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5o Commission des questions militaires ; 6o Commission de la marine;

70 Commission de l'enseignement public et des beaux-arts:

8° Commission de l'agriculture;'

9° Commission du commerce, de l'industrie et des douanes;

100 Commission des voies et moyens de communication;

11° Commission de législation civile et criminelle;

120 Commission de législation financière; 13° Commission d'économie sociale (1); 14 Commission du budget;

15° Commission de comptabilité et du règlement de la Chambre.

L'examen des pétitions est réparti par les soins du président de la Chambre, suivant la nature de leur objet, entre les commissions annuelles.

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Art. 2. Les commissions du commerce, de l'industrie et des douanes, de législation financière, d'économie sociale et du budget sont composées de 55 membres, à raison de 5 membres par bureau. Les onze autres commissions sont formées de 44 membres, à raison de 4 par bureau.

Aucun membre ne peut faire partie de plus de deux commissions annuelles un membre faisant partie de deux commissions peut toutefois faire en outre partie de la commission du budget.

Lesdites commissions restent en exercice jusqu'à l'époque de leur renouvellement au début de la session ordinaire suivante.

Elles nomment un bureau composé d'un président, de deux vice-présidents et de deux secrétaires.

Elles peuvent se subdiviser en sous-commissions.

Art. 3. - Les commissions annuelles sont chargées, à moins que la Chambre n'en décide autrement, de l'examen des projets et propositions de loi dont l'objet rentre dans leurs attributions respectives.

Elles ne peuvent s'occuper que des questions qui leur ont été régulièrement renvoyées.

Chaque commission peut, avant de déposer son rapport sur un projet ou sur une proposition dont elle est saisie, demander l'avis d'une autre commission; cet avis, formulé sommairement, doit être donné dans un délai de quinze jours. Il est annexé au rapport.

La Chambre peut autoriser deux commissions à se réunir exceptionnellement pour délibérer en commun sur une proposition connexe à leurs attributions respectives.

Lorsqu'il s'agit d'un projet ou d'une proposition susceptible d'entraîner une dépense, l'avis de la commission du budget est obligatoire.

Art. 4. Les propositions émanées de l'initiative parlementaire sont renvoyées aux commissions annuelles, sans donner lieu à l'examen préalable d'une commission d'initiative.

Lorsque la commission compétente pense qu'une proposition dont elle est saisie n'est pas de nature à mériter un examen approfondi, elle peut, par un rapport sommaire, proposer à la Chambre de ne pas la prendre en considération.

Art. 5. La Chambre peut toujours charger une commission spéciale de l'examen des questions qu'elle ne croirait pas devoir renvoyer à l'une des commissions annuelles.

Pour les questions de paix ou de guerre et pour les propositions qui touchent aux lois constitutionnelles, le renvoi à une commission spéciale est de droit: il en est de même lorsqu'une nouvelle délibération a été demandée par le Président de la République, par application de l'article 7 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875.

Art. 6. La Chambre consacre spécialement deux jours par semaine aux travaux des commissions. Ces jours sont le mercredi et le vendredi. Toutefois, une résolution contraire pourra toujours être prise, si l'urgence de cerlaines délibérations le commande.

Art. 7. Les congés qui n'auront pas été accordés d'urgence par le président seront soumis à la Chambre, à chaque séance.

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Messieurs, au cours de la session ordinaire de 1882, un de nous, M. Georges Graux, frappé des inconvénients qu'offre la pratique qui est encore actuellement suivie dans l'exécution des travaux parlementaires, avait saisi la Chambre d'une proposition tendant à substituer de grandes commissions annuelles correspondant aux principaux services publics, aux commissions spéciales telles qu'elles sont établies par le règlement qui nous régit.

Il ne fut pas donné suite à cette proposition. M. Alfred Letellier la reprit, en la développant, au mois de décembre 1885. La législature de 1885 ne put pas plus s'en occuper que la législature de 1881 n'avait pu le faire; et pourtant, l'événement a montré combien elle était justifiée à mesure que ces deux législatures ap prochaient de leur terme, les inconvénients signalés sont devenus plus fréquents; le vice qui paralysait toutes les bonnes volontés, qui frappait tous les efforts d'impuissance, s'est manifesté aux yeux des plus prévenus: c'est ce qui nous a déterminés à reprendre cette proposition, et nous espérons que la Chambre, convaincue que la proposition qui lui est soumise présente les plus sérieux avantages, l'accueillera favorablement.

