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CHAPITRE II

L'INTRODUCTION DE M. RENAN.

I

D'abord M. Renan n'a pas écrit la Vie de Notre-Sei

gneur Jésus-Christ.

Il aurait dû intituler son livre:

CONJECTURES ET HYPOTHÈSES

SUR LA VIE DE JÉSUS,

ou

OPINIONS

D'UN PROFESSEUR QUASI-HÉBRAISANT

SUR TOUT CE QUI POURRAIT BIEN CONCERNER
LES ORIGINES DU CHRISTIANISME,

ou

INDUCTIONS PHYSIOLOGIQUES ET PSYCHOLOGIQUES

TIRÉES DE L'ENSEMBLE

DES RESPECTABLES DÉCOUVERTES DE LA MÉDECINE MODERNE
APPLIQUÉES A LA RELIGION,

ou

RECUEIL DES COURS D'HÉBREU

QUI N'ONT PAS ÉTÉ FAITS AU COLLÈGE DE FRANCE.

II

Dès les premières lignes, M. Renan nous révèle le fond de sa pensée : il s'est proposé de détruire l'Église catholique; il s'est proposé d'étudier les origines du christianisme, et de nous expliquer à nouveau ce que nous savions mieux que lui.

Au point de vue de M. Renan, étudier les origines du christianisme, cela veut dire : démolir avec la subtilité d'un robin, d'un universitaire délié, le temple bâti par la foi de nos pères travail de termite. Si M. Renan s'appelait légion, on pourrait craindre; mais, pour nous débarrasser de ces espèces incommodes, nous avons le mépris.

A en croire M. Renan, qui s'est introduit dans la tradition religieuse comme le ver dans une table de chêne, le christianisme n'aurait été que l'œuvre d'une société secrète et théocratique minant, ainsi qu'il le dit lui-même en son langage, « un empire arrivé à ce moment au plus haut degré de la perfection administrative et gouverné par des philosophes. »

D'où venait donc la force de cette société secrète, à qui M. Renan attribue une si invraisemblable puissance?

C'est au sens commun à répondre.

Nous ne suivrons pas M. Renan dans toutes les sinuosités de sa divagation. Il s'environne de mots mystérieux comme Moïse s'environnait d'éclairs. Il sait la puissance de l'incompréhensible; il sait qu'après l'avoir lu, le

troupeau des gobe-mouches criera en chœur, comme le paysan de Molière : « Ah! que cela est biau! je n'y comprends rien. >>

Laissons donc à d'autres, plus savants, le soin de débrouiller l'écheveau Renan. Pour nous, qui préférons à toute science, parce qu'elle est vaine, la foi du charbonnier, parce qu'elle est féconde, nous rions du « grand dessein » de M. Renan.

Les quatre « grandes » divisions de son ouvrage sont pédantesques et arbitraires. Qu'il ait assez de vie et assez de force pour remplir ce qu'il appelle « un plan aussi vaste, »> nous n'y mettons aucun obstacle. Plus il s'acharne, plus il nous fait rire. Le monde n'est pas assez amusant pour que nous ne prenions pas quelque plaisir à contempler, dans leur épanouissement, les Diafoirus de l'incrédulité.

En principe, quelque thèse que l'on soutienne, on n'a pas le droit d'être ennuyeux. M. Réville, M. Reuss, M. Michel Nicolas, M. Strauss, traduit par M. Littré, en qui M. Renan a la courtoisie de saluer un co-Diafoirus, n'auront jamais une part sérieuse dans notre vie. Le Talmud et Philon, avec Eusèbe et Josèphe, M. Neubauer et Juda le Gaulonite; les travaux de MM. Alexandre, Ewald, d'Umann, Reuss, et autres savantasses, nous inquiètent fort peu; que M. Renan jette à d'autres sa poudre d'or de noms propres!

J'aime assez pourtant « l'époque asmonéenne; » cela fait bien dans un gros livre; cela trouble les vaniteux, qui voudraient tout savoir sans jamais avoir rien appris; cela procure à un pédant une vaste clientèle de curieux, et c'est, à ce qu'il paraît, quelque chose que d'avoir pour

soi les curieux. La curiosité n'est-elle pas une des formes de l'admiration? Et certes, il faut concéder à M. Renan une certaine habileté à montrer ou à faire disparaître, selon les besoins de sa cause, sa bonne muscade de Tolède!

M. Renan nous apprend que Papias, « évêque d'Hiérapolis, homme grave, homme de tradition, qui fut « attentif à recueillir ce qu'on pouvait savoir de la per« sonne de Jésus, préférait hautement la tradition orale « aux Évangiles écrits. »

Il nous renvoie à ce propos à saint Luc.

Oui, saint Luc parle, au commencement de son récit, de ceux qui ont été « les ministres de la parole. » M. Renan se pique donc d'exactitude; mais il y a plusieurs genres d'exactitude : être exact est la tactique des menteurs les plus habiles. M. Renan, avec la circonspection d'un louvoyeur audacieux, ne cite les Évangiles que pour en infirmer sournoisement l'autorité. Il affirme peu. Fidèle aux principes de sa stratégie cauteleuse, il insinue, il conjecture, il suppose, il suspecte.

Qui pourrait lire, sans y être contraint, cette interminable dissertation, où l'art de tout embrouiller, de tout obscurcir, sous prétexte de tout expliquer, se manifeste de la façon la plus accablante?

Et puis, que nous importe que Papias ait ou non préféré la tradition orale? Ce sont jeux de Sorbonne et d'Académie; ce sont propos de scoliaste rien de vivant, rien d'humain, rien d'intéressant. Passons.

Ici je vois le bout d'oreille de M. Renan.

Eh! quoi, parler si légèrement d'un homme de

suffisance, d'un homme de capacité, d'un homme qui,

suivant le terme cliché, a pâli sur les manuscrits et consacré ses nobles veilles à tant de travaux accomplis avec la patience d'un bénédictin !

Mais de quel droit M. Renan prétendrait-il nous obliger à discuter avec lui nos croyances? Il les insulte, et nous lui renvoyons le mépris: voilà tout.

On ne répond pas autrement à des travaux de cet ordre. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de lui donner un bon point; s'il continue, nous irons jusqu'au prix d'application et de bonne conduite.

Non, nous ne descendrons pas dans l'arène de la doctrine; dans cette arène où M. Renan, armé de ses bouquins et braquant sur nous le canon de ses arguments, voudrait nous attirer. Son canon n'est qu'un trompel'œil, comme ceux que les Chinois peignaient sur leurs bastions pour épouvanter l'ennemi; pas n'est besoin d'un fusil pour tuer l'artilleur sur sa pièce il suffit d'une lunette d'approche.

Non, nous ne descendrons pas dans l'arène de la doctrine. Pourquoi irions-nous fourrer notre nez dans ce fatras d'érudition? Que M. Renan garde pour lui, — s'il a le malheur d'en être encore fier, -sa prétendue supériorité de linguiste, son triste génie de rapetisseur; qu'il se pare à loisir de sa couronne d'épines de révolté; que, dans le silence du cabinet, dans le vide qu'a fait en son âme, non le renoncement fougueux d'un Luther, mais l'impuissance de nier ou de croire, il combine ses machines les plus savantes; qu'il prépare ses petits engins, nous répondons à l'avance à ses provocations ce mot d'un vrai sage, d'un vrai philosophe, qui, insulté par quelque cuistre du temps, frotté sans doute

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