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seconde copie sera déposée entre les mains de M. PierreNicolas Baratteau, notaire, rue de Varennes, à Paris; chacune des copies écrites de ma main, et ayant valeur d'original.

vator.

» Signé : Marquis de Valgene USE.

» Ce 44 juillet 1821.»

Voulez-vous que je vous lise le reste? demanda Sal

Non, monsieur, c'est inutile, fit Lorédan.

- Oh! le reste, vous le connaissez, n'est-ce pas, mon cousin? Seulement, je voudrais, par simple curiosité, savoir quel prix vous avez payé cette connaissance à M. Baratteau. Monsieur! s'écria le comte en se levant d'un air de

menace.

J'en reviens donc à ce que je disais, mon cousin, continua Salvator sans paraitre s'apercevoir du mouvement de M. de Valgeneuse, que j'avais remarqué que cela portait bonheur de faire le bien, comme aussi, pourrais-je ajouter, cela porte malheur de faire le mal...

Monsieur! répéta Lorédan.

Car, enfin, reprit avec la même tranquillité Salvator, si vous n'aviez pas fait le mal en enlevant Mina, je n'eusse pas eu l'idée de faire le bien en la sauvant: je n'eusse donc point eu besoin de chevaux de poste, je n'eusse point passé par la rue des Jeûneurs, je n'eusse point reconnu le petit meuble, je ne l'eusse point acheté, je n'eusse point découvert le secret, et, enfin, dans ce secret, je n'eusse point trouvé le testament qui me permet de vous dire : Mon cher cousin, vous êtes parfaitement libre; seulement, je vous préviens qu'au moindre sujet de plainte que vous me donnez, je fais valoir mon testament, c'est-à-dire que je vous ruine de fond en comble, votre père, vous, votre sœur! tandis que, au contraire, si vous laissez les pauvres enfants que je protége continuer leur route et être heureux à l'étranger, eh bien, mais... il entre dans mes combinaisons de rester commissionnaire encore un an, deux ans, trois ans peut-être, et vous comprenez, tant que je serai commissionnaire, je n'aurai pas besoin de deux cent mille livres de rente, puisque je gagne cinq ou six francs par jour.

Donc, la paix ou la guerre, à votre choix, mon cousin ; je vous propose la première, mais je ne vous refuse pas la seconde. De plus, je vous répète que vous êtes libre; seulement, à votre place, j'accepterais l'hospitalité qui m'est offerte, et je passerais ici la nuit à réfléchir. La nuit porte conseil !

Et, sur ce bon avis, Salvator quitta son cousin Lorédan et sortit, laissant la porte entre-bâillée et emmenant Jean Taureau et Toussaint-Louverture, afin que M. de Valgeneuse vît bien qu'il avait toute liberté de rester ou de partir.

XLV

Un nouveau personnage.

Voyons, maintenant, ce qui se passait rue d'Ulm, no 10, quelques jours après les événements que nous venons de

raconter.

Pour peu que nos lecteurs aient suivi avec quelque attention les scènes multiples de ce drame, et qu'ils soient doués de quelque mémoire, ils se souviendront, sans doute, que la sorcière de la rue Triperet avait abandonné cette rue pour venir habiter l'appartement découvert, meublé et décoré par Pétrus, rue d'Ulm, no 10; ils se rappelleront aussi que, avec la Brocante, avaient naturellement déménagé Rose-deNoël, Babolin, la corneille et les dix ou douze chiens.

La chambre qu'occupait maintenant la vieille bohémienne, rue d'Ulm, moitié musée de curiosités, moitié réduit de nécromancie, offrait, ainsi que nous l'avons dit, aux yeux étonnés du visiteur, entre autres objets fantastiques, un clocher qui servait de retraite ou de nid à la corneille, et

divers tonneaux qui servaient tout simplement de niches aux chiens

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Notre intention en écrivant ce livre que l'on nous pardonne la courte digression où nous nous laissons entraîner, est non-seulement, comme on le voit par la matière que nous abordons en ce moment, de faire grimper et descendre avec nous au lecteur tous les étages de la société, depuis le pape Grégoire XVI, auxquel nous allons avoir affaire tout à l'heure, jusqu'au ravageur de ruisseaux Croc-en-Jambe, et depuis le roi Charles X jusqu'au tueur de chats; mais encore de faire, de temps en temps, des excursions dans les mondes inférieurs réservés aux animaux.

C'est ainsi que déjà nous avons pu apprécier l'intelligence de la corneille Pharès et l'instinct du chien Brésil, à ce point que, si l'une nous est restée à peu près indifférente, vu la mince part qu'elle a prise aux événements que nous avons racontés, l'autre, au contraire, nous en sommes sûr, sous son double nom de Brésil et de Roland, a conquis toutes les sympathies du lecteur.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'ayant fait un premier pas parmi les humbles de la création, parmi nos frères inférieurs, comme les appelle Michelet, nous en fassions un second, en élargissant d'un nouveau tour de compas le cercle déjà immense dans lequel nous agissons.

Que voulez-vous, chers lecteurs ! il m'a été donné, pour le désespoir des directeurs de théâtre et des libraires, et peutêtre bien aussi pour votre ennui, à vous, cette mission de faire des drames en quinze tableaux et des romans en dix ou douze volumes ! Cela n'est point ma faute : c'est celle de mon tempérament, dont mon imagination n'est que la fille.