On sait que nos premières Assemblées n'avaient pas de commissions dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui: elles confiaient à des comités l'examen préalable de toutes les questions; mais, à la différence des commissions qui ne sont saisies que d'un ou plusieurs projets déterminés, ces comités avaient pour mandat d'étudier un ensemble de questions, d'examiner toutes les affaires de mème nature. L'Assemblée constituante forma ainsi successivement trente et un comités qui embrassaient toutes les matières d'administration et de gouvernement et qui furent nommés, comme nos commissions actuelles, par les bu

reaux.

La Législative continua cette tradition: elle eut 21 comités composés, suivant leur importance, de 48, de 24 et de 12 membres. La plupart des comités étaient renouvelés par moitié tous les trois mois. L'élection se faisait dans les bureaux, au scrutin de liste.

Sous la Convention, ce sont les comités qui permirent à cette grande Assemblée de faire face à toutes les nécessités et l'empêchèrent de succomber à la tâche.

Les comités sont proscrits par la Constitution du 5 fructidor; mais le tribunat et, plus tard, après la suppression du tribunat, le Corps législatif, reviennent au système des comités. Cette dernière Assemblée devait, aux termes du sénatus-consulte du 19 août 1807, nommer, au début de chaque session, trois commissions de législation civile et criminelle, d'administration

intérieure et de finances.

Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, les projets et propositions de loi étaient examinés par des commissions temporaires. La Constituante de 1818 se partagea en quinze comités. Voici, d'après MM. Poudra et Pierre, auxquels nous empruntons cet historique, comment le règlement avait fixé la répartition des membres de l'Assemblée entre ces divers comités :

« Chacun des membres de l'Assemblée désigne, sur le registre ouvert à cet effet à la questure, ceux des comités dont il désire faire partie en indiquant l'ordre de sa préférence. Le président et les vice-présidents opèrent la répartition des membres entre les comités d'après les inscriptions, et, dans le cas où le nombre des premières inscriptions ne serait pas en rapport avec celui des membres dont chaque comité doit se composer, ils placeront les représentants dans les autres comités pour lesquels ils se seront inscrits subsidiairement. Ils répartis

sent également entre les comités, comme i's le jugent convenable, les membres qui ne se sont pas fait inscrire à la questure. >>

Chaque membre de l'Assemblée pouvait assister, sans voix délibérative ni consultative, aux discussions des comités. Indépendamment des comités, l'Assemblée pouvait toujours former des commissions spéciales pour les questions qu'elle ne croyait pas devoir renvoyer à un comité.

L'Assemblée législative supprima les comités permanents; ils n'ont plus été rétablis, et les règlements des Assemblées qui se sont succédé depuis 1849 ont déterminé l'organisation des commissions d'après les principes encore en vigueur aujourd'hui.

Ainsi, l'expérience est faite et l'on peut affirmer sans crainte que cette expérience est concluante tandis que la répartition du travail entre des commissions permanentes a permis à l'Assemblée nationale, à la Convention de mener de front la réorganisation du pays, les réformes les plus diverses et de jeter les fondements de la France moderne, le système des commissions spéciales, temporaires a, sinon frappé de stérilité les Assemblées qui l'ont adopté, du moins singulièrement entravé l'élaboration des lois que le pays attendait avec le plus d'impatience.

Les résultats de ces deux méthodes de travail ont depuis longtemps déjà appelé l'attention. Dès 1835, Vivien, conseiller d'Etat de la monarchie de Juillet, qu'on ne saurait soupçonner d'un radicalisme exagéré, en était frappé : «Que l'on se reporte, disait-il, aux travaux de l'Assemblée constituante, à cette constitution nouvelle, ouvrage si parfait pour l'époque qui le vit composer, à ces lois nombreuses qui venaient détrôner le vieux régime, à cette organisation générale de la France assise sur des bases si larges et qui a survécu, en grande partie, à toutes nos vicissitudes politiques. Sans ces comités permanents, voués aux mêmes travaux, consacrés à des études suivies, éclairés sans cesse par l'accomplissement même de leurs devoirs, l'Assemblée constituante eût-elle pu produire ces immortels résultats ? Que l'on propose une œuvre semblable à nos Chambres dans leur organisation actuelle, leur impuissance témoignera bientôt de l'infériorité de leurs moyens d'exécution. >>

