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CHAPITRE XI

LA PASSION.

I

Jésus n'avait plus qu'à souffrir et à mourir. Continuant son chemin vers la montagne des Oliviers, il passa le torrent de Cédron, qui coule entre Jérusalem et cette montagne, et entra avec ses disciples dans un jardin qui était en un lieu appelé Gethsemani; il leur dit de s'y tenir pendant qu'il irait faire sa prière près de là, et de prier eux-mêmes afin d'être délivrés de la tentation. Ayant ensuite pris avec lui Pierre, Jacques et Jean, il commença à être saisi de frayeur et de tristesse, et il leur dit : «< Mon âme est triste jusqu'à la mort : demeurez ici et veillez avec moi. » Puis s'éloignant d'eux de quelques pas, il se prosterna contre terre, et comme il avait bien voulu, pour la consolation des siens, sentir en lui-même tous les mouvements que la nature excite ordinairement dans les hommes aux approches de la mort, il voulut bien aussi leur apprendre, par son exemple, ce qu'ils devaient faire en cet état. Par un sentiment volontaire de l'infirmité de la chair, il pria son Père de

l'exempter de la mort qu'il lui avait ordonné de souffrir ; il soumit cependant, avec une obéissance filiale, ce sentiment libre et naturel à la volonté de son Père. Il lui dit donc : « Mon Père, mon Père, tout vous est possible : éloignez de moi ce calice; mais néanmoins que votre volonté s'accomplisse, et non pas la mienne. »

Il se leva après cette prière, alla à ses disciples, qu'il trouva endormis, et, s'adressant à Pierre, il lui fit ce reproche « Simon, vous dormez; » et il leur dit à tous trois : « Quoi, vous n'avez pu seulement veiller une heure avec moi! veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation; l'esprit est prompt, mais la chair est faible, » comme s'il eût voulu dire : l'esprit veut braver la mort, et vous croyez avoir assez de force pour la mépriser ; mais la faiblesse de la chair l'emportera sur la force de l'esprit, si vous ne demandez à Dieu par la prière qu'il vous secoure contre la crainte de la mort. Après leur avoir parlé de la sorte, il s'en retourna faire sa prière, et il continua de dire à Dieu : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite. >>

Il revint une seconde fois à ses disciples, et les ayant encore trouvés endormis, il retourna pour la troisième fois à la prière.

Il lui apparut alors un ange du ciel qui vint le fortifier. L'agonie où il était, c'est-à-dire le combat qui se passait au dedans de lui, entre la chair qui répugnait à souffrir, et l'esprit qui voulait obéir à Dieu, causa une agitation si violente dans son corps, qu'il eut une sueur comme de gouttes de sang coulant jusqu'à terre.

Il s'en alla pour la troisième fois retrouver ses apôtres, et après leur avoir dit, en manière de reproche, de dormir et de reposer, s'ils le pouvaient ou le voulaient, il les avertit que l'heure était venue que le Fils de l'homme

allait être livré entre les mains des pécheurs. « Levezvous donc, leur dit-il, allons; celui qui doit me trahir est bien près d'ici. » Comme il parlait encore, Judas Iscariote arriva avec une cohorte de soldats romains et de gens que les prêtres, les scribes, les pharisiens et les magistrats avaient envoyés pour le prendre. Ils étaient armés d'épées et de bâtons; ils avaient des flambeaux et des lanternes, parce qu'il était nuit. Comme ils ne connaissaient pas celui dont ils avaient ordre de se saisir, Judas leur avait dit : « Celui que je baiserai, c'est luimême : arrêtez-le et l'emmenez sûrement. » Il s'approcha donc de Jésus et lui dit : « Je vous salue, mon Maître, » et lui donna en même temps le baiser qui devait servir de signal pour le faire prendre.

