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COURT HISTORIQUE

L'ordre des Jésuites a été fondé par Ignace de Loyola, le plus jeune des onze enfants d'un gentilhomme espagnol de la Biscaye. Militaire jusqu'à l'âge de trente ans, Ignace avait été le héros d'une foule d'aventures galantes; mais une blessure qu'il reçut à Pampelune le força à changer de carrière. Durant une longue convalescence, il apprit à lire et à écrire par les soins d'un moine qui le tourna vers la vie religieuse. La difformité résultant de sa blessure aida à sa conversion en lui ôtant tout espoir de recommencer ses aventures amoureuses. Il s'associa une dizaine de prêtres et de gentilshommes au dépourvu comme lui, et parcourut la France et l'Italie.

C'était le moment où Luther prêchait contre les vices de la cour de Rome, le relâchement général des mœurs du clergé et la vénalité des indulgences. Les nouveaux religieux entreprirent la défense du SaintSiége, qui les reconnut sous le nom de Société de Jésus; il leur fut accordé, par une bulle spéciale, une foule de priviléges dont les autres ordres se mon

trèrent excessivement jaloux. Ils devinrent la milice choisie de Rome, et Benoît XIV les appelait les janissaires de l'Eglise.

Aux tendances spiritualistes, aux préceptes sévères des protestants, ils opposèrent des doctrines diamé– tralement opposées. C'est par eux qu'entrèrent dans l'Église les pratiques superstitieuses et la morale facile dont s'est effrayée avec raison la piété des fidèles éclairés.

Les Papes Paul III et Jules III leur accordèrent des priviléges qui les rendirent successivement indépendants même de l'autorité papale.

La Société de Jésus date de 1540.

Dès 1578, les Jésuites se font chasser d'Anvers, et en 1581, trois des leurs sont mis à mort en Angleterre pour avoir conspiré contre la reine Élisabeth.

Ils sont introduits en France par Henri II, malgré l'opposition du Parlement et de l'évêque de Paris, Eustache de Bellay. On les voit aussitôt mêlés à tous nos troubles; ils sont l'âme de la Ligue.

En 1589, Henri III est assassiné par le moine Jacques Clément.

En 1593, un élève des Jésuites, Barrière, tente d'assassiner Henri IV.

En 1594, surgit un nouvel assassin du roi ; c'est Jean Châtel. Les Jésuites, dont les leçons lui avaient mis le couteau à la main, sont chassés de France une première fois. On ne les voit plus; mais on les sent toujours.

En 1595, le père Guignard, un de leurs docteurs, est pendu en Grève pour avoir fait l'apologie du régicide.

En 1598, ils tentent de faire assassiner Maurice de Nassau et sont expulsés de la Hollande.

En 1610, Ravaillac assassine Henri IV, cette fois pour tout de bon. Les Jésuites font peindre un tableau où l'assassin est représenté montant au ciel plein de gloire, tandis que Henri IV, sa victime, est précipité au fond des enfers. Ce tableau se voyait encore en 1845 aux Archives du Palais-de-Justice à Paris. On ne saurait affirmer qu'il y soit aujourd'hui.

Dans l'année où Henri IV fut assassiné, le Jésuite Mariana publia son Institution du Prince, où se trouve l'apologie du régicide.

En 1618, les Jésuites sont chassés de la Bohême comme perturbateurs du repos public et corrupteurs de la morale.

En 1619, ils sont chassés de la Moravie pour les mêmes causes.

En 1643, ils sont chassés de Malte.

En 1646, ils font à Séville une banqueroute qui est restée fameuse.

En 1713, le Jésuite Jouvence, dans une histoire. de sa Société, installe parmi les martyrs les assassins de nos rois. Son livre est condamné au feu.

En 1723, Pierre le Grand ne trouve de sûreté pour sa personne et de tranquillité pour la Russie que dans le bannissement des Jésuites.

En 1757, un attentat est commis contre Louis XV par Damiens, qui avait vécu chez les Jésuites. La même année, ces bons pères publient une édition d'un de leurs livres où la doctrine du meurtre des rois est enseignée. On les chasse de nouveau. Il eût mieux valu ne les pas laisser rentrer.

En 1758, le roi de Portugal est assassiné à la suite d'un complot conduit par les pères Malagrida, Matus et Alexandre. Les Jésuites sont chassés du Portugal.

En 1761 éclate la banqueroute du P. Lavalette (1). Arrêt du Parlement, en date du 5 mars 1762, qui chasse les Jésuites de France et de nos possessions, à cause de leurs doctrines pernicieuses, où le meurtre, le vol, le mensonge, le parjure, l'impureté, tous les crimes enfin, sont justifiés. Cet arrêt fut rendu toutes Chambres assemblées.

Voici d'ailleurs l'histoire abrégée de ce mémorable procès :

En 1743, la Société avait envoyé à la Martinique, en qualité d'inspecteur des missions, le père Lavalette, homme entreprenant et capable. Ce Jésuite fonda dans les Antilles une maison de commerce, qui s'empara presque exclusivement de la vente des denrées des Indes Occidentales; c'est ainsi qu'on nommait alors l'Amérique. Elle se mit en relation avec les premières maisons de France et d'Angleterre. Les frères Lionci, à Marseille, devinrent les principaux correspondants du père Lavalette, vis-àvis duquel ils arrivèrent à se trouver à découvert d'une somme de près de 2,000,000 de livres. Pour se libérer de cette somme, le père Lavalette expédia deux navires richement chargés; mais ils furent capturés en mer par les Anglais, qui venaient de déclarer la guerre à la France.

La maison Lionci, pressée par le besoin de ses

(1) Voi la note complémentaire, à la suite de cet historique, page 17.

fonds, demanda au supérieur des Jésuites, à Marseille, une somme de 400,000 livres pour éviter de faire banqueroute. Ce supérieur, nommé le père Sacy, qui jusqu'alors avait été l'agent direct et reconnu du père Lavalette, déclara que la Société ne pouvait être solidaire; mais qu'elle offrait aux MM. Lionci le secours de ses prières, et qu'elle venait de faire dire une messe à leur intention. Les messes et les prières des Jésuites ne remplissant pas la caisse des frères Lionci, ils furent forcés de déposer leur bilan et de poursuivre devant le Parlement le paiement de leur créance. Les Jésuites voulurent étouffer l'affaire; mais M. de Choiseul, premier ministre à cette époque, décida le roi Louis XV à autoriser les poursuites, et les Jésuites furent condamnés à rembourser les lettres de change de leur agent. Ils eurent l'imprudence de refuser ce paiement en alléguant leurs constitutions. Ce mot fut pour eux un coup de foudre. Ces constitutions étaient restées secrètes jusqu'à ce jour; il fallut les produire. Elles furent immédiatement dénoncées au Parlement par l'abbé Chauvelin, conseiller à la Grand'Chambre, et devinrent une des principales bases de l'accusation, qui se termina par l'arrêt de 1762, qui expulsait les Jésuites de France, « comme des gens professant une << doctrine dont les conséquences iraient à détruire << la loi naturelle, cette règle des mœurs que Dieu « lui-même a imprimée dans le cœur des hommes, « et, par conséquent, à rompre tous les liens de la « société civile en autorisant le vol, le mensonge, le << parjure, l'impureté la plus criminelle, et générale<< ment toutes les passions et tous les crimes, par

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