Pour peu que l'on aille au fond des choses on se rend aisément compte de la raison de cette différence. Dans le système des comités, les membres de l'Assemblée se spécialisent. Chacun se classe, suivant ses goûts, ses inclinations, ses études antérieures, en sorte que les comités se trouvent ainsi naturellement formés non seulement de personnes compétentes, mais encore de personnes qui apportent à l'examen des questions qui leur sont soumises un zèle et une activité qui ne se rencontrent pas chez les indifférents. Ajoutons à cet avantage l'esprit de suite qui s'établit forcément et qui permet de coordonner les éléments d'une réforme, de faire disparaître les anomalies que l'on ne rencontre que trop souvent dans l'œuvre hâtive et parfois incomplète du législateur.

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Avec le système des commissions permanentes se recrutant elles-mêmes, nous verrions pas plusieurs commissions, nommées en réalité suivant le hasard du tirage au sort des bureaux, s'occupant simultanément, avec des idées très différentes, de questions ayant entre elles une connexité évidente et proposant à la Chambre, chacune de son côté, des solutions opposées.

D'autres inconvénients non moins graves quoique moins apparents disparaîtraient également. C'est ainsi qu'il arrive très fréquemment, actuellement, qu'un député fait en même temps partie de plusieurs commissions et il est à peu près impossible qu'il ne soit pas convoqué simultanément pour assister aux séances de ces commissions.

On conçoit aisément les conséquences de cet état de choses.

Une partie des inconvénients que nous venons de signaler pourrait, dira-t-on, être évités par l'application plus fréquente de l'article du règlement qui permet le renvoi d'une proposition ou d'un projet de loi à une commission déjà nommée. Mais cet article est entouré de restrictions qui rendent son application trop souvent illusoire. D'ailleurs c'est le mode même de nomination des commissions qu'il importe, avant tout, de réformer et le règle

ment actuel ne nous donne à cet égard nullement satisfaction.

On objecte il est vrai que les commissions permanentes auront une tendance marquée à s'immiscer dans les attributions du pouvoir exécutif et que le résultat le plus certain de la réforme que nous vous proposons serait la négation du régime parlementaire.

Ces craintes nous paraissent chimériques ou du moins très exagérées. Il y a lieu de remarquer, en effet, que l'on fait, par anticipation, aux commissions permanentes le reproche que l'on fait à la Chambre tout entière: nous ne pensons pas que veus deviez vous y arrêter. Toutefois, pour rassurer ceux de nos collègues sur qui cette objection pourrait faire impression, nous avons eu soin de prendre certaines dispositions qui nous paraissent écarter le danger hypothétique dont on paraît trop aisément

s'alarmer.

Il nous a suffi, pour cela, d'adopter un projet de répartition des membres de cette assemblée, non pas en autant de commissions qu'il y a de ministères, mais en autant de commissions qu'il ya de grands services spéciaux. Chaque ministère se trouvera ainsi avoir auprès de soi plusieurs commissions, investies d'attributions purement législativee et qui se neutraliseraient mutuel ement au cas où elles voudraient empiéter sur les attributions du pouvoir exécutif.

Telle est, messieurs, la réforme que nous vous proposons d'apporter dans la préparation de vos travaux; nous vous demandons à cet effet d'introduire dans votre règlement les modifications suivantes :

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Art. 19. - Les commissions sont chargées, à moins que la Chambre n'en décide autrement, de l'examen des projets et propositions qui concernent leurs attributions respectives. Lorsqu'une proposition se trouve par erreur renvoyée à plusieurs commissions, une seule commission est chargée de faire le rapport de la Chambre.

Si la proposition émane du Gouvernement, le rapport est présenté par la commission correspondant au département ministériel, au nom duquel la proposition a été faite. Dans le cas où plus d'une commission correspondrait au même département ministériel, la proposition serait renvoyée à la commission désignée par le ministre, et, s'il s'élevait des difficultés, á la commission désignée par la Chambre.

