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qu'elle doit uniquement à fa fituation. Elle ef bâtie fur le terrain qu'occupoit le grand port & que la mer en fe retirant a laiffé à décou vert. Le môle qui joignoit le continent à l'île de Pharos s'eft élargi & eft devenu terre ferme. L'île d'Antirhode fe trouve au milieu de la nouvelle ville. Une hauteur couverte de ruines la font reconnoître. Le port Kibotos eft comblé. Le canal qui y conduifoit les eaux du lac Mareotis a difparu. Ce lac lui-même dont les bords étoient couverts de papyrus & de dattiers, ne fubfifte plus, parce que les Turcs ont négligé d'entretenir les canaux qui y portoient les eaux du Nil. (y) Belon, observateur fidèle, qui voyageoit en Egypte quelques années après la conquête des Ottomans, affure que de fon temps le lac Mareotis n'étoit éloigné que d'une demi-lieue des murs d'Alexandrie, & qu'il étoit entouré de forêts de palmiers. Au moment où j'écris, les fables de la Libye en occupent la place. C'est au gouvernement deftructeur des Turcs qu'il faut attribuer ces changemens déplorables.

(y) Belon, defcription d'Alexandrie. Il voyageoit en Egypte quinze ans après la conquête de Selim, il y a environ 250 ans.

Le

Le canal de Faoüé, le feul qui communique maintenant avec Alexandrie, & fans lequel cette ville ne pourroit fubfifter, puifqu'elle n'a pas une goutte d'eau douce, eft à moitié rempli de limon & de fable. Sous l'empire des Romains, fous la domination même des Arabes, il étoit navigable toute l'année & fervoit au transport des marchandises. Il répandoit la fécondité dans les plaines qu'il traversoit. Ses bords étoient ombragés de dattiers, couverts de vignes, ornés de maifons de plaisance (z): de nos jours, l'eau n'y coule que vers la

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(z) Ce passage d'Abulfeda fera foi de ce que j'avances ❝ on ne peut rien voir de plus agréable que le canal d'A"lexandrie. Les deux rives bordées de jardins, & d'ombrages, font tapiffées d'une verdure éternelle. C'est ce » que Dafard el Hadad a exprimé dans ces beaux vers:

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"Quelle aménité règne fur les bords du canal d'Alexan» drie! Le fpectacle qu'ils offrent fait couler la joie dans l'ame. Les bofquets qui les ombragent préfentent au navigateur un dais de verdure. La main de l'Aquilon y répand la fraîcheur, en même temps qu'elle fillonne en "fe jouant la futface des eaux. Le fuperbe dattier dont la tête flexible fe penche moíiement comme celle d'une » belle qui s'endort, eft couronné de fes grappes pen>> dantes.

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Cua khalig Elefcanderié ellati iatiha men el Nil men

C

fin d'Août, & y refte à peine affez de temps pour remplir les citernes de la ville. Les campagnes, dont il entretenoit l'abondance font défertes. Les bofquets, les jardins qui environnoient Alexandrie ont difparu avec l'eau qui les fertilifoit. Hors des murs, on apperçoit feulement quelques arbres clair femés, des fycomores, des figuiers, dont le fruit eft délicieux, des dattiers, des capriers & la foude qui tapiffe des fables brûlans dont la vue eft infupportable.

Cependant tous les fignes de l'ancienne magnificence d'Alexandrie, ne font pas effacés. Les citernes voutées avec beaucoup d'art, qui s'étendent fous toute la ville, les nombreux

conduits qui y portent les eaux, font prefque en leur entier après deux mille ans. Vers la

ahfan el mentezhat laenno daiak Makdar el janebin, bel Befatin oua fih iecoul Dafar el Hadad:

Ou achié ahadet l'aïnak menzara
Ja efferour bo le calbak ou afda
Roud le mekhadler cladar oua gedaoual
Nacachet aleih id ech chemal mebareda
Oua-l-Nakhl Kelrhid el hassan tezaïnet
Oua lebes men atmarhen calaïda.

Abulfeda, defcription de l'Egypte.

partie orientale du palais, (a) on voit deux Obelisques, nommés vulgairement les aiguilles de Cléopatre. Ils font de pierre Thebaïque & chargés d'hieroglyphes: l'un eft renversé, rompu & couvert de fable; l'autre posé sur son piédeftal. Ces obelifques, chacun d'une feule pierre, ont environ foixante pieds de haut, fur fept pieds carrés à la bafe. Vers la porte de Rofette, on trouve cinq colonnes de marbre à la place qu'occupoient les portiques du gymnase. Le refte de la colonnade, dont l'alignement étoit reconnoiffable, il y a cent ans (b), a été détruit par la barbarie des Turcs.

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Ce qui fixe le plus l'attention des voyageurs eft la colonne de granit rouge, fituée à un quart de lieue de la porte du midi. Le chapiteau eft corinthien, à feuilles de palmier unies & fans dentelure. Il a neuf pieds de haut. Le fût, & le tore fupérieur de la base, sont d'un feul morceau de quatre-vingt-dix pieds

(a) M. Pokoke croit qu'ils étoient placés devant le temple de Neptune, mais ce temple étoit voifin du port Eunoste, & ces obélifques en font à une demi-lieue, près le promontoire Lochias, dans l'emplacement que Strabon donne au palais.

(b) Maillet, defcription d'Egypte.

de long & de neuf de diamettre. La bafe eft un carré d'environ quinze pieds fur chaque face. Ce bloc de marbre de foixante pieds de circonférence, repose fur deux affifes de pierres liées ensemble avec du plomb, ce qui n'a pas empêché les Arabes d'en arracher, plufieurs pour y chercher un tréfor imaginaire. La colonne entière a cent quatorze pieds de hauteur. Elle eft parfaitement bien polie & feulement un peu éclatée du côté du levant. Rien n'égale la majefté de ce monument. De loin, il domine fur la ville & fert de fignal aux vaiffeaux. De près il caufe un étonnement mêlé de respect. On ne peut fe laffer d'admirer la beauté du chapiteau, la longueur du füft l'impofante fimplicité du piédeftal. Je fuis perfuadé, que fi cette colonne étoit transportée devant le palais de nos Rois, toute l'Europe viendroit payer un tribut d'admiration au plus beau monument qui foit fur la terre.

Les favans & les voyageurs ont fait des efforts infructueux pour découvrir à quel Prince on l'avoit érigé. Les plus fages ont pensé que ce ne pouvoit être en l'honneur de Pompée, puifque Strabon & Diodore de Sicile n'en ont point parlé. Ils font reftés dans le doute. Il me femble qu'Abulfeda pouvoit les en tirer. Il l'appelle la colonne de

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