d'administration sera la nomination du grand Chancelier et du Trésorier général. Le sénateur Lacépède et le général Dejean réunissent la majorité des suffrages. Le grand Chancelier porte un nom illustre dans les sciences et dans les lettres; c'est l'éloquent continuateur de Buffon. Le Trésorier général unit aux talents militaires le mérite d'une haute capacité administrative: la Légion d'honneur ne pouvait que se féliciter de pareils choix. Mais voici le temps où son fondateur pourra déployer dans sa protection plus de magnificence, et faire servir la puissance suprême à la perfection de son immortel ouvrage. Il ne sera plus entravé, gêné dans son zèle pour les heureux développements de l'institution qu'il a créée. Au sein même de l'Assemblée où la Légion d'honneur a rencontré ses plus violents adversaires, s'élèvent des voix qui appellent Napoléon Bonaparte au trône ; le Sénat adhère au vœu du Tribunat : Napoléon est empereur (18 mai 1804). Ici commencent les brillantes destinées de la Légion d'honneur; elle vient se placer auprès du trône nouveau, dont elle relève l'éclat, en même temps qu'elle lui garantit la fidélité d'intrépides défenseurs; elle groupe autour du souverain toutes les illustrations de la France nouvelle. Napoléon allait chercher partout le citoyen que distinguait son talent ou son courage éprouvé par des actions d'éclat. L'obscurité de la retraite ne pouvait le cacher au dispensateur des récompenses nationales; il ne lui demandait pas sous quelle bannière, sous quel général il avait servi la France. Aussi le vieux maréchal de Rochambeau vit briller sur sa poitrine la décoration des braves: d'autres vétérans de l'armée française, débris de la guerre de Sept-Ans, recurent le prix de leurs services sous l'ancien gouvernement. Mais le but de l'institution n'eût pas été atteint si l'armée seule eût été admise à former la Légion d'honneur: une place y était marquée pour le contingent du mérite civil, qui vint l'occuper à la voix de Napoléon. Les arts, les lettres, les sciences ne pouvaient avoir un meilleur juge : les préoccupations continuelles des camps ne l'avaient pas empêché de suivre les progrès des connaissances humaines, de s'y associer lui-même par ses travaux ; d'observer la marche et les succès de l'industrie renaissante. Le membre de l'Institut national connaissait tous les talents dont s'honorait la France; aussi n'eurent-ils pas besoin de réclamer la récompense THE UNIVERSITY OF MICHIGAN LIBRARIES qui leur était due : dans tous les rangs, dans toutes les professions, tout ce qui avait des droits à la distinction nationale, fut dispensé de les faire valoir. Tous les légionnaires qui se trouvaient à Paris furent convoqués le 26 messidor an XII (14 juillet 1804), dans la chapelle des Invalides. C'était l'anniversaire du 14 juillet 1789, de cette journée qui vit tomber les murs de la Bastille sous les coups du peuple parisien, et fut l'aurore de la liberté pour la France. Napoléon voulait recevoir lui-même le serment des légionnaires, et relever l'éclat de cette solennité par la pompe d'une fête publique : elle fut annoncée dès six heures du matin à la capitale par le bruit du canon. L'empereur arriva aux Invalides à travers une double haie de soldats, et fut reçu à la porte de l'église par le cardinal-archevêque de Paris, à la tête de son clergé; puis, conduit processionnellement sous le dais, au bruit d'une musique militaire, il alla s'asseoir sur le trône, ayant derrière lui les colonels généraux de la garde, le gouverneur des Invalides et les grands-officiers de la couronne. Les grands dignitaires occupaient les deux côtés et la seconde marche du trône; les ministres étaient placés plus bas et à droite ; à gauche, les maréchaux de l'empire; au pied des marches du trône, le grand-maître et le maître des cérémonies; en face du grand maître, le grand Chancelier et le grand Trésorier de la Légion d'honneur. Les aides-de-camp de l'empereur étaient debout, en haie, sur les degrés du trône. Derrière l'autel s'élevait un immense amphithéâtre où étaient rangés six cents invalides et deux cents élèves de l'Ecole polytechnique. Toute la nef était occupée par les grands officiers, commandants, officiers et membres de la Légion d'honneur. Lorsque la messe fut terminée, le grand Chancelier de la Légion d'honneur, M. de Lacépède, prononça un discours, après lequel les grands officiers de la Légion, appelés successivement par le grand Chancelier, s'approchèrent, et prétèrent le serment prescrit; puis l'empereur, s'adressant aux commandants, officiers et légionnaires, prononça ces mots : << Commandants, officiers, légionnaires, citoyens et soldats, vous « jurez sur votre honneur de vous dévouer au service de l'Empire et « à la conservation de son territoire, dans son intégrité, à la défense « de l'Empereur, des lois de la République, et des propriétés qu'elles «< ont consacrées; de combattre par tous les moyens que la justice, la « raison et les lois autorisent, toute entreprise qui tendrait à réta« blir le régime féodal; enfin vous jurez de concourir de tout votre « pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité, base première « de nos constitutions. Vous le jurez! » Tous les membres de la légion, debout, la main levée, répétèrent à la fois Je le jure! Alors les cris de vive l'Empereur! retentirent de toutes parts. La messe étant finie, les décorations de la Légion d'honneur furent déposées au pied du trône, dans des bassins d'or. Le grand maître des cérémonies, M. de Ségur, prit les décorations de l'Ordre, et les remit à M. de Talleyrand, grand chambellan. Celui-ci les présenta au prince Louis, qui les attacha à l'habit de l'empereur; alors de nouvelles acclamations se firent entendre. Le grand Chancelier de la Légion d'honneur invita ensuite les grands officiers à s'approcher du trône pour recevoir des mains de Napoléon la décoration que lui présentait, sur un plat d'or, le maître des cérémonies; puis il appela successivement les commandants, les officiers, et les légionnaires, auxquels l'empereur remit luimême la décoration. Parmi eux se trouvaient des vétérans couverts de cicatrices, mutilés au champ d'honneur. Napoléon en interrogea quelques-uns sur leurs campagnes, sur les batailles où ils avaient été frappés par le fer de l'ennemi. Il reconnut plusieurs de ses compagnons des armées d'Égypte et d'Italie; ils auraient tous voulu se ranger encore sous le vieux drapeau; tous exprimaient le regret de n'offrir à Napoléon qu'un dévouement réduit à l'impuissance par la vieillesse et les blessures. Un Te Deum, qui était, ainsi que la messe, de la composition de Lesueur, directeur de la chapelle impériale, termina cette fête religieuse et guerrière, dont l'imposante majesté égalait les plus nobles souvenirs des temps anciens. Sous l'influence de si nobles prestiges, entraînés par les impressions d'un si grand spectacle, comment les esprits auraient-ils pu résister à l'ascendant du génie, qui, en couronnant les talents, le mérite et les vertus, dans l'enceinte d'un temple chrétien, plaçait immédiatement après le culte de la Divinité celui de la gloire ? Qu'on se représente cette élite de citoyens, soldats, généraux, administrateurs, artistes, prêtres, magistrats, hommes de lettres, réunis devant l'autel qui consacre leurs serments, et recevant la récompense de la patrie, des mains du MANUEL DU LÉG. 2 18 héros qui a vaincu l'Europe; Paris, la grande capitale, app prendre part à la fête de l'honneur, par les détonations de lerie; les applaudissements de la multitude, et ses bruyante clamations: alors on concevra plus facilement encore l'effet pu produit par cette solennité; on s'expliquera surtout les pro qu'enfanta dans la suite l'émulation publique, enflammée par poir d'une aussi glorieuse récompense. Napoléon au camp de Boulogne. - Distribution à l'armée des décorations de la Légion d'honneur.-Établissement des maisons impériales d'Écouen et de Saint-Denis. Maisons d'Orphelines. 1804. — 1814. Bonaparte, premier Consul, avait réuni à Boulogne une armée nombreuse qui menaçait l'Angleterre d'une descente; cette armée était l'élite des soldats qui avaient déjà vaincu l'Europe. Quand leur général revint au milieu d'eux, il était empereur; il parut au camp de Boulogne pour visiter les travaux dont il avait ordonné l'exécution. Il retrouva son armée animée du même enthousiasme : elle demandait à s'élancer sur les côtes de l'Angleterre. Mais, avant que le signal soit donné, les braves qui ont mérité l'étoile de l'honneur, la recevront des mains de Napoléon, au milieu même des camps, presque sous les yeux des Anglais dont les croisières surveillent tous les mouvements de l'armée française. La nature a pris soin de préparer le majestueux théâtre de cette cérémonie militaire (1). Près de Boulogne, entre le moulin Huber et la ferme Teslingthon, un cirque formé par le sol, dont la surface se courbe en bassin, s'ouvre vers la falaise; au centre et sur le diamètre de ce cirque s'élève un trône ombragé de drapeaux. Napoléon va s'y asseoir, ayant à sa droite ses ministres, les maréchaux de l'Empire, les colonels généraux, les conseillers d'État, les géné (1) 28 thermidor an XII (17 août 1805). |