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proposer la réduction des forges et usines, des verreries, des martinets, des papeteries, des fours à chaux et à tuile, des filatures de soye et de la culture du murier ; parce que cette branche de commerce de luxe, ainsi que toutes les manufactures où l'on emploie le feu, consomment trop de bois, et ruinent nos forêts.

Tous les terreins quelconques, n'ayant de valeur que par la consommation de leurs produits, les manufactures et plus particulièrement celles qui employent une plus grande quantité de matière du cru, étant une des sources principales de la richesse et du commerce d'une nation agricole, qui, comme la France, possède un vaste territoire, aussi fertile que varié dans ses productions; il est du plus grand intérêt de chercher tous les moyens de les multiplier; et la régénération de nos forêts est sans contredit un des plus efficaces: d'ailleurs l'expérience démontre que dans toutes les parties de l'agriculture, la consommation est le seul moyen de reproduction.

Si l'on n'eût pas laissé dépérir nos forêts, et qu'elles eussent toujours produit la quantité immense de bois qu'on a lieu d'en attendre; étant mieux exploitées et emménagées, loin de détruire, nous serions forcés d'augmenter les moyens de consommation utile, par de plus nombreuses manufactures qui, en alimentant le commerce extérieur par l'exportation de l'excédent de la consommation intérieure des objets manufacturés, enrichiraient l'état par de gros bénéfices, et donneraient au bois une valeur vénale, qu'aucune espèce de production du cru ne peut obtenir que par ce moyen.

Ce ne sont donc pas les manufactures qu'il faut dimipuer pour épargner le bois ; c'est au contraire le bois qu'il faut multiplier pour augmenter le nombre des ma¬ nufactures.

On peut avancer avec certitude, que les produits de

nos forêts bien exploitées et emménagées avec des soins raisonnés, doivent nécessairement doubler; et en examinant avec attention le nombre infini de clarières et l'immensité des petites et grandes parties incultes dans l'intérieur et le pourtour des bois en général, on se convaincra facilement, que cette prétention n'est point du tout exagérée : quand à moi, d'après l'examen sérieux que j'en ai fait, je suis bien persuadé qu'ils doivent être encore beaucoup plus considérables.

Sans doute il est bien essentiel d'économiser une matière qui est d'autant plus précieuse qu'elle devient tous les jours plus rare ; et l'extraction de tous les charbons fossiles doit être encouragée, non seulement dans ce moment de détresse, pour suppléer à la disette du bois, mais encore dans tous les tems; parce qu'en en diminuant la consommation intérieure, quelqu'en puisse être l'abondance par la suite cette économie doit nécessairement augmenter la masse des richesses nationales, en procurant à l'état des revenus plus considérables, et en fournissant au commerce des objets d'échange très-avantageux.

Depuis plus d'un siècle et démi, on ne cesse de craindre et d'annoncer la disette du bois, et au moment où elle commence à se faire sentir d'une manière trèsinquiétante, à peine avons-nous quelques notions sur les causes de dépérissement des forêts et sur les moyens de les améliorer.

On voit avec étonnement, que dans ce laps de tems, les arts et les sciences, 'et particulièrement la phisique, ont fait les progrès les plus rapides; et que toute les parties de l'agriculture touchent pour ainsi-dire à leur perfection; tandis que celle des bois est encore couverte des ténèbres de l'ignorance.