Nous voilà donc, à cette heure, au milieu des chiens de la Brocante, et c'est avec un de ces animaux que nous vous demandons la permission de vous faire faire connais

sance.

les

Un des chiens les mieux aimés de notre sorcière sorcières ont des goûts bizarres: sont-elles sorcières parce qu'elles ont ces goûts? ont-elles ces goûts parce qu'elles sont sorcières? nous n'en savons rien, et laissons à plus fort que nous à décider cette importante question; un des chiens, disons-nous, les mieux aimés de notre sorcière était un petit caniche noir de la plus vilaine espèce. Nous jugeons cela,

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bien entendu, au point de vue orgueilleux de l'homme: au point de vue de la nature, il n'y a pas de vilaine espèce. Le fait est que, pour un homme, nous ne savons pas ce qu'il était pour la nature, le fait est que ce chien était d'une laideur vraiment extraordinaire: petit, trapu, sale au physique, hargneux, grognon, prétentieux au moral, il résumait à lui seul tous les vices d'un vieux garçon, et, pour cela sans doute, il était généralement détesté de ses camarades.

De cette répulsion universelle, il était résulté ceci : c'est que la Brocante, sa maîtresse, s'était, par un entêtement tout féminin dès l'abord, attachée à lui avec une tendresse maternelle, et depuis, cette affection s'était peu à peu accrue en raison inverse de l'inimitié que lui portaient et que lui témoignaient publiquement ses compagnons.

C'est ainsi qu'elle en arriva à toute sorte d'attentions pour lui, jusqu'à le servir à part et dans un cabinet séparé, pour ne pas le voir mourir d'inanition, tant les autres chiens lui disaient cent choses désobligeantes et lui faisaient souffrir mille géhennes, aux heures solennelles des repas.

Vous savez ce que peut l'orgueil chez les hommes, n'estce pas, chers lecteurs? eh bien, voyez ce qu'il peut chez les animaux.

Ce chien noir, ce caniche crotté, ce Babylas enfin, qui était toujours à notre point de vue, à nous, d'une laideur outrageante, se voyant câliné, caressé, choyé, fêté, servi à part, finit par s'imaginer qu'il était le plus joli, le plus coquet, le plus spirituel, le plus aimable, le plus séduisant des chiens. Et, une fois cette pensée entrée dans son esprit, il se mit tout naturellement, comme eût fait un homme en pareille position, à railler ses semblables, à les agacer sans pudeur, tirant la queue de l'un, mordant l'oreille de l'autre, narguant chacun, sûr qu'il était de l'impunité, se rengorgeant, portant haut la tête, faisant la roue, se donnant enfin des airs de telle importance, que tous ses camarades souriaient de dédain, haussaient les épaules de pitié, disant entre eux :

- Quelle prétention!

Je crois, chers lecteurs, que vous me faites l'honneur de m'adresser une observation.

Mais oui, monsieur le romancier! Interprétez, tradui

sez, torturez les paroles et les gestes des hommes; mais, en vérité, c'est trop fort de chercher à nous faire accroire que les chiens parlent, haussent les épaules, sourient!

Quant à sourire, permettez-moi de vous dire, chers lecteurs, que j'ai une chienne de mes amies, une petite levrette blanche appartenant à la plus haute aristocratie des lévriers, qui sourit toutes les fois qu'elle me voit, me montrant ses ines dents blanches: de telle façon, que je croirais qu'elle se fâche, si le reste de son corps ne donnait point toutes sortes de simulacres de joie. On la nomme Giselle.

Pour moi, les chiens sourient donc, puisque ma chère Giselle me sourit chaque fois qu'elle me voit.

Quant à hausser les épaules, je ne soutiens pas que les chiens haussent les épaules exactement de la même manière que l'homme; mon expression est même impropre ce n'est pas hausser les épaules que j'aurais dû dire, c'est secouer les épaules. Voyons, n'avez-vous pas remarqué, mainte et mainte fois, que le chien qui vient de faire connaissance avec un autre, et vous savez de quelle façon naïve les chiens font connaissance, - n'avez-vous pas remarqué que le chien trompé dans son espoir, trouvant, comme le capitaine Pamphile, dont, voici tantôt vingt-cinq ans, j'ai écrit la pittoresque histoire, trouvant, dis-je, une négresse mâle où il comptait trouver une négresse femelle, secoue dédaigneusement les épaules, et s'en va? Cela est incontestable; aussi, chers lecteurs, ne le contesterez-vous pas.

Maintenant, arrivons-en à la parole.

Les chiens ne parlent pas! Hommes orgueilleux, qui croyez que vous avez seuls reçu de la Providence la faculté de vous communiquer vos pensées ! parce que vous parlez anglais, français, chinois, espagnol, allemand, et que vous ne parlez pas chien, vous dites tranquillement : « Les chiens ne parlent pas ! »

Erreur ! les chiens parlent leur langue comme vous parlez la vôtre! Il y a bien plus: c'est que vous n'entendez pas ce qu'ils vous disent, homme orgueilleux! et qu'eux, humbles et ne s'en faisant pas accroire pour cela, ils entendent ce que vous leur dites. Demandez au chasseur si son chien ne parle pas, quand il l'a entendu rêver, chasser un lièvre, se prendre de querelle, se battre en rêve! Qui veille donc ainsi dans ce chien qui dort? N'est-ce pas une àme,

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