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et contez

En ce cas, dit M. Jackal, tâchez que vos dents ne clace qui vous empêche de parler, moi l'affaire dans ses détails les plus minutieux.

quent plus,

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- Pourquoi cela? demanda M. Gérard.

Je pourrais ne pas vous dire pourquoi, mais vous essayeriez de mentir. Eh bien, c'est pour en faire disparaître les traces.

Les traces!... il y a donc des traces? demanda M. Gérard en ouvrant démesurément ses petits yeux.

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- Je crois bien qu'il y en a!

Mais lesquelles?

Bon! lesquelles !... Il y a d'abord votre nièce...
Ma nièce elle n'est donc pas morte?

Non; madame Gérard l'a mal tuée, à ce qu'il paraît.
Ma nièce ! vous êtes sûr qu'elle vit?

Je la quitte, et je dois vous avouer que votre nom, mon cher monsieur Gérard, et surtout celui de votre femme, a produit sur elle un assez pitoyable effet.

- Elle sait done tout, alors?

C'est probable, car elle pousse des cris de désespoir au seul nom de sa bonne tante Orsola.

Orsola?... répéta M. Gérard, frissonnant comme sous le coup d'une décharge électrique.

Voyez, reprit M. Jackal, ce nom vous fait un certain effet à vous-même. Jugez de celui qu'il doit faire à la pauvre enfant! Eh bien, de même qu'il faut à tout prix que cette enfant, qui peut parler à chaque instant, se taise, de même il faut éteindre tous les indices compromettants pour vous. Voyons, monsieur Gérard, je suis médecin, et assez bon médecin; j'ai l'habitude de trouver les remèdes quand je connais les tempéraments des gens auxquels j'ai affaire. Contez-moi donc cette triste histoire dans ses détails les plus minutieux : le plus petit fait, indifférent en apparence, oublié par vous, peut démolir tout notre plan. Parlez done comme si vous aviez devant vous un médecin ou un prêtre.

M. Gérard, comme tous les animaux de ruse, avait, au plus haut degré l'instinct de sa conservation. Lecteur assidu de toutes les feuilles politiques, il avait dévoré dans les Journaux royalistes les plus fulminants articles insérés par ordre contre M. Sarranti. Dès lors, il s'était senti protégé par une main invisible; il avait, comme ces chefs protégés par Minerve,

combattu sous l'égide. M. Jackal venait de le confiriner dans cette croyance.

Il comprit donc qu'il n'avait, vis-à-vis de l'homme de poice qui venait à lui en allié, nul intérêt à se taire et tout intérêt, au contraire, à avouer. En conséquence, il se mit, comme il avait fait pour l'abbé Dominique, à tout raconter, depuis la mort de son frère jusqu'au moment où, apprenant l'arrestation de M. Sarranti, il avait été réclamer sa confession à son confesseur.

- Ah! j'y suis maintenant! s'écria M. Jackal; je comprends tout.

Comment! dit M. Gérard terrifié, vous comprenez tout? Mais, en venant ici, vous ne saviez donc rien?

Pas grand'chose, je l'avoue; mais cela va tout droit. Puis, s'accoudant sur le bras de son fauteuil, et laissant tomber son menton sur sa main, il réfléchit un moment, et son visage prit une certaine expression de mélancolie à laquelle ce visage était loin d'être accoutumé.

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Pauvre diable d'abbé! murmura-t-il, je m'explique pourquoi il jurait ses grands dieux que son père était innocent; je comprends ce qu'il voulait dire en parlant d'une preuve qu'il ne pouvait pas montrer, et je comprends, enfin, pourquoi il est parti pour Rome.

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Comment! il est parti pour Rome ? s'écria M. Gérard; l'abbé Dominique est parti pour Rome?

- Eh! mon Dieu, oui !

Et qu'est-il allé faire à Rome?

Mon cher monsieur Gérard, il n'y a qu'un homme qui puisse relever l'abbé Dominique du secret de la confession. - Oui, le pape.

Eh bien, il est allé demander au pape de le relever de ce secret.

Oh! mon Dieu !

C'est pour avoir le temps de faire le voyage qu'il a sollicité et obtenu du roi un sursis.

-Mais je suis perdu, alors ! s'écria M. Gérard.

-

Pourquoi cela ?

Le pape lui accordera sa demande.

M. Jackal secoua la tête.

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Comment en êtes-vous sûr ?

Je connais Sa Sainteté.

Vous avez l'honneur de connaître le pape?

Comme la police a l'honneur de tout connaître, monsieur Gérard; comme elle a l'honneur de savoir que M. Sarranti est innocent et que vous êtes coupable.

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Eh bien?

Eh bien, le pape refusera.

- Il refusera?