L'Agneau de Dieu ne refusa point ce baiser plus cruel que toutes les cruautés qu'il souffrit dans sa passion, et au lieu de le traiter comme le méritait sa perfidie, plus touché de sa perte que de son crime, il lui dit ce peu de mots : « Mon ami, qu'êtes-vous venu faire ici? Quoi! Judas, vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser! >>>

Il s'avança aussitôt vers les soldats que Judas avait amenés, et leur demanda qui ils cherchaient; ils lui répondirent : « Jésus de Nazareth. » Il leur dit : « C'est moi; » et aussitôt ils furent renversés et tombèrent tous par terre. Celui qui les avait terrassés permit qu'ils se relevassent aussitôt. Il leur demanda encore une fois : « Qui cherchez-vous? » Et sur ce qu'ils lui dirent de nouveau : « Jésus de Nazareth,» il leur répondit : « Je vous ai déjà dit que c'est moi.. Si c'est donc moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci; » ce qu'il disait de ses disciples, afin que la parole qu'il avait dite s'accomplit : « Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés. »

Il s'abandonna donc alors à ses ennemis, qui se jetèrent

sur lui et le prirent. Ses disciples lui demandèrent s'ils se serviraient de l'épée pour le défendre, et Pierre, tirant la sienne, en frappa Malchus, un des gens du grand prêtre, et lui coupa l'oreille droite : mais Jésus ordonna à ses disciples de s'arrêter, toucha l'oreille de Malchus et le guérit puis il dit à Pierre : « Remettez votre épée dans le fourreau, car tous ceux qui se serviront de l'épée périront par l'épée. Quoi ! ne boirai-je point le calice que mon Père m'a donné? et croyez-vous que je ne puisse pas prier mon père et qu'il ne m'enverrait pas ici en même temps plus de douze légions d'anges? Comment s'accomplira ce que disent les Ecritures, qu'il faut que les choses se passent de la sorte ? >>

Il s'adressa ensuite à ceux qui étaient accourus pour le prendre, et il leur dit : « Vous êtes venus ici armés d'épées et de bâtons pour vous saisir de moi, comme si j'étais un voleur: j'étais tous les jours assis au milieu de vous et j'enseignais dans le temple, sans que vous m'ayez arrêté; mais voici votre heure et l'empire des ténèbres, et il faut que les Ecritures s'accomplissent. >> Alors ses disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent tous. Seul, un jeune homme le suivit, couvert seulement d'un linceul; mais les soldats l'ayant voulu arrêter, il laissa son linceul et s'échappa de leurs mains.

Ceux qui avaient pris Jésus le lièrent et le menèrent d'abord chez Anne, beau-père de Caïphe. Anne l'envoya chez son gendre, qui était le grand prêtre de cette année-là, et qui avait dit aux Juifs qu'il était avantageux qu'un homme mourût pour la nation. Tous les princes des prêtres, les docteurs de la loi et les sénateurs étaient assemblés chez Caïphe, qui interrogea Jésus touchant ses disciples et sa doctrine. Le Sauveur lui répondit : « J'ai parlé publiquement à tout le monde ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où s'as

semblent tous les Juifs, et je n'ai rien dit en cachette. Pourquoi donc m'interrogez-vous? Interrogez ceux qui m'ont entendu, ils savent ce que j'ai enseigné. »

Cette réponse était digne de la Sagesse éternelle. Comme l'a fait observer le P. de Ligny, un accusé n'est pas admis à déposer en sa faveur; et si ce dont on l'accuse est public, il est aisé d'en faire la preuve par témoins. Ne vouloir pas procéder ainsi, c'était trop visiblement vouloir le perdre, et Jésus devait à la vérité et à son innocence de le faire sentir.

Il est vrai qu'il ne le pouvait pas sans faire sentir à ses juges qu'ils avaient tort; et comme on n'a jamais raison impunément contre des juges passionnés, dès qu'il eut répondu ainsi, un des officiers qui étaient là lui donna un soufflet, en lui disant : « Est-ce ainsi que vous répondez au grand prêtre ? »

Cet officier voulait à tout prix un avancement rapide. Jésus lui repartit : « Si j'ai mal parlé, montrez ce que j'ai dit de mal; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ?>>

Cependant, tous ceux du conseil cherchaient quelques faux témoignages contre Jésus pour le faire mourir, et ils n'en trouvaient point de suffisants pour cela, quoiqu'il se fût présenté plusieurs témoins qui déposaient beaucoup de choses. Il en vint deux qui l'accusèrent d'avoir dit qu'il détruirait le temple, et qu'en trois jours il en rebâtirait un autre, qui ne serait point fait, comme le premier, par la main des hommes; mais ce témoignage ne suffisait pas encore : néanmoins, Caïphe, se levant au milieu de l'assemblée, dit à Jésus : « Vous ne répondez-vous point à ce que ces gens-là déposent contre vous? » Comme il ne répondit point à cette interrogation, on lui en fit une autre; ils lui dirent tous : « Si vous êtes le Christ, dites-le nous. » Il leur répondit :

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