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losophes de la terre, remplissait de tristesse le cœur de Pétrus. A la vérité, les philosophes ne comprennent pas l'amour, et la preuve, c'est que, dès qu'ils sont amoureux, ils ne sont plus philosophes.

Comment, ensuite, faire une figure convenable dans les salons du faubourg Saint-Germain : ces salons si épineux aux gentilshommes pauvres, et où il était reçu, lui, Pétrus, à titre non pas d'homme de talent, mais de gentilhomme de vieille noblesse? Le faubourg Saint-Germain ne pardonne à un gentilhomme d'avoir du talent qu'à la condition qu'il ne vivra pas de son talent.

Sans doute, Pétrus, outre le boulevard où il rencontrait Régina, outre le Bois où il la croisait, pouvait encore parfois la voir chez elle; mais les rencontres dans le monde étaient le prétexte de ces visites-là, et puis, chez elle, outre que Pétrus ne pouvait la voir fréquemment, il la voyait rarement seule: c'était tantôt M. de la Mothe-Houdan, tantôt la marquise de la Tournelle, Abeille toujours, M. Rappt quelquefois; M. Rappt, qui le regardait d'un air refrogné, et qui, à chaque rencontre, semblait lui dire du regard : « Je sais que vous êtes mon ennemi mortel; je sais que vous aimez ma femme; mais tenez-vous bien, je vous surveille tous les deux. >

Oui, pardieu! oui, votre ennemi intime! oui, votre ennemi mortel, l'ennemi du mal, monsieur Rappt.

Eh bien, tous les bénéfices de la fortune, toutes les jouissances du luxe, tous les avantages de la richesse, Pétrus les avait eus pendant six mois, et, tout à coup, il fallait y

renoncer.

Nous le répétons, la situation était navrante.

O Pauvreté, Pauvreté ! que de cœurs près d'éclore tu as moissonnés ! que de fleurs de l'àme écloses tu as fait tomber sous ta faux et dispersées au vent! car, Pauvreté, sombre déesse, tu as le souffle et la faux de la mort !

Il est vrai que Régina n'était pas une femme ordinaire. Peut-être...

Vous savez ce qui arrive au voyageur perdu dans les catacombes, au voyageur qui, écrasé de fatigue, assis sur une pierre creuse, sur un ancien tombeau, le front couvert de sueur, regarde et éccoute avec angoisse s'il ne verra pas une lumière, s'il n'entendra pas un bruit : il entrevoit

une lueur, il perçoit un son, il se lève : « Peut-être ! » dit-il.

Il en était ainsi de Pétrus: il venait de voir briller une lueur dans le souterrain sombre.

Peut-être!... avait-il dit à son tour. Plus de fausse honte! La première fois que je la verrai, je lui raconterai tout, et mes sottes vanités, et mes richesses d'emprunt. Plus de faux orgueil! une seule vanité, une seule gloire : travailler pour elle, et mettre mes succès à ses pieds. Elle n'est point une femme ordinaire -- et Peut-être... peut-être qu'elle m'en aimera mieux.

O belle jeunesse, à travers laquelle l'espérance passe comme le rayon de soleil à travers le cristal! ô charmant oiseau qui chante la douleur quand il ne peut plus chanter la joie !

Sans doute Pétrus se dit-il, à l'appui de cette résolution. beaucoup d'autres choses que nous ne répéterons pas ici, Disons seulement que, tout en causant ainsi avec lui-même, il quitta ses habits de voyage, prit un élégant costume du matin, et se rhabilla à la hâte.

Puis, sans rentrer dans son atelier, où il entendait craquer les bottes et s'entre-choquer le dialogue des visiteurs, il descendit l'escalier, mit la clef de sa chambre chez le concierge, qui, en échange, lui tendit un petit billet que Pétrus, à la première inspection, reconnut pour être de l'écriture de son oncle.

Celui-ci l'invitait à dîner pour le jour même où il serait de retour à Paris. En effet, le général désirait savoir sans doute si la leçon avait profité.

Pétrus chargea, le concierge d'aller, à l'instant même, à l'hôtel de Courtenay, annoncer son oncle qu'il était de retour, et qu'il aurait l'honneur d'aller lui demander de ses Rouvelles à six heures précises.

LXVIII

La chanson de la joie.

Nous n'avons dit ni pourquoi s'habillait Pétrus, ni où il allait; mais le lecteur l'aura déjà deviné.

Pétrus était descendu de sa chambre avec les ailes d'un oiseau. Il avait fait une pose chez le concierge pour ce que nous avons dit; il avait, par habitude, demandé si l'on avait pour lui d'autres lettres que celles de son oncle, avait machinalement jeté les yeux sur les trois ou quatre lettres qu'on lui avait présentées, et, ne trouvant sur aucune d'elles l'écriture qu'il cherchait, il les avait repoussées, avait pris dans sa poche une petite lettre à l'écriture fine, à l'enveloppe délicate et parfumée, l'avait approchée de ses lèvres, et avait enjambé le seuil de la porte.

C'était la lettre de Régina reçue à Saint-Malo.

Les deux jeunes gens s'écrivaient tous les jours : les let tres de Pétrus étaient adressées à la bonne Manon, les lettre de Régina étaient adressées à Pétrus lui-même.