Oui, c'est un moine jovial et entêté, qui tient à léguer son pouvoir temporel et spirituel à son successeur, tel qu'il l'a reçu de son prédécesseur. Il trouvera quelque texte sur lequel appuyer son refus, mais il refusera.

- Ah! monsieur Jackal, s'écria M. Gérard retombant dans son premier tremblement, si vous alliez vous tromper...

Je vous répète, mon cher monsieur Gérard, que votre salut m'est nécessaire. N'ayez donc aucune crainte, et continuez vos œuvres philanthropiques comme à l'ordinaire; seulement, rappelez-vous ce que je vais vous dire : il peut venir demain, après-demain, aujourd'hui, dans une heure, telle ou telle personne qui voudra vous faire parler, qui se prétendra autorisée à le faire, qui vous dira, comme je vous l'ai dit : « Je sais tout ! » ne lui répondez rien, monsieur Gérard; ne lui avouez pas même un de vos péchés de jeunesse : riezlui au nez; il ne saura rien. Nous sommes quatre en tout qui connaissons le crime: vous, moi, votre nièce et l'abbé Dominique...

M. Gérard fit un mouvement, l'homme de police l'arrêta. Personne que nous ne doit le connaître, ajouta celui-ci; tenez-vous donc sur vos gardes, et ne vous laissez pas surprendre. Niez, niez effrontément; niez à mort, fùt-ce au procureur du roi; niez quand même, je vous soutiendrai au besoin; c'est mon état!

Il est impossible de rendre l'accent avec lequel M. Jackal prononça ces trois derniers mots.

On eût dit qu'il se méprisait autant qu'il méprisait M. Gérard.

Mais, s'empressa de dire M. Gérard, si je m'éloignais, monsieur, qu'en pensez-vous?

C'est pour cela que vous vouliez m'interrompre tout à l'heure? Je l'avais devinė.

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Eh bien ?...

Eh bien, vous feriez une sottise.
Si je passais à l'étranger?

Vous, quitter la France, fils ingrat! vous, abandonner le troupeau de pauvres que vous nourrissez dans ce village, mauvais pasteur! y songez-vous sérieusement? Mon cher monsieur Gérard, les malheureux de ce bourg ont besoin de vous; moi-même, je compte faire, un de ces jours, ou plutôt une de ces nuits, une promenade dans le célèbre château de Viry; je recherche donc, en ce cas, des compagnons de voyage, des gens aimables comme vous, gais comme vous, vertueux comme vous. Eh bien, je compte vous inviter sous peu à cette petite promenade; je m'en fais une fête, car cette promenade sera, pour moi du moins, une véritable partie de plaisir. Acceptez-vous, cher monsieur?

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Je suis à vos ordres, répondit à voix basse M. Gérard. - Mille fois trop bon! dit M. Jackal.

Et, tirant sa tabatière de sa poche, il y puisa une prise copieuse, qu'il aspira avec volupté.

M. Gérard crut que tout était fini, et se leva, le front pâle, mais le sourire sur les lèvres.

Il s'apprêtait à faire les honneurs de la conduite à M. Jackal; mais celui-ci, le regardant et s'apercevant de l'intention:

Oh! non, non, dit-il en secouant la tête, non monsieur Gérard; je n'en suis encore qu'à la moitié de ce que j'ai à vous dire. Cher monsieur Gérard, rasseyez-vous et écoutezmoi.

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Ce que M. Jackal offre à M. Gérard au lieu de la croix de la Légion d'honneur.

M. Gérard poussa un soupir et se rassit, ou plutôt se laissa retomber sur sa chaise; son œil, redevenu vitreux, continuait cependant d'interroger M. Jackal.

Maintenant, fit celui-ci répondant d'un petit signe à l'interrogation muette de M. Gérard, en échange de votre salut que j'assure, je vous demanderai, à titre, non pas de réciprocité, mais d'amical return, comme disent les Anglais, un petit service. J'ai beaucoup d'affaires en ce moment, et il me serait impossible de vous faire visite autant de fois que je le voudrais...

Mais, interrompit timidement M. Gérard, j'aurai donc l'honneur de vous revoir?

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Que voulez-vous, mon cher monsieur Gérard! j'éprouve pour vous, je ne sais pourquoi, une véritable tendresse : les sympathies ne s'expliquent pas. Or, ne pouvant pas venir, je vous le répète, autant de fois que je le désirerais, il faut absolument que je vous prie de m'honorer, au moins deux fois par semaine, de votre visite. Cela, je l'espère, ne vous sera pas trop désagréable, cher monsieur ?

--

Mais à quel endroit aurai-je l'honneur de vous rendre ces visites, monsieur ? demanda avec une certaine hésitation M. Gérard.

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A mon bureau, si vous le voulez bien.

Et votre bureau est situé...?

- A la préfecture de police.

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