S'il s'agit d'une proposition émanant d'un député, l'auteur de la proposition a le droit d'indiquer la commission qui devra présenter le rapport. S'il y a contestation, l'Assemblée désigne la commission.

La commission chargée d'étudier le projet ou la proposition procède à l'instruction de la proposition et désigne le rapporteur.

Si une sous-commission a été constituée, le rapport adopté par cette sous-commission doit recevoir l'approbation de la commission ellemême avant d'être présenté à la Chambre.

Le rapport est imprimé et distribué vingtquatre heures au moins avant la discussion en assemblée générale.

Art. 20. Lorsqu'il s'agit d'un projet ou d'une proposition devant entraîner une dépense, la commission est désignée conformément aux règles édictées à l'article précédent; mais le rapport de cette commission devra être soumis à l'approbation de la commission des finances avant d'être discuté en assemblée gérale.

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80 Commission du commerce et de l'indus- missions spéciales seront de 11, de 22 ou de 33

trie, des postes et télégraphes,

90 Commission de l'agriculture,

10° Commission de l'assistance publique et

des questions ouvrières,

110 Commission de la guerre,

12o Commission de la marine,

13° Commission de l'Algérie et des colonies, 14° Commission des finances,

15° Commission des travaux publics.

Art. 15. Chacun des membres de la Chambre des députés désigne, sur le registre ouvert à cet effet à la questure, celle de ces commissions dont il désire faire partie, en indiquant l'ordre de ses préférences.

Le bureau de la Chambre opère la répartition des membres entre les commissions d'après les inscriptions. Si le nombre des preinières inscriptions n'est pas en rapport avec celui des membres dont chaque commission doit se composer, il appartient au bureau de placer les députés dans les autres commissions pour lesquelles ils se seront subsidiairement inscrits, en suivant l'ordre des préférences par eux indiqué.

membres.

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Le procès-verbal de chaque séance mentionne le nom des membres présents et des absents.

Art. 26.

Les pièces communiquées à la Chambre sont déposées sur le bureau. La Chambre peut en ordonner l'impression.

Le président envoie aux commissions et aux bureaux toutes les pièces relatives aux objets qui doivent y être discutées.

Les membres de la Chambre peuvent prendre communication des documents remis aux commissions et aux bureaux pour l'étude des projets à examiner.

Cette communication doit avoir lieu sans déplacement et sans que les travaux des commissions et leurs séances puissent être entravés.

Ces documents et les procès-verbaux des comités, commissions et bureaux restent déposés aux archives de la Chambre, après le vote des projets.

Art. 27. Les auteurs d'une proposition ont droit d'assister avec voix consultative, aux séances de la commission chargée d'en faire l'examen.

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ANNEXE N° 8

PROPOSITION DE LOI sur l'arbitrage, présentée par M. Edouard Lockroy, děputė. Messieurs, l'idée de l'arbitrage n'est pas nouvelle et la première contestation qui s'est élevée parmi les hommes a dû avoir pour juges des arbitres. Les historiens l'ont maintes fois constaté l'arbitrage était en usage dans les peuples les plus anciens du monde, en Egypte, en Grèce, à Rome ensuite, où il fournissait cette belle période à Cicéron: « Autre chose est un jugement, autre chose un arbitrage. On vient au jugement pour perdre ou pour gagner son procès; on prend des arbitres avec la pensée de ne pas tout perdre et de ne pas tout obtenir. » L'arbitrage exista chez les Gallo-Romains et enfin il figura dans nos codes. Si nous remontons aussi haut et si nous regardons aussi près au

tour de nous, c'est seulement pour calmer les inquiétudes de certaines personnes qui ont cru voir dans l'arbitrage l'application d'un principe subversif ou, tout au moins, une nouveauté dangereuse.

La France, au cours de sa longue histoire, a toujours connu les arbitres. Vers la fin de l'ancien régime, l'arbitrage fut presque complètement délaissé. C'est la Révolution qui en reprit l'idée et qui songea à l'appliquer aux affaires d'Etat.

Elle alla un moment jusqu'à l'arbitrage forcé sur lequel elle dut bientôt revenir. Une sanction efficace lui manquait déjà, bien que l'industrie et le commerce fussent, comparés au temps présent, à l'état embryonnaire.