Régina avait puisé dans sa position exceptionnelle un certaine force qui adoucissait la séparation des deux jeunes gens.

Cependant, Pétrus avait été le premier à lui dire de ne pas lui écrire pendant son absence: une lettre égarée, une lettre volée les perdait tous les deux.

Le jeune homme enfermait les lettres de Régina dans une espèce de petit coffre-fort en fer admirablement travaillé, et qui était lui-même scellé dans un bahut.

Il va sans dire que le bahut était excepté de la vente qui devait avoir lieu: ce bahut était sacré. Pétrus, avec cette

religion de l'amour que l'on a pour certains objets, lorsqu'on ime véritablement, eût regardé comme un sacrilége de le vendre.

Si l'honime restait de vingt ans à cinquante dans le même appartement, meublé des mêmes meubles, il pourrait, avec Des meubles, refaire dans les moindres détails l'histoire de Ja vie; par malheur, l'homme éprouve de temps en temps la nécessité de changer d'appartement, et le besoin de renouJeler son mobilier.

Disons que la clef du coffre en question ne quittait jamais Pétrus: il la portait à son cou, suspendue avec une chaîne d'or; puis le serrurier qui l'avait réparée avait affirmé à Pétrus que le plus habile rossignoliste perdrait son temps à la crocheter.

Pétrus n'avait donc aucune inquiétude de ce côté.

Seulement, comme les rois de France attendent sur les marches du caveau de Saint-Denis que leur successeur vienne les remplacer, une lettre de Régina attendait toujours, sur le cœur de Pétrus, qu'une autre lettre vint prendre sa place. Alors, l'ancienne lettre allait rejoindre ses sœurs dans le coffre de fer, qui, lorsque Pétrus était à Paris, s'ouvrait régulièrement chaque jour pour recevoir un nouveau dépôt, c'est-à-dire la lettre reçue la veille.

La lettre baisée et remise dans sa poche, Pétrus sauta lestement par-dessus le seuil de la porte, et s'élança dans la rue Notre-Dame-des-Champs, puis, par la rue de Chevreuse, il gagna le boulevard extérieur.

Avons-nous besoin maintenant d'indiquer le but de sa course?

Pétrus, lancé du même pas gymnastique, suivit le boulevard des Invalides, et ne s'arrêta que quelques pas avant d'arriver à la grille derrière laquelle était situé l'hôtel du maréchal de Lamothe-Houdan.

Après avoir inspecté le boulevard, et s'être assuré qu'il était désert ou à peu près, Pétrus se hasarda à passer devant la grille.

Il ne vit rien, et il ne lui parut pas qu'il eût été vu; aussi revint-il sur ses pas, et, s'accoudant à un énorme tilleul, leva-t-il les yeux sur les fenêtres de Régina.

Hélas! le soleil dardait en plein dans les fenêtres et les persiennes étaient fermées; mais il était bien sûr que, avant

que le soir fût venu, l'une ou l'autre de ces persiennes se soulèverait et laisserait voir la blanche amie dont il était séparé depuis une éternité.

Cependant, le flot des réflexions vint battre son esprit.

Que faisait-elle en ce moment? était-elle chez elle? pensait-elle à lui juste à cette heure où il était près d'elle? Si désert que soit d'ordinaire le boulevard des Invalides, il y passe de temps en temps un voyageur égaré. Un de ces voyageurs vint du côté de Pétrus.

Pétrus quitta son arbre et se mit en mouvement.

Il connaissait depuis longtemps les marches et les contremarches qu'il fallait faire pour dérouter les regards des passants ou les inquisitions des voisins.

Il reprit son pas gymnastique, croisa le voyageur, marchant avec la rapidité d'un homme extraordinairement affairé et ayant hâte d'arriver le plus tôt possible au but de

sa course.

Quelquefois il était impossible à Régina de se montrer tout à fait, et de se livrer à cette télégraphie expressive inventée par les amants longtemps avant que les gouvernements eussent eu l'idée d'en faire un moyen de correspondance politique; mais, alors, elle se doutait bien que Pétrus était là; elle laissait flotter un bout d'écharpe, passer une boucle de cheveux; elle laissait tomber ou son éventail ou son mouchoir par les interstices de la jalousie, — quelquefois une fleur.

Oh! Pétrus était bien heureux quand c'était une fleur; car cela voulait dire : « Reviens ce soir, cher Pétrus ! j'ai l'espoir que nous pourrons nous voir quelques instants. >>

D'autres fois, il n'apercevait ni écharpe, ni cheveux, ni mouchoir, ni éventail, ni fleur; mais, sans voir Régina, il parvenait à entendre sa voix : c'était un ordre qu'elle donnait à quelque domestique; c'était le bruit d'un baiser qui retentissait sur le front de la petite Abeille, et qui avait son écho écho délicieux dans le cœur du jeune homme. Mais les meilleures heures de Pétrus étaient les heures du soir et les heures de la nuit, même quand il n'avait pas l'espérance de voir Régina.

Que la jeune femme eût ou non laissé tomber cette fleur qui, en tombant, indiquait un rendez-vous, dès que l'obscurité était venue, Pétrus allait s'adosser à son arbre. Il avait

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