M. de Buffon écrivait, il y a à-peu-près 50 ans, que

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le bois suffisait à peine aux besoins indispensables; que si notre indolence durait ainsi que notre indifférence la pastérité, et que si la police des bois n'était pas réformée, il était à craindre que les forêts qui étaient la plus noble partie des domaines de la couronne ne se, trouvassent détruites, sans espérance prochaine de renouvellement; que ceux qui étaient préposés à la conservation des bois 9 se plaignaient eux-mêmes de leur dépérissement; qu'il ne suffisait pas de se plaindre d'un mal qu'on ressentait déjà, et qui ne pouvait qu'augmenter enfin il finit par inviter tous les bons citoyens de publier les expériences et les réflexions qu'its peuvent avoir faites à cet égard: et il ajoute que pour s'instruire, après avoir lu le peu que nos auteurs d'agriculture disent sur cette matière, il a été forcé de s'attacher à quelques auteurs anglais qui lui ont paru plus au fait, et qu'ayant d'abord voulu suivre leurs méthodes, il n'a pas été long-tems à s'apercevoir qu'elles étaient ruineuses, et qu'en les suivant, les bois avant que d'être en age lui auraient coûté dix fois plus que leur valeur ; enfin, que ne trouvant rien dont il puisse profiter, il a été obligé de commencer par les expériences préliminaires, pour acquérir les premières notions.

On sait qu'il en a fait d'innombrables dont la dépense énorme a été en pure perte; ainsi qu'il en convient luimême; et celles que je rapporte, peuvent seules étre utiles à l'amélioration des forêts.

Quelqu'étonnant que paraisse d'abord le peu de connaissances acquises sur la culture des forêts; en réfléchissant sérieusement, on se convaincra que la cause existe dans la nature de la chose même : car on ne peut se dissimuler que l'intérêt particulier étant le seul mobile des actions de la presque totalité des hommes, n'agissent que d'après ce principe naturel, l'amour du

ils

vij bien public n'étant qu'une vertu de réflexion qui naît de la perfection des mœurs sociales.

M. de Buffon est assez phi osophe pour convenir de bonne foi, que des vues d'utilité particulière, autant que de curiosité de physicien, l'ont porté à faire exploiter ses bois taillis sous ses yeux et à faire des expériences : mais dans le petit nombre de personnes qui possèdent des bois d'une certaine étendue; il y en a trèspeu, peut-être pourrait-on avancer qu'il n'en existe pas qui, avec un génie aussi supérieur, réunissent d'aussi vastes connaissances: or, s'il n'a pu faire que les premiers pas dans la carrière en ouvrant la marche, que peut-on espérer du reste des citoyens qui ne voyent dans les bois, qu'une production qui se renouvelle naturellement, et qu'il suffit de garantir des dévastations et sans y attacher aucun intérêt direct.

Quelques physiciens célèbres, tels que M. de Reaumu ont fait des remarques sur l'état des forêts du royaume > et ils indiquent des expériences à faire; et ces expériences consistent à couper et tous les ans le propezer duit de quelques arpens de bois, pour comparer l'augmentation annuelle et reconnaître au bout de quelques années l'âge où elles commencent à diminuer : d'autres pour parvenir au même but, ont proposé de mesurer au compas la diminution des couches annuelles; peut-être par ces moyens ingénieux et bons en eux-mêmes, on parviendrait à constater l'age fixe des coupes des taillis et des futaies. Un particulier qui ne possède que quelques arpens de bois pourrait à la rigueur en faire l'essai, mais on est forcé de convenir, qu'ils ne peuvent être employé en grand dans nos forêts; parce qu'ils seraient trop dispendieux et trop embarrassant; et que d'ailleurs il faudrait abattre d'avance une grande partie des bois, pour sçavoir s'ils doivent être abattus.

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Pour obtenir tous les avantages que doivent nous procurer nos bois en général, il faut donc chercher les moyens les plus simples et les moins dispendieux; la nature nous les indique : mais comme on ne peut y parvenir que par des observations longues et pénibles, et souvent par des sacrifices pécuniaires, et que l'assiduité qu'elles exigent pour s'assurer des résultats, oblige à de fréquentes démarches dans les forêts et par conséquent à une perte de tems trés-considérable, on ne peut se dissimuler, que n'étant mu par aucun intérêt particulier, il faut un courage excité et soutenu par la passion du bien public, passion si rare, qu'elle est souvent tournée en ridicule et regardée comme une manie dans le petit nombre d'individus qu'elle domine.

Je crois donc que d'après ces réfléxions, on ne peut douter que toutes ces difficultés réunies ne soyent la cause immédiate du peu de progrès de nos connaissances sur la culture des bois.

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