il ne s'ensuivrait pas que la valeur du navire dût être admissible en avarie grosse ;

« Considérant que si le forcement de voiles mentionné au rapport a réellement altéré la structure du navire au point de le rendre innavigable, tout ce qu'on peut en induire c'est qu'il n'était pas assez solide pour supporter l'effort de sa voilure, mais non que sa valeur doit être admise en avarie grosse;

Considérant que l'expression: pour le salut commun, employée ici par le capitaine Combal et si souvent prodiguée par la plupart des capitaines dans leurs rapports, ne suffit pas pour constituer une avarie grosse; qu'il faut encore que les dommages et sacrifices soient le résultat évident et immédiat d'une délibération motivée;

<< Considérant que, s'il en était autrement, il n'est aucun cas fortuit, aucun événement de force majeure qui ne pût être présenté et admis comme un sacrifice volontaire, puisque, dans le cours d'une navigation, toutes les ma

nœuvres entreprises ont certainement pour but le salut commun;

<< Considérant que la raison et l'usage repoussent également l'extension qu'on voudrait donner ici au sens du § VIII de l'art. 400 du code de commerce,

« LE TRIBUNAL déclare avaries particulières les dommages résultans du forcement de voiles, etc. >>

Du 31 octobre 1826.-Tribunal de commerce de Rouen.-Prés. M. BERARD, juge. - Plaid. MM. MOREAU pour le capitaine Combal, PANTHON pour les consignataires.

Appel, de la part du capitaine Combal.

ARRÊT.

<«< Attendu, en droit, que les dommages soufferts volontairement et après délibérations motivées de l'équipage, pour le bien et le salut communs du navire et des marchandises, sont par la loi déclarées avaries communes;

« Qu'ainsi, lorsqu'il est constaté que c'est volontairement et pour prévenir de plus grands malheurs que la perte d'une partie des marchandises ou des agrès du navire a été éprouvée, les dommages résultans de cette perte constituent une avarie commune;

<< Que l'avarie ne pourrait être considérée comme particulière qu'autant que la perte n'aurait été la suite que d'un événement de mer indépendant de la volonté de l'homme;

«Attendu que le forcement de voiles exécuté volontairement, pour le salut commun, rentre dans la catégorie des cas prévus par l'art. 400 du code de commerce;

«Que lorsque ce forcement volontaire a occasioné des avaries au navire, le navire seul ne doit pas les supporter; que les marchandises, le navire et le fret doivent y contribuer dans la proportion déterminée par la loi;

« PreviousContinue »