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fait par le passé. Mais un sentiment qui n'a pas besoin d'être justifié dans les circonstances présentes doit m'interdire tout ce qui pourrait avoir le plus léger caractère de l'opposition; je dois d'autant plus m'en abstenir que c'est peut-être à cette apparence d'opposition aussi légitime, aussi consciencieuse, que je dois les atroces calomnies qui ont été répandues ces jours derniers avec tant de complaisance sur mon compte; calomnies qui, sous d'autres rapports, n'ont point été également ménagées à mes honorables amis; infamies, il est vrai, auxquelles je devrais être habitué depuis qu'avec un peu de talent et de courage j'ai pu rendre quelques services à la monarchie.

Dans de telles conjonctures, je me vois doublement forcé de garder le silence. Je renonce à la parole.

M. le marquis de La Caze. Messieurs, l'erreur est respectable lorsqu'elle est accompagnée de la bonne foi; alors elle est digne d'être combattue parce qu'elle est susceptible d'être éclairée. Lorsque l'erreur est calculée, que ses préjugés ne sont point dans le cœur mais dans la bouche de ceux qui les professent, qu'elle se revêt des couleurs populaires pour surprendre, c'est une insidieuse ennemie qu'aucune défaite ne décourage, et dont la vérité ne peut jamais triompher.

La discussion sur la loi relative au crédit extraor dinaire de 100 millions a donné lieu à des débats remarquables; vous avez entendu ces discours éloquents, vous avez suivi ces développements lumineux et profonds où l'honneur, l'amour de la patrie, le savoir et la raison se sont disputés la gloire de vaincre, et vous avez proclamé ce qu'avaient annoncé le discours du trône et votre adresse, la nécessité, la légitimité de la guerre.

Ce n'est cependant qu'aux yeux du Français ami de son pays, qu'il est prouvé que la guerre est dans les intérêts du prince et des sujets, qu'elle est à la fois nationale et politique; ses antagonistes n'ont point changé de sentiments ou plutôt d'attitude et de langage.

Mais en votant les ubside de 100 millions nous avons rempli notre devoir, il nous en reste un autre à remplir aujourd'hui; bravons les prédictions sinistres dont on a fait retentir cette tribune; des scènes de fantasmagorie menaçante ont aussi précédé les expéditions d'Italie, et deux monarchies ont été sauvées. L'Espagne sera délivrée et le sera par la France seule. Nous réconcilierons ce beau royaume avec toutes les puissances européennes, et désormais des jours de gloire et de bonheur luiront sur tous les Etats soumis à l'autorité paternelle des Bourbons.

J'aborde la question du rappel et de la répartition des jeunes vétérans. Je m'expliquerai avec brièveté pour ne pas abuser des moments de la Chambre.

L'exposé fait par M. le ministre de la guerre et le rapport de mon honorable collègue M. le général Dupont, rapporteur de votre commission, auraient dû suffire, à ce qu'il me semble, pour éviter toute discussion sur un projet de loi aussi simple en lui-même que celui qui vous est présenté.

Toutes les objections ont été prévues et répondues; on peut les renouveler, on ne les rendra pas meilleures en les délayant et en les accompagnant de réflexions étrangères au sujet.

Les membres de votre commission n'ont vu dans l'appel des militaires libérés que l'exercice d'un droit délégué à la couronne par la loi du 10 mars 1818. La demande de pouvoir employer

les jeunes vétérans hors de la division militaire dont fait partie le département auquel ils appartiennent, est encore une suite des dispositions de la même loi.

Cette loi, en établissant que les sous-officiers et soldats, rentrés dans leurs foyers après avoir achevé leur temps de service, seront assujettis, en cas de guerre, à un service territorial, n'a-telle pas en même temps stipulé qu'ils ne pourraient être requis de sortir des divisions militaires où se trouve leur domicile qu'en vertu d'une loi particulière?

Toutes les formalités seront remplies, le gouvernement usera de ses droits par l'appel qu'il fera; c'est à nous de seconder les sages mesures qu'il prend d'avance, en donnant à la loi du 10 mars l'extension que les circonstances pourront exiger.

J'ai entendu insinuer avec perfidie que c'était pour éviter d'employer à la défense de la patrie les braves de l'ancienne armée qu'on faisait tomber l'appel sur les derniers congédiés.