Nous ne rappellerons pas toutes les lois d'arbitrage, souvent contradictoires, que la Révolution entassa dans un court espace de temps. Des grands projets de réforme qui devaient régler les rapports du travail et du capital, deux seuls restérent debout: la loi Chapelier, dont on sait les conséquences, et la loi sur les prud'hommes, édictée en 1806.

Peut-être suffisaient-elles à cette époque, avant qu'éclatât la révolution scientifique et économique qui a bouleversé notre siècle bien plus profondément encore que la politique, la diplomatie ou la guerre. Cette révolution est née dans les laboratoires, elle a créé des mœurs nouvelles, une civilisation nouvelle et sans précédents dans l'histoire du monde. L'industrie a recueilli, une à une, toutes les découvertes de la science pure et elle leur a trouvé des application pratiques et immédiates. De là, les facicilités de transports qui ont effacé les frontières et bouleversé la géographie commerciale; les machines substituées à l'homme, la force empruntée à la nature, le perpétuel changement d'outillage qui fait disparaître brusquement d'innombrables catégories de travailleurs; les chômages rendus plus fréquents par la surproduction simultanée de tous les Etats de l'Europe; des grèves éclatant avec plus de fréquence et de tenacité au détriment de la prospérité nationale, des agglomérations immenses d'ouvriers dans les villes, la lutte rendue chaque jour plus aiguë entre le capital et le travail.

En présence d'une situation si neuve et si impossible à prévoir pour les rédacteurs du code, il faut des lois nouvelles en harmonie avec les besoins, les désirs, les volontés, les espérances des sociétés modernes, toujours en travail, toujours profondément remuées, où les fortunes particulières s'élèvent rapidement et parfois croulent tout à coup; où se posent à toute heure de graves questions de salaire, d'heures de travail et d'hygiène des ateliers, de protection de l'enfance et de la femme, de justice arbitrale, c'est-à-dire de justice compétente; où les négociants, à l'étroit en Europe, sont forcés de chercher des clients dans le monde encore à demi barbare; où la concurrence fait baisser les prix de telle sorte que le patron comme le travailleur ne trouvent plus à gagner leur vie; où les grands problèmes industriels ou plutôt les grands problèmes sociaux se posent avec une impérieuse nécessité et prennent désormais le pas sur tous les autres, puisque de leur solution peuvent dépendre la prospérité et l'avenir d'un peuple.

De tous ces problèmes qui préoccupent le monde civilisé, le plus ardu et le plus difficile à résoudre est peut-être celui qui a trait aux grèves, à cette lutte ouverte et trop souvent meurtrière entre le capital, représenté par un patron ou par une société industrielle, et les ouvriers qu'ils emploient. La grève nuit aux deux adversaires sans profiter à personne, sinon, souvent, à l'industrie étrangère. Elle dessèche pendant un temps donné, une des sources de la production nationale. Même lorsqu'elle n'entraîne pas des actes de violence, elle constitue une sorte de guerre latente, aussi déplorable que toutes celles qui arment, les uns contre les autres, les citoyens d'un même pays.

Elle nait souvent, il est vrai, par la force même des choses, à la suite d'injustices ou de violences. Mais aussi est-ce à l'empêcher d'éclater que se sont appliqués une grande partie des législateurs de l'Europe. Il leur a semblé que le meilleur moyen d'étouffer le mal dans son germe était de recourir à une juridiction particulière, compétente à l'arbitrage. L'Angleterre a depuis longtemps des lois sur les arbitres et grâce à ces lois qu'elle perfectionne tous les jours, elle a évité beaucoup de querelles entre employeurs et employés, qui auraient

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certainement surgi sans cela dans les industries extractives, aussi bien que dans les industries des tissus, dentelles, etc. L'Allemagne, de son côté, a édicté des lois semblables, s'inspirant de la même pensée, bien que très différentes dans la forme et dans le fonctionnement qu'elles organisent. La Belgique prépare des lois sur le même sujet; la Hollande aussi et beaucoup d'autres nations de l'Europe. La né. cessité semble s'en imposer à tous les pays où l'industrie est puissante, où par conséquent, elle met en contact perpétuel le patron et l'ouvrier.

