Page images
PDF
EPUB

Je reviens à M. Pannellier : ce qui prouve qu'il n'a pas aperçu la cause de l'inégalité de la crue des arbres dans un même terrein, c'est qu'il dit qu'un terrein d'une étendue déterminée ne peut produire qu'une certaine quantité de beaux arbres. Sans doute, en plantant la même espèce sur la totalité d'un terrein qui n'est pas absolument homogène, il n'y aura que ceux qui se trouveront dans les parties qui leur sont propres, qui parviendront à leur entier développement; et les autres doivent nécessairement produire l'effet qu'on remarque dans ses plantations: mais si après avoir reconnu le terrein, on ne plante chaque espèce que dans celui qui lui convient, il est bien certain qu'on aura sur chacun les plus beaux arbres possibles, et qu'alors, l'étendue déterminée de ce terrein se trouvera absolument remplie de sujets qui formeront une belle futaie égale dans toutes ses parties.

Ce plan qui est celui de la nature, est le seul qui puisse nous procurer tout le produit que nous devons attendre de l'exploitation de nos forêts en futaies sur taillis.

Quand je dis qu'après avoir reconnu le terrein, il ne faut planter chaque espèce que dans celui qui lui convient, j'entend que, si au milieu d'une excellente portion plantée en chêne, il s'en trouvait une ou plusieurs qui fussent de la plus mauvaise qualité, il faudrait les planter des espèces inférieures qui leur seraient les plus analogues, et que cela n'empêcherait pas que la futaie ne soit également belle dans toutes ses parties, cette beauté étant toujours relative au terrein.

La coupe des taillis qu'il fixe à 20 ans, pour le plus cour terme, et à 40 pour le plus long, ne peut l'être que par la nature elle-même. Tant qu'on verra profiter le taillis, on devra en suspendre la coupe et la faire aussi-tôt qu'on s'apercevra qu'il cesse de croître, ce que la dimi

diminution

nution des pousses annuelles indiquera avec la plus grande précision; alors on pourra l'abattre avec l'assurance de ne l'avoir fait ni trop-tôt ni trop-tard.

Comme le gland et la fêne ne donnent le plus ordinairement qu'un seul jet, et que le plan des autres espèces ne donnent que des branches collatérales, on conçoit aisément qu'il sera nécessaire de receper les premières pousses au bout de peu d'années, quelque puisse être leur vigueur; afin de fortifier les jeunes racines et procurer par ce moyen aux trochées une quantité de tiges suffisantes, pour bien garnir le taillis ; et ce n'est qu'après cette première coupe qu'on doit régler les autres, aux temps que les taillis indiqueront eux-mêmes en les ob

servant.

Quant aux baliveaux, le choix en sera d'autant plus facile, que chaque arbre se trouvant dans le terrein qui lui est propre, ils seront tous très-beaux, excepté ceux qui naissent viciés ou dont les racines auront éprouvé quelque accident, ce qui est inévitable.

Ceux qui auront poussé en ligne droite et dont les tiges seront le moins garnies de branches collatérales, seront ceux qu'il faudra préférer, leur écorce ordinairement lisse et comme luisante, annonce toujours le bon état des racines, et une vigueur que je n'ai jamais vu se démentir dans aucune espèce plantée en terrein convenable.

Comme il n'y a que le chêne et le hêtre qui se sèment sur place, et que tous les autres arbres doivent l'être en pépinière, pour en relever le plant après la seconde année, on regrette sincèrement la destruction des notres : car il faut bien se garder de suppléer aux plants de pépinière, par celui qu'on trouve dans les forêts, la fibre en est dure et racornie, et les racines toujours mal conditionnées ; parce que, quoique très-petit, il est souvent très-vieux. J'en aivu qui paraissaient n'avoir que deux ans,

4

et que j'ai revu au-bout de quatre dans les mêmes endroits, qui n'avaient pas profité du tout pendant ce laps de tems.

La première opération la plus essentielle, est donc la reconnaissance du terrein, qui ne peut avoir lieu qu'en le sondant ou en le creusant. M. de Buffon a fait sur les diverses qualités du sol de ses bois, une multitude d'expériences, dont quelques-unes offrent des résultats qui peuvent être vraiment utiles.

M. Pannellier a défoncé à deux pieds et même deux pieds et demi, les terreins qu'il a planté, il les a fait sarcler pendant cinq à six ans, avec beaucoup de soins; et ces diverses opérations ont couté des sommes immenses. Ses opérations sont-elles absolument indispensables? C'est ce qu'il est encore très-intéressant d'exa

miner.

Plusieurs expériences de monsieur de Buffon sont contraires à cette méthode, et d'après ce qu'il rapporte dans le plus grand détail, il paroit démontrer que, des terreins legers auxquels il a fait donner depuis un, jusqu'à trois labours, ceux qui n'en ont reçu qu'un seul, ont le mieux réussis, et que ceux qui ont été le plus sarclés, afin de détruire les herbes, ont toujours dépéris, en raison qu'ils recevaient plus de façon; parce que dans ces terreins legers qui sont extrêmement divisibles, ces façons trop multipliées, en détruisant toutes les herbes, faisaient pénétrer la sécheresse, et que les grandes pluies les plaquaient.

[ocr errors]

Mais une expérience qui doit paraître décisive et qui lève tous les doutes; c'est que, dans une pièce de 40 d'un terrein mêlé de glaise et d'autres matières, arpens dont la moitié avait reçu la meilleure culture et dont l'autre était en friche et couverte d'un grand nombre de genièvres, de genets et d'épines, et qu'il avait essayé de semer en même tems, sans autre préparation pour cette dernière, qu'un coup de pioche pour y déposer le gland

▲ environ deux pouces de profondeur sous les gazons, et d'en jetter au hazard dans les buissons sur l'herbe sans les enterrer; que contre son attente, ce terrein inculte est devenu en neuf ans le plus beau de ses taillis; et que la moitié qui avait été bien cultivée et dont la semence avait parfaitement réussi la première année, s'est détruite insensiblement; que ce n'est qu'avec des peines infinies et des remplacemens réitérés, qu'il est parvenu à la conserver; parce que le jeune plant y était à découvert, et que dans l'autre, les herbes et les buissons l'avaient mis à l'abri des ardeurs du soleil, de la sécheresse et de la gelée pendant les premières années; et il assure bien affirmativement d'après une infinité d'expérience pour s'en convaincre, que les jeunes plants no peuvent réussir sans des abris qui les préservent des coup de soleil, de la sécheresse, de la gelée et particulièrement de celles du printems. Mais il observe, que dans les terreins tels que celui des 40 arpents qui résistent davantage à l'action des jeunes racines, il faut les observer pendant les premières années : que tant qu'ils poussent bien, il faut les laisser croître, et que, si à la troisième ou quatrième année, on s'aperçoit qu'ils s'arrêtent, il faut les receper le plus près de terre possible; parce que toute l'action de la sève se portant alors avec force dans les racines, leur en donne assez pour percer dans la dureté du terrein, et donner dès la première année, des jets infiniment plus forts et plus élevés que n'étaient ceux des trois ou quatre précédentes.

Je puis assurer la vérité de ces faits par ma propre expérience; des frênes et des ormes que j'avais plantés à la grosseur ordinaire, tels que ceux qu'on plante sur les grandes routes; une certaine quantité avait bien reprit, mais sans faire aucun progrès; je les ai fait receper près de terre, et ils ont poussés des jets vigoureux; n'en ayant

laissé qu'un seul sur chaque arbre, ils ont dépassés ceux qui avaient toujours continués de croitre depuis leur plantation. J'avais aussi planté des haies d'épines dont quelques parties languissaient depuis quatre ans ; j'ai usé du même moyen; en deux ans, elles ont aussi dépassées les autres auxquelles j'ai été forcé de faire la même opération pour leur procurer les moyens de les égaler ; et elles sont toutes parvenues à la même hauteur au bout de trois

ans.

[ocr errors]

La même expérience m'a toujours réussi pour tous les arbres fruitiers et ceux d'agrémens.

De tous les auteurs qui ont écrit sur la culture des bois, aucun n'a été plus à portée que M. de Buffon de faire des expériences en grand : l'étendue considérable de ceux qu'il possédait, les différentes natures des terreins qu'ils occupaient, sa grande fortune, les secours qu'il recevait du gouvernement pour cet objet, joints à la supériorité et à l'étendue de son génie et son goût décidé pour les sciences dont il a augmenté et préparé les progrès dans beaucoup de parties, doivent donner à ses observations (sauf les faits qui les modifient ou dont il n'a pas eu connaissance) un poids, que celles de ceux qui n'ont pu en faire qu'en petit, ne peuvent jamais obtenir.

[ocr errors]

D'ailleurs, tout le monde sait, que presque toutes les expériences faites en petit et dont le succès avait répondu à l'attente de leurs auteurs, n'en ont eu aucun, quand on a voulu les réaliser en grand; de là, cette foule de systêmes aussi séduisants qu'erronnés, sur toutes les espèces de culture.

Monsieur de Buffon en a fait en tout genre sur cette partie, et dont le plus grand nombre, après des dépenses 'énormes, l'ont ramené à la simple nature, qu'il faut aider en suivant sa marche la plus ordinaire ; et celles que je rapporte, sont les seules qui puissent être utiles pour remplir le but qu'on se propose, qui est de parvenir au

« PreviousContinue »