J'ai répondu à la calomnie que l'ancienne et la nouvelle armée n'en font qu'une; que l'honneur et la bravoure sont les mobiles de tous les soldats français, et que vouloir faire des distinctions entre eux, c'est insulter à leurs sentiments. Si les brandons de discorde qu'ose encore agiter la malveillance pouvaient allumer un incendie, on les verrait, ces soldats, courir et se disputer à qui l'éteindrait, ce n'est qu'en dévouement, en courage, en fidélité qu'ils peuvent être rivaux.

J'ai entendu dire qu'il y avait injustice à faire un choix entre tous les libérés; j'ai répondu à l'erreur la haute sagesse du Roi, son amour pour ses peuples, sa justice impartiale se manifestent dans la préférence accordée aux jeunes soldats qui ont été libérés le 3 décembre dernier. Ces militaires ont longtemps attendu dans leurs foyers le moment de joindre le drapeau sans tache. Des années passées dans le sein de leurs familles leur ont été comptées comme années de service.

Ces derniers libérés, d'ailleurs, à peine sortis des rangs n'ont pas encore perdu les habitudes militaires; ils n'ont pas encore oublié le maniement des armes, les évolutions, la discipline; ils n'ont pas encore eu le temps de former des établissements; leur absence ne sera pas nuisible à la société; elle n'y sera pas même remarquée. Tandis qu'en s'attaquant aux autres classes, ni les intérêts de l'armée, ni les intérêts de l'agriculture et de l'industrie n'étaient ménagés. Des pères de famille pouvaient être arrachées à leurs enfants, des fabricants à leurs manufactures, et l'exécution d'un devoir sacré, en opposition avec les liens les plus chers à l'humanité, aurait entraîné des regrets.

N'a-t-on pas aussi relevé cette expression : en cas de guerre, employée dans la loi et dans le préambule de M. le ministre de la guerre? et, s'étayant de cette expression: en cas de guerre, n'en a-t-on pas déduit qu'il eût été convenable d'attendre que la guerre fut déclarée, pour appeler et mobiliser les jeunes vétérans? comme si la guerre pouvait se faire avantageusement sans avoir été prévue et par conséquent sans préparatifs, comme s'il fallait attendre l'envahissement du territoire pour songer à armer les bras qui doivent le défendre.

Si la dignité du trône, si la sécurité de la France le permet, la parole royale est un garant certain que la guerre ne se fera pas.

Cependant cent mille Français sont en marche, et ces cent mille Français sont commandés par un prince héritier de la valeur héroïque des Bour

bons, par un prince que le cœur de notre Roi se plaît à nommer son fils.

En présence d'une rébellion qu'il faut combattre et réduire pour triompher à jamais des révolutions en détruisant les derniers éléments révolutionnaires, est-il permis à la prudence de rien calculer?

Messieurs, les hostilités peuvent commencer d'un moment à l'autre, dès que l'armée aura franchi les Pyrénées, nous ne pouvons laisser nos frontières et nos places fortes sans défense. Tel a été l'avis unanime de votre commission, et j'en faisais partie.

Je vote en faveur du projet de loi.

M. Clausel de Coussergues. Messieurs, on ne peut opposer au projet de loi actuellement en discussion, que les mêmes raisons par lesquelles on a combattu le projet de loi relatif aux 100 millions. La question est toujours la même : « La guerre d'Espagne est-elle nécessaire?» Tout a été dit à ce sujet; je me bornerai à rappeler quelques faits qui prouvent jusqu'à l'évidence qu'il ne s'agit pas de faire la guerre contre l'Espagne, mais en faveur de l'Espagne, contre une conspiration militaire qui, pour l'intérêt des seuls conspirateurs, a tenté d'établir une sorte de gouvernement entièrement contraire aux mœurs et à la volonté de la nation; que par conséquent, dans cette guerre, la France ne sera que l'auxiliaire de l'Espagne. Permettez-moi, Messieurs, quelques détails: il est important qu'ils soient universellement connus, au moment où l'armée de Sa Majesté s'avance vers les frontières d'Espagne.