Les lois les plus intéressantes ayant trait à l'arbitrage sont assurément les lois anglaises. M. Mundella, ministre du commerce, en a été le plus zélé propagateur. Les grèves empêchées ou arrêtées au milieu de leur plus violente effervescence, les compromis signés entre ouvriers et patrons, l'ont fait connaître et souvent acclamer par son pays reconnaissant. S'il est vrai de dire que M. Mundella n'a fait qu'introduire dans la législation ce qui existait déjà, çà et là, dans certaines contrées, il est juste aussi de reconnaître que ses lois ont contribué à modifier et à améliorer les mœurs industrielles de l'Angleterre. Sans l'adhésion du parlement, l'arbitrage n'aurait, de l'autre côté de la Manche, ni sa popularité, ni son efficacité.

Les Anglais ne l'ont point adopté du premier coup. Ils l'ont, pour ainsi dire, greffé sur la loi fondamentale de 1867, qui réglait les rapports des maîtres et domestiques. En 1871 et 1872, ils ont modifié cette loi, où du moins, ils en ont étendu les dispositions aux ouvriers et patrons; ils ont refait avec un caractère différent et peut-être plus large notre loi sur les prud'hommes. En 1875 enfin, ils ont poussé plus loin et sont arrivés à une véritable loi sur l'arbitrage. Mais ce qui est intéressant en Angleterre, c'est moins la loi que le fait; moins un texte législatif que l'interprétation qui lui est donnée par les citoyens. Le Parlement légifère, le peuple crée la jurisprudence et la jurisprudence précède quelquefois la législation.

Cette jurisprudence est d'autant plus nécessaire que la foi anglaise, toujours formulée en termes vagues, confond les prud'hommes et les arbitres, ce qui est une faute capitale. Les prud'hommes, appelés à statuer sur les cas particuliers, rendent des jugements au sens propre du mot. Au contraire, les arbitres nommés pour résoudre des questions générales, et surtout pour intervenir en cas de grèves, rendent des sentences dont toute la force réside dans

la bonne foi de ceux qui, auparavant, ont juré arbitres est, d'y obéir. La juridiction des comme on dit là-bas, « une juridiction d'honneur ». Il n'est guère d'exemple de trahison, soit du côté des patrons, soit du côté des ouvriers, et il est juste de dire qu'il en a été de même en France, chaque fois que les parties adverses ont eu recours à un arbitre.

En fait et grâce aux termes très larges de la loi, voici comment se passent les choses. Au début même d'une exploitation ou, si cela n'a pu se faire à ce moment, dans une période calme, patrons et ouvriers nomment deux arbitres. Ces arbitres ressemblent à nos prud'hommes. Ils ne jugent ordinairement, bien que leur compétence n'ait pas de limites absolument fixes, que les différends particuliers qui se présentent dans l'usine, la fabrique, la mine où ils travaillent. Si l'on prévoit une grève ou si une grève menace de devenir grave, on nomme immédiatement deux autres arbitres, qui se joignent aux deux premiers, et qui ne sont munis, cependant que d'un mandat purement temporaire, destiné à expirer en même temps que le conflit. Les quatre arbitres ne parviennent-ils pas à s'entendre, on nomme un cinquième arbitre, « un suprême arbitre »> pris hors de l'usine, ou de la mine, ou de la fabrique, parfois membre du Parlement comme sir Charles Dilke ou Mundella, parfois simple gentleman, qui, sans avoir à tenir le moindre compte des sentences déjà rendues, juge en dernier ressort et sans appel.

Tout cela est extra-légal en ce sens qu'ouvriers et patrons sont libres et que la loi n'a pas édicté de sanction. Les intéressés acceptent presque toujours, on pourrait dire toujours, la sentence, et cela parce que les questions de grève préoccupent ou passionnent l'Angleterre et que l'opinion publique qui, d'habitude, suit l'avis de l'arbitre, pèse d'un poids énorme sur les intéressés et force leur consentement.

