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ouvrage comme renfermant des injures ou des calomnies tendantes à affaiblir le respect dû à l'autorité du Roi, peut-il se dispenser de désigner dans son jugement, les mots, les lignes, les passages où se trouvent ces injures ou ces calom nies, et peut-il ordonner la suppression de plu's de mots, de lignes et de passages qu'il n'en signale comme renfermant ces mêmes injures ou ces mêmes calomnies? Peut-il dire que l'ouvrage qu'on lui a déféré a une tendance générale à injurier ou à calomnier? Que les injures ou les calomnies résultent de l'ensemble de l'ouvrage, alors même qu'aucun fait injurieux ou calomnieux n'est articulé, et ordonner ainsi la suppression de l'ouvrage entier? Les auteurs ne pourront-ils pas le faire réimprimer pour le livrer au public, en en retranchant tout ce que le tribunal aura expressément signalé comme injurieux ou calomnieux ?

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» VII. Les lois générales, en matière civile et en matière criminelle, reconnaissent qu'on peut exécuter un fait dommageable, sans être tenu à autre chose qu'à réparer le dommage qu'on a cause; céla a lieu, soit que le fait nuisible ait été commis sans intention de núire, ou qu'il n'ait pas été prévu et déclaré punissable par la loi.

>> Cette règle souffre-t-elle exception toutes les fois qu'il s'agit du mal qu'on a pu causer par la divulgation de ses pensées, ou par la tentative de les divulguer? Tout écrivain qui publie des pensées qui peuvent être nuisibles, doit-il être considéré comme s'étant rendu coupable d'injure, de calomnie ou de provocation à la révolte, quoiqu'il n'ait été dans son intention de commettre aucun délit de cette nature?

» Lorsque le ministère public a reconnu qu'un écrivain n'avait pas eu l'intention de provoquer à tel ou tel acte, ou de commettre tel ou tel délit, peut-il, en faisant abstraction de la volonté de cet écrivain, rechercher en critique quel sera le résultat probable de son ouvrage, et demander qu'il soit puni comme s'il avait voulu obtenir ce résultat?

Lorsqu'un individu a commis ou tenté de commettre un délit au moyen d'un écrit, celui qui, dans un autre temps, imprime ou fait imprimer cet écrit, se rend-il coupable du même délit ou du même crime que celui qui en a été l'auteur originaire, quoique la réimpression soit faite dans un but entièrement opposé ?

Sur ces questions, le tribunal a rendu le jugement suivant.

JUGEMENT.

«En ce qui touche les sieurs Comte et Du

noyer,

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Attendu, relativement aux moyens préjudiciels présentés par eux;

» Sur le premier, que la nullité de la première saisie par simple vice de forme, sans jugement au fond, n'entraînait pas l'anéantissement du droit de poursuivre le délit; qu'ainsi il a pu être procédé à une seconde saisie; que cette seconde saisie ne peut être assimilée à un récolement, puisqu'il n'existe plus de saisie précédente; qu'elle a été faite sur les propriétaires, entre les mains d'un détenteur qui possédait pour eux, et eux dûment appelés; qu'elle est valable, et a été maintenue provisoirement dans le délai 'déterminé par la loi ;

>> Sur le deuxième moyen préjudiciel, que quand la censure existait, ce n'était pas au dépôt et au récépissé du nombre des exemplaires prescrits, mais à l'approbation formelle des ouvrages constatée par un procès-verbal, qu'était attachée la décharge de la responsabilité des auteurs; qu'aujourd'hui la censure étant supprimée, la condition à laquelle était attachée cette décharge

de responsabilité, ne peut plus être remplie ; que le dépôt et le récépissé ne peuvent remplacer le procès-verbal d'approbation; qu'au surplus, la loi étendant la suppression d'un ouvrage saisi et condamné à l'ouvrage entier, cette suppression ne peut être restreinte aux seuls passages jugés coupables; que les sicurs Comte et Dunoyer ne peuvent même s'appuyer, pour obtenir cette restriction, sur ce qu'ils ont exécuté la loi ; puisqu'ayant reçu de l'imprimeur un certain nombre d'exemplaires de leur ouvrage avant que le récépissé du dépôt eût été délivré, il est établi qu'ils l'ont enfreinte

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>> Sur le troisième moyen préjudiciel, que l'ordonnance de prévention de la chambre du conseil qui a saisi le tribunal, est conforme à ce qu'exige l'art. 130 du Code d'instruction criminelle, propre à ces ordonnances; que le délit a d'ailleurs été qualifié d'une manière suffisante; qu'il n'était pas nécessaire d'ajouter qu'il avait été commis par injures et calomnies.

- ́» Attendu, relativement au fond,m

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Que la liberté de la presse emporte le droit de publier et de faire imprimer ses opinions sur toutes sortes de matières, de discuter et d'examinértous les actes du gouvernement sans exception, tant

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ceux directs et immédiats qui émanent de la puissance législative et de la puissance exécutive, comme les lois, ordonnances et réglemens signés du Roi et contre-signés par un ministre, que ceux indirects et médiats qui émanent des ministres et des fonctionnaires publics, comme les. arrêtés, instructions et autres de cette nature signés d'eux seuls; mais que les crimes et délits qui peuvent naître de l'abus de cette liberté doivent être punis conformément aux dispositions des lois ;

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Que, dans l'état actuel de la législation, le Code pénal et la loi du 9 novembre 1815 sont les lois principales qui déterminent ces crimes et ces délits, et fixent les peines qui doivent être appliquées, suivant leur nature et leur gravité ;

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Que si les auteurs, dans leurs opinions et en attaquant les actes du gouvernement, cherchent à renverser le gouvernement, à affaiblir le respect dû au Roi et à son autorité, à provoquer à la désobéissance, ils encourent les peines spéciales prononcées par les lois; que s'ils se bor nent à injurier et à calomnier les ministres et leurs actes personnels, qui n'émanent qu'indirectement et médiatement du gouvernement,

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