Je prendrai mes premières preuves dans les actes mêmes des Cortés. Pendant que les braves Espagnols combattaient contre Buonaparte, quelques hommes sans mission composaient, dans Cadix, la constitution républicaine de 1812. Lorsque l'Espagne fut délivrée, osèrent-ils soumettre cette constitution à l'acceptation des villes et des provinces? Non, Messieurs! ils prescrivirent à tout Espagnol de jurer d'y obéir, sous peine d'être privé de toutes fonctions publiques, et même d'être banni de l'Espagne. Cette première persécution ne fut pas longue, à cause du retour du Roi les Cortès eurent cependant le temps de chasser de son siége le saint évêque d'Orense, qui, pendant neuf ans, avait donné l'hospitalité à trois cents prêtres français déportés, et qui ne voulut pas reconnaître un acte illégal et violent, qui devait produire en Espagne une révolution semblable à celle de France.

Le roi d'Espagne, après sept ans de prison, arrive sur les frontières de son royaume. On croirait d'abord que les Cortès, qui ont imposé une constitution à la nation, voudront au moins avoir l'assentiment du Roi; non, Messieurs, les Cortès décrètent au contraire que le roi se rendrait en ligne droite à Madrid, sans pouvoir faire aucun acte de l'autorité royale jusqu'à ce que, en présence des Cortès, il aurait prêté serment à la constitution. Ferdinand, après un si long exil, ne trouva donc plus de sujets, mais des maîtres absolus. Il fut prisonnier en Espagne comme en France; toute la différence fut qu'au lieu d'avoir pour limites de sa prison les murs du parc de Valençay, il fut gardé par les soldats des Cortès sur la grande route des frontières du Roussillon à Madrid. Le monarque obtint cependant de cette garde de visiter la fidèle, l'héroïque ville de Saragosse, qui n'était pas sur la route qu'on lui avait prescrite. Les Cortès furent fort courroucées de cette désobéissance du roi. M. le comte de Toréno,

l'un des auteurs de la constitution de Cadix, a imprimé, dans un écrit qu'il a publié à Paris, que ce passage par Saragosse était déjà une contravention au décret des Cortès. Je cite ses propres termes. Cette double violence envers la nation et envers le roi prouve assez que le gouvernement dit constitutionnel qui fut aboli, à l'arrivée du roi dans Madrid, aux acclamations de la capitale et de toute l'Espagne, n'était que l'œuvre d'une faction.

Mais une preuve plus forte encore, ce sont les attaques des Cortès contre la religion. Tout le monde sait que ce qui caractérise le plus la nation espagnole, c'est son attachement à la religion catholique. Les auteurs de la constitution de Cadix en ont rendu le plus mémorable témoi gnage, puisqu'ils se sont crus obligés de l'exprimer ainsi :

Art. 12. La religion de la nation espagnole est et sera perpétuellement la religion catholique, apostolique et romaine, la seule vraie. La nation la protége par des lois sages et justes, et défend l'exercice de toutes les autres. »

Voilà l'opinion universelle à laquelle les Cortès furent forcées de rendre hommage, mais veut-on savoir comment les auteurs, les amis de cette constitution, s'en expliquent eux-mêmes? Dans des lettres imprimées à la suite de l'écrit de M. le comte de Toréno, déjà cité, on lit ce qui suit sur cet article 12: « Les législateurs de 1812 ont dû payer au préjugé universel un tribut aussi honteux (p. 124) Et à la page suivante on lit encore: « En 1812, pendant que les moines excitaient le peuple contre les Français, en les déclarant hérétiques, les Cortès abolissaient les moines, et les moines et le peuple se taisaient; en dernier lieu, lorsque le pape refusa les bulles de deux évêques nommés par le gouvernement, un homme d'Etat qui connaissait bien sa nation disait Que la cour de Rome prenne bien garde à ce qu'elle fait; elle ne sait pas que le peuple espagnol a tellement de bon sens, qu'en moins de dix années il pourrait devenir athée. »

Voilà où les hommes d'Etat des Cortès aspirent de mener la nation espagnole !

M. le comte de Toréno dit lui-même sur cet article 12 (p. 84):

Ajoutez qu'il sera facile, avec le temps, à l'aide de la discussion et de la liberté établie, de propager des idées saines à cet égard, de faire comprendre combien il est juste et nécessaire de respecter la liberté de tous les cultes, et qu'alors surtout, si le nombre des étrangers est sensiblement accru, l'Espagnol catholique verra sans se scandaliser le temple protestant s'élever à côté de son église, et que la vue d'une mosquée ou d'une synagogue ne lui inspirera pas plus d'horreur qu'elle n'en inspirait à ses pères avant l'établissement de l'inquisition..

Ainsi, ces législateurs de Cadix annonçaient que le culte catholique continuerait d'être le seul en Espagne; et, quelques années après, il ne craignent pas de manifester l'espérance de voir élever des mosquées dans ce pays qui a combattu pendant huit cents ans, non par les procédures de l'inquisition, mais par cent batailles, pour faire disparaître les mosquées de la péninsule espagnole !

Ailleurs, et dans les temps anciens et dans les temps modernes, les révolutionnaires se couvraient de l'intérêt du peuple, et ils opposaient les plébéiens aux patriciens. Les conspirateurs espagnols n'ont pas même ce prétexte; ils sont tous de la classe privilégiée. M. Corradi, rédac

teur des procès-verbaux des Cortès, qui a enrichi de notes précieuses l'ouvrage de M. le comte Toréno, nous apprend qu'on ne comptait dans les Cortès constitutionnelles de Cadix, et dans celles constituées en 1813 et 1814, que trois députés plébéiens. M. le baron Bignon, dans un important ouvrage, rend le même hommage au liberalès des barons napolitains, et vous vous souvenez que, lorsqu'à Turin on publia aussi la constitution des Cortès, de jeunes patriciens, de jeunes seigneurs de la cour furent les seuls chefs de la conspiration. Les révolutionnaires espagnols sont aussi étrangers au peuple que l'étaient les complices de Catilina; mais vous ne les verrez pas, comme le conspirateur romain, laisser deux mille hommes sur le champ de bataille. Leur modèle est dans les Abbruzes et à Alexandrie.

Je ne quitterai pas cette tribune sans répondre aussi par quelques faits à ce qu'on ne cesse de répéter, que nous voulons soumettre l'Espagne à l'inquisition et au pouvoir absolu.

M. de Martignac vous a lu hier des passages fort remarquables de l'Itinéraire de notre honorable collègue, M. de Laborde, au sujet de l'inquisition je pourrais vous citer des passages aussi formels de l'ouvrage de M. Bourgoin sur l'Espagne, qui a paru pour la première fois en 1787, et la seconde en 1807; et l'on voit dans ces éditions, publiées à vingt ans d'intervalle, que l'inquisition ne s'occupait plus qu'à empêcher la circulation des livres impies aussi, remarquez qu'on ne nous a jamais parlé, à cette tribune, de l'inquisition que personne ne veut rétablir, qu'on n'y ait joint aussitôt les jésuites, et par jésuites on ne peut plus entendre que les prédicateurs de l'Evangile.

Quant au pouvoir absolu, plusieurs ouvrages ont été publiés depuis deux ans sur les affaires d'Espagne par des royalistes espagnols, et vous n'en trouverez pas un seul qui ne réclame les anciennes libertés de la nation. Comme le dit M. le ministre des affaires étrangères, assez de libertés nationales reposent dans les lois des anciennes Cortès d'Aragon et de Castille, pour que les Espagnols y trouvent à la fois un remède contre l'anarchie et le despotisme.» Ferdinand VII, rentrant en Espagne, promit de convoquer les anciennes Cortès; il est notoire que le conseil de Castille s'est occupé d'un grand travail relatif à cette convocation, afin d'accorder ou de rapprocher le plus possible les anciennes lois politiques des diverses parties de l'Espagne. La réunion des Cortès devait avoir lieu à la fin de 1820.

Le Roi, pressé par les circonstances, en ordonna la convocatíon le 7 mars, pour mettre fin aux troubles. Le lendemain, quelques conspirateurs assaillirent le palais, et par les plus atroces menaces, non-seulement contre la famille royale, mais contre tout ce que renfermait de plus respectable de la ville de Madrid, ils arrachèrent au monarque la signature de la constitution de Cadix, et le chef des conspirateurs s'empara aussitôt de tout le pouvoir.

Le gouvernement de Ferdinand a été atroce, vous a-t-on dit à cette tribune: vous ne regretterez pas un moment employé à entendre la vérité sur un monarque aussi souvent calomnié. Ce prince est de la race de saint Louis; il ne nous est pas étranger. Pendant un règne de six ans, de 1814 à 1820, trois hommes seulement ont subi en Espagne la peine capitale pour crimes politiques. Cette peine a été prononcée par les tribunaux ordinaires et réguliers; et le roi Ferdinand

n'est intervenu dans le jugement de ces chefs de conspiration, que pour faire grâce à tous les complices.

A ces injures calomnieuses contre le roi Ferdinand, qui excitèrent tant d'indignation dans cette enceinte, j'opposerai le témoignage des Cortès mêmes; elles ont fait graver dans leur salle, sur le marbre, le martyrologe des héros de la liberté sous la tyrannie de Ferdinand. Eh bien, ce marbre immortel ne porte que deux noms: celui de Porlier, qui voulut s'emparer de la Corogne, et celui de Lascy, qui tenta de surprendre la citadelle de Barcelone. Une sorte de pudeur a empêché les Cortès d'y joindre le nom de Richard, parce que celui-ci, régicide vulgaire, n'avait pas tenté d'insurrection, et qu'il s'était borné à vouloir assassiner le roi dans une rue de Madrid.

Ceux qui connaissent l'Espagne savent que ce qui a fait le succès de la conspiration militaire de 1820 a été la malheureuse confiance que Ferdinand VII avait accordée à des traîtres, et à des traîtres qui, dans un pays renommé pour sa fidélité à ses rois, se sont vantés, chose bien digne des révolutionnaires modernes, d'une trahison qu'ils auraient méditée pendant six années.

C'est à des hommes de ce caractère que l'armée du roi de France aura à faire la guerre, et non à la nation espagnole qui ne cesse de réclamer le secours de l'auguste chef de la maison de Bourbon. Je vote pour le projet de loi.

M. le Président. La parole est à M. le général Lafont.

M. le général Lafont. Le rapport de la commission, dont j'étais membre, n'étant pas contesté, je renonce à la parole.

(La parole est donnée à M. de Marcellus.)

M. de Marcellus. Il y a quelques années, dans la discussion de la loi du recrutement, je m'exprimais ainsi à cette tribune au sujet des vétérans légionnaires que cette loi rétablissait sur les contrôles de l'armée : « Si le trône était en péril, ces généreux guerriers se lèveraient tous comme un seul homme. Ce que je disais alors s'exécute aujourd'hui; et vous êtes appelés, Messieurs; à y coopérer par votre action législative.

Oui, le trône de notre Roi est en péril quand le trône d'un roi voisin issu du même sang s'écroule sous les coups de la révolte. Le trône de notre Roi est en péril quand la révolution qui l'a deux fois renversé tressaille d'espérance en couvrant de débris, de sang et de larmes une terre où la fidélité triompha si longtemps, et frémit d'impatience au pied des Pyrénées, barrière impuissante que ses menaces féroces ont déjà osé franchir.

Faut-il attendre, pour arrêter les progrès d'un mal, que ce mal soit irrémédiable? Sera-t-il temps de nous opposer aux ravages d'une contagion qui porte avec elle la destruction et la mort, alors que nous en serons les victimes? Avons-nous le droit de voler chez un peuple voisin et ami au secours des bons, opprimés par la tyrannie révolutionnaire, au secours même des méchants, opprimés et entraînés à leur perte par leurs propres fureurs? Ces questions, l'honneur, cette idole des coeurs français, s'est chargé de les résoudre : et il arrive ici ce qui arrivera toujours en France; la cause sacrée de l'honneur est la cause du salut et de l'existence même de notre pays.

Oui, Messieurs, l'existence de la France est en danger si la révolution triomphe en Espagne, et

il faut le dire aux personnes qui ne connaissent pas, ou qui s'obstinent à méconnaître la Révolution. Cet esprit de révolte contre toute autorité divine et humaine, cet orgueil d'impiété et d'anarchie monte toujours, dévore tout et se dévore lui-même, s'il n'est comprimé par les barrières salutaires de l'ordre, de la religion, du pouvoir légitime; barrières autour desquelles s'agitent sans cesse les passions humaines, mais que la raison de l'homme de bien chérit, respecte et bénit comme les seuls remparts et les inébranlables fondements de toute société.

Les rois ne portent le sceptre que pour défendre et conserver ces principes sacrés. « Dieu, dit le grand Bossuet (V. Avert. aux Protest.), Dieu, père et protecteur de la société humaine, a ordonné les rois pour la maintenir, les a faits ses lieutenants, et leur a mis l'épée à la main pour exercer sa justice. » Les nations sont ellesmêmes solidairement responsables du maintien de ces bases immortelles sur lesquelles reposent leur bonheur et leur stabilité. Les laissent-elles ébranler? tous les fléaux fondent sur elles. Saventelles les conserver et y être fidèles? la paix et la prospérité sont leur récompense. Aussi doiventelles réciproquement les unes chez les autres secours et protection à ces principes de salut, et par respect pour les liens qui unissent ensemble tous les membres de la grande famille, et par zèle pour leur propre conservation; car l'irréligion et la révolte ont trop d'intelligences dans la corruption du cœur de l'homme pour ne pas envahir dès qu'on les tolère, et pour ne pas allumer de peuple en peuple un incendie qui embrase l'univers.

Les hommes d'Etat qui refusent à la France le droit d'intervention en faveur d'une nation en proie à toutes les horreurs de l'anarchie ont-ils oublié que la fameuse intervention de Gélon, pour empêcher les Carthaginois d'immoler des victimes humaines, a été louée par les publicistes de tous les siècles, et en particulier par ces philosophes, apôtres de philanthropie, dont la révolution aime tant invoquer l'autorité? Qui oserait dire, après ce que nous avons vu en France et ce qui se passe en Espagne, que l'implacable divinité à laquelle sacrifiait Carthage fût plus farouche et plus sanguinaire que la furie des révolutions?

Mais, ajoute-t-on, pourquoi déclarer la guerre à la révolution d'Espagne avant qu'elle nous la déclare? Messieurs, attaquer la révolution, c'est se défendre. Elle est agressive de sa nature, et ceux qui croient la conduire sont entraînés par elle, et deviennent agresseurs malgré eux. Il est trop tard d'ailleurs pour se défendre contre un ennemí, alors qu'une négligence imprudente ou une mollesse pusillanime lui ont laissé prendre des forces et l'ont rendu assez audacieux pour tout oser, assez puissant pour tout envahir. Ignorez-vous que le plus grand des orateurs, et peut-être des hommes d'Etat, n'a cueilli la palme de l'éloquence qu'en animant son peuple à combattre un conquérant qui cependant n'attaquait encore que ses alliés et ses voisins, et respectait le territoire d'Athènes? Les champs de Chéronée ont prouvé, trop tard sans doute pour la gloire et le bonheur des Athéniens, combien était juste et sage la courageuse prévoyance de Démosthène.

Ce n'est point la guerre, Messieurs, que nous allons faire en Espagne: c'est la paix. Combattre la révolution, c'est pacifier les sociétés avec qui la révolution est toujours en guerre. Je le demande à tout homme de bonne foi, et surtout de bonne mémoire: l'intérieur de la France était-il en paix

paix

en 1793 et 1794? Est-ce la paix que la révolution et son hideux cortége; les proscriptions, les confiscations, les cachots, les massacres, les échafauds, partout le sang et la mort, est-ce la paix? Oui sans doute, c'est la paix; mais cette paix que la révolution vocifère, en invoquant le régicide: c'est la paix ; mais la paix du désert et des tombeaux; cette paix terrible que Tacite a peinte en deux mots avec sa plume de feu: Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant (Vit. Agricol.).

Ah! lorsque la France gémissait sous l'insupportable oppression des Marat et des Robespierre, lorsqu'elle était couverte de victimes et de bourreaux, songez, Messieurs, avec quels transports de joie eût été reçue une puissance bienfaitrice qui serait venue briser ses fers et la rendre à son Roi; et au moment où cette puissance, surtout si ellé eût marché sous les nobles drapeaux d'un Bourbon aurait aidé la France à proclamer librement son prince légitime, tous les Français n'auraient-ils pas cru être délivrés de la plus sanglante des guerres, et recouvrer la paix avec tous ses charmes et tous ses bienfaits? Cette puissance libératrice, votre patrie, Messieurs, est appelée par son Roi à l'être pour l'Espagne. Applaudissons à de si hautes destinées, et hâtons-nous de les seconder par nos vœux.

Les exploits qui attendent nos armées dans la Péninsule couronneront leur gloire et en rehausseront l'éclat. Le guerrier français trouve qu'il manque quelque chose à la victoire quand il n'y est pas conduit par un fils de Henri IV et de saint Louis.

On nous a dit qu'il n'était point de famille en France qui n'eût donné de son sang aux guerres de la révolution. J'ose répondre à l'orateur qu'il en est (et je puis le lui prouver) qui, arrachées par de plus grands malheurs encore aux réquisitions et aux conscriptions de l'anarchie et de la tyrannie, n'ont pas touché aux lauriers, brillants sans doute, mais sanglants, dont se couronnent nos trophées, et qui, aujourd'hui rendues par l'auguste autorité du Roi que leurs vœux appelaient à la noble liberté des sentiments si naturels aux cœurs français, s'empressent de courir au-devant des pacifiques lauriers que la gloire leur présente.

Vous qui, à la voix d'un chef insatiable de conquêtes, n'avez pas balancé de courir aux dangers, et de prodiguer votre sang, et qui aujourd'hui croyez devoir refuser à votre Roi vos suffrages, cessez de faire entendre à nos guerriers de sinistres prophéties et de leur présager des revers: ils ne vous croiront pas. Ils savent (et vous le leur auriez appris) que la voix d'un général français ne doit prédire que la victoire.

Allez donc, brillante jeunesse, allez délivrer cette belle Hespérie de tous les fléaux réunis en la délivrant de la révolution. Allez vous associer aux exploits de ces Vendéens de l'Espagne, des défenseurs de la foi. Et tandis que vous marcherez à l'ombre du panache blanc sur le chemin de l'honneur, vos frères d'armes, déjà blanchis sous le casque et vétérans de la victoire, veilleront à la sûreté de nos places, au maintien de l'ordre intérieur, à la sécurité de ce foyer paternel que vous quittez avec une si noble allégresse pour suivre un prince héroïque, et prendre part à sa gloire et à ses travaux. Jamais une plus belle cause n'arma les mains de vos aïeux. Duguesclin, à la tête des guerriers français, fit régner Transtamare; mais il ne raffermit pas, par ce grand exploit, le trône de son maître : et combien les fureurs de Pierre le Cruel étaient douces, si on les

compare aux fureurs de la révolution ! Les vainqueurs d'Almanga et de Villa-Viciosa firent goûter à l'Espagne le sceptre paternel des Bourbons Mais le sort de la France n'était point attaché au succès de leurs armes; et ils n'avaient pas à délivrer l'Espagne de tous les crimes et de tous les fléaux. Ici, vous prenez les armes pour votre pays que le monstre de la révolution menace encore, et pour les autels du Dieu vivant qu'il brûle de renverser. Allez ! songez qu'en sauvant l'Espagne, vous sauvez la France, l'Europe et le monde: songez que, dans cette noble querelle, guidés par un prince aussi vertueux que vaillant, par un prince dont les mains augustes ne savent cueillir que des lauriers sans tache,

C'est votre Roi, c'est Dieu pour qui vous combattez.>

M. le Président. La liste des membres inscrits pour parler sur le projet de loi est épuisée. M. le rapporteur a la parole.

M. le général Dupont, rapporteur. Messieurs, toutes les considérations auxquelles peut donner lieu le projet de loi doivent être ramenées à cette question: Est-il nécessaire de pourvoir à la sûreté de l'Etat ?

Ce besoin a dicté la proposition royale. Elle vous est présentée comme une mesure indispensable de prévoyance, et vous partagerez le vœu du trône lorsque l'armée se rassemble vers les Pyrénées, et que les hostilités sont prêtes à éclater, vous penserez que les frontières du royaume ne peuvent rester sans défense pendant le cours des événements, et que la tranquillité de l'intérieur doit être protégée.

Nos forces militaires de paix ne peuvent suffire aux besoins de la guerre. Elles ont été établies dans une proportion peu élevée, même pour les temps de paix, et il est à observer que des motifs d'économie ont tenu jusqu'ici tous les corps audessous de leur complet. Mais une loi a créé des ressources pour le cas de guerre, et le moment est arrivé où elles doivent êtres mises à la disposition du trône.

S'il était encore permis de croire que le maintien de la paix fût possible, il faudrait, dans cette pensée, accorder au gouvernement les moyens qu'il demande. Les refuser serait affaiblir au dehors la considération de sa force et accroître les obstacles qu'il a à surmonter. Mais tout démontre que le secours des armes est indispensable pour obtenir ce qu'exigent les intérêts de la monarchie et la dignité de la couronne. Dans cette situation la Chambre doit s'empresser d'adopter la mesure proposée. Lorsque la force des armes se déploie, tout doit concourir au succès L'honneur et la stabilité de l'Etat y sont attachés.

Si l'on a demandé pourquoi le projet de loi ne rappelait pas la classe la plus ancienne des vétérans, je répondrai qu'un juste ménagement envers les sous-officiers et soldats qui ont servi plus longtemps sous les drapeaux avait fait désigner la plus jeune classe des vétérans. Il a été observé, en outre, que récemment libérée, elle était la plus susceptible d'être réunie avec promptitude et de rendre immédiatement un service plus utile.

Ces militaires rappelés sont destinés à remplacer dans l'intérieur les troupes actives, mais il est à présumer que l'habitude et l'amour des armes porteront le plus grand nombre de ces braves à demander un service plus actif que le service territorial. A la vue de leurs drapeaux qui

se déploient pour la guerre, ils reviendront s'y rallier. Modèles de leurs corps pendant la paix, ils voudront l'être encore sur les champs de bataille.

En rendant justice au courage de l'armée, on a représenté dans une autre séance les difficultés de la guerre en Espagne et les chances qu'elle peut offrir. La nature du terrain, le climat et d'autres circonstances donnent en effet aux opérations militaires, dans cette Péninsule, un caractère particulier, mais il faut considérer que l'art et l'expérience s'appliquent à tous les théâtres de la guerre. S'il est des obstacles qu'on doive prévoir, il faut placer à côté d'eux la puissance des moyens destinés à les vaincre.

Je ne reproduirai point les plans d'opérations dont on a tracé ici le tableau; des vues et des combinaisons militaires ne peuvent être appréciées à cette tribune. C'est du trône que doivent émaner les hautes conceptions de la guerre il est le juge suprême et le plus éclairé, des dispositions qu'elle exige. Tout concourt à l'environner des lumières les plus utiles à ses desseins et à préparer leur succès. Le Roi tient le sceptre le plus illustre par la gloire des armes; il commande à une grande et belliqueuse nation, et il est entouré de capitaines renommés.

A cette considération se joignent en ce moment les motifs de confiance qui reposent sur une armée bien organisée, instruite, disciplinée et conduite avec habileté; elle est animée en même temps par le souvenir de nos triomphes et la présence d'un prince qu'elle sera fière de suivre dans ces nouveaux champs de gloire.

On a rappelé les événements de la guerre que Napoléon a portée en Espagne: de grandes forces et de grands succès n'ont pu empêcher l'issue infructueuse de cette entreprise. Mais une guerre conçue par l'ambition, et dont le but était la conquête et la domination, ne peut être comparée à la guerre qui se prépare: celle-ci ne tend qu'à aplanir les différends qui divisent deux nations destinées aux liens les plus étroits; elle ne doit que seconder le triomphe des principes monarchiques et l'affermissement d'un ordre de choses nécessaire à la prospérité commune.

Que l'Espagne soit gouvernée par des institutions analogues au noble caractère et à l'esprit de ses peuples, que son trône reprenne la dignité qui lui appartient, qu'une heureuse harmonie de principes et la même splendeur du sang des Bourbons règnent des deux côtés des Pyrénées; tel est le vœu de la France. Tels doivent être les résultats de la politique généreuse que le Roi a proclamée du haut du trône, lorsqu'il a dit que la France devait aux autres nations l'exemple d'une vraie liberté et d'une prospérité fondée sur les bases les plus sacrées.

Pour combattre le projet de loi invoquerait-on le principe de l'indépendance des peuples? Elle ne peut sans doute être contestée; mais lorsqu'ils en exercent les droits, il est une limite qu'ils ne peuvent franchir sans danger pour eux-mêmes, c'est l'intérêt légitime des autres puissances. Dans l'état actuel de la civilisation et des relations sociales, tous les peuples exercent l'un sur l'autre une action d'autant plus forte, qu'elle touche des intérêts plus graves, et qu'elle s'appuie sur des opinions plus propres à enflammer les esprits.

Lorsque par l'effet de cette action mutuelle un État est menacé de grands et imminents dangers, il doit les prévenir. Les théories les plus spécieuses sont vaines devant cette nécessité. L'intérêt politique régit les nations. Il se lie pour elles au

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