Ce ne sont point les ouvriers, comme on pourrait le croire, mais bien les grands proprié

taires, les patrons, les directeurs de grandes usines ou de fabriques qui, les premiers, ont accepté l'arbitrage. Ils ont entraîné derrière eux, souvent malgré elles, la petite fabrication et la petite propriété. C'est que les hautes classes anglaises ont, au suprême degré, l'esprit politique. Devant ce grand mouvement du siècle elles sentent qu'il faut plier, que la résistance entraînerait peut-être des catastrophes. Une force qu'on n'a point mesurée se dresse devant elles et elles comprennent que c'est seu lement avec des concessions habiles qu'elles parviendront à conserver leur influence et leur prépondérance sociales. Certains industriels n'hésitent pas, en cas de grève, à discuter avec les ouvriers les bénéfices de l'entreprise, leur gain annuel; enfin, à ouvrir leurs livres et à les faire examiner par des experts.

Dans beaucoup de mines, on a établi ce qu'on appelle l'échelle mobile du charbon. Cette échelle donne le prix de la tonne de charbon sur les marchés où se vendent les produits de l'exploitation et le salaire des ouvriers se règle sur ce prix. Le salaire éprouve une hausse ou une baisse selon que le charbon se vend cher ou bon marché.

On voit que chacun iuterprète la loi à sa guise et à sa manière, mais la loi permet et protège toutes ces interprétations. Elle se contente de poser le principe de l'arbitrage et de l'encourager. Si maintenant, malgré toutes ces précautions prises, la grève éclate ou continue avec plus de violence, le gouvernement anglais fait ce que font tous les gouvernements: i envoie des troupes pour maintenir l'ordre. Elles le maintiennent avec une absolue impartialité.

La loi allemande du 29 mars 1879 sur les arbitres, ne fit guère que copier assez mal notre loi sur les prud'homines dont elle n'élargit que trop ou trop peu la compétence. Les prud'hommes étaient connus en Prusse dès 1808 alors que ce pays, vaincu par nos armes, se trouva ruiné du même coup. On chercha à rendre les procès moins coûteux pour les populations et les prud'hommes, mis à l'essai par un ordre de cabinet du 16 juin 1808, furent définitivement constitués par une ordonnance du 7 septembre 1827, pour la province de Prusse. L'expérience ayant réussi, on étendit la juridiction des prud'hommes aux provinces de Silésie et de Brandebourg, en 1832; de Poméranie, en 1834; de Posen, en 1841; de Westphalie, en 1859, La Prusse rhénane avait des juges de paix: elle rosta étrangère au mouvement. Le Schleswig, plus tard conquis par les alliés de Prusse et d'Autriche, conserva son organisation judiciaire qui n'admettait pas les arbitres ou plutôt les prud'hommes.

L'institution des arbitres resta donc longtemps provinciale et régie par des règies différentes. En 1879, seulement, elle fut élargie et réglementée d'une manière uniforme, pour tout l'empire.

La loi de 1879 repose sur trois principes : 1o la procédure en conciliation est gratuite; 2o elle n'est pas obligatoire, mais abandonnéé à la libre initiative des partis; 3° l'arbitre ne rend pas de décision: il constate seulement l'arrangement intervenu ou le refus de conci

liation.

clarté. Elle est confuse et paraît s'appliquer à Cette loi manque d'ailleurs de netteté et de tous les désaccords sans spécifier cependant d'une façon nette ceux qui peuvent survenir entre ouvriers et patrons. Une seule fois, à l'erticle 18, apparaissent ces mots : «les communes ou les corporations peuvent se faire représenter par des membres pris dans leur sein. » Encore n'est-ce pas la loi qui parle ainsi : c'est le règlement administratif, joint à la loi et signé par le ministre de la justice; le seul mot de « corporations fait supposer qu'en cas de grève des arbitres peuvent être élus.

Quoi qu'il en soit, les arbitres sont pour ainsi dire, dans la main du Gouvernement. Lors de l'élection, le président du bureau de vote doit transmettre au président du tribunal régional copie de la liste qui a triomphé, mais le président peut récuser tel arbitre qu'il lui plaît et ordonner une nouvelle élection. Le président du tribunal régional doit inspecter les arbitres de temps à autre. Le juge de bailliage doit vérifier le livre des procès-verbaux une fois l'an. Enfin, un rapport général sur tous les arbitres de son ressort, est envoyé par le président du tribunal régional au président de la cour d'appel.

C'est seulement en 1882 que l'Allemagne entre

plus entièrement dans la voie de l'arbitrage. | Elle reprend en partie notre loi sur les chambres syndicales, puis elle déclare qu'il appartient aux corporations « d'établir des tribunaux d'arbitres chargés de statuer sur les litiges entre les membres de la corporation et leurs compagnons, au lieu et place des autorités compétentes ». Un autre article règle le fonctionnement de l'organisation de l'arbitrage. Les tribunaux d'arbitres doivent être composés au moins d'un président et de deux assesseurs. Les assesseurs seront pris moitié parmi les membres de la corporation, moitié par les ouvriers. Les premiers seront choisis par l'assemblée de la corporation ou par tous autres représentants de la corporation. Les autres seront choisis par les compagnons de la corporation ou par leurs représentants. Le président sera désigné par l'autorité chargée de la surveillance de la corporation : il doit être pris hors de la corporation. >>

sins, lesquels se trouvaient, eux aussi, en face du même problème. La raison, se substituant à la force, la discussion à la violence, leur a semblé un moyen qui pouvait résoudre en partie des difficultés en apparence insurmontables. Qu'ont-ils fait? Ils ont été chercher, soit dans leurs traditions propres, soit parmi les lois de la Révolution française, ce principe de l'arbitrage que nous avons laissé dans nos codes, mais que nous n'avons su encore ni agrandir ni appliquer.

La moitié de l'Europe est, à ce point de vue, en avance sur nous. Ce n'est point qu'elle ait inventé l'arbitrage; mais elle en a trouvé une application nouvelle, et elle l'a harmonisée avec les besoins et les idées du siècle. Elle l'a laissée facultative, mais elle a donné tous les moyens de s'en servir aux hommes de bonne volonté. C'était là le principal et l'important. Une loi sur l'arbitrage ne peut être que la mise en œuvre d'un principe reconnu par tous, une Les lois allemandes sont empreintes d'un loi qui vient au secours d'une législation imbout à l'autre, comme on voit, de l'esprit auto-puissante ou surannée, qui la complète et qui ritaire. Le gouvernement, sous une forme ou l'explique, qui suffit aux nécessités du temps sous une autre, intervient toujours, même alors présent et qui prépare les solutions de l'aqu'il pourrait, sans danger, donner la liberté, venir. ou au moins l'indépendance. Pour les lois élaborées aux Etats-Unis, en Suède, en Norwège, on ne voit pas que, hors les cas de litiges particuliers, elles établissent de sanctions pénales. Il en devait être ainsi, et la raison est évidente. Lorsqu'on se trouve placé entre deux intérêts différents, dont l'un est souvent représenté par une seule personne, l'autre par un millier ou plusieurs milliers d'individus, il est impossible d'imaginer une sanction pouvant s'appliquer équitablement aux deux parties. S'il est facile d'agir sur un particulier et de le condamner à l'amende et à la prison, il est impossible de contraindre les masses salariées ou à travailler, ou à reprendre leur travail, ou à en accepter tel ou tel prix. Elles échappent par leur nombre aux répressions ordinaires, et la loi qui voudrait les y soumettre serait une loi sans justice qui deviendrait bientôt inapplicable, ou plutôt qui resterait lettre morte. Se figure-t-on les ouvriers d'une mine ou d'une grande usine, qu'un tribunal arbitral aurait condamnés, ramenés et maintenus au travail par la gendarmerie ou la police? S'imagine-t-on qu'on en pourrait venir à bout avec la saisie et l'amende, alors que souvent la misère seule les a soulevés?

L'impossibilité d'atteindre les employés couvre les employeurs et rend inutile et inefficace toute sanction. Les nations civilisées qui se sont préoccupées de ce problème l'ont reconnu, et aucune n'a tenté d'introduire une pénalité dans la loi qu'elle édictait. Il n'en est pas une qui n'ait senti la nécessité inéluctable de l'arbitrage, pas une qui n'ait reconnu l'impossibilité de rendre obligatoires ses sentences.

Le problème est antinomique, et un certain nombre de personnes ont saisi ce prétexte pour déclarer inutiles ou dangereuses les lois d'arbitrage. Ont-elles raison? Les nations qui ont adopté ou étendu l'arbitrage n'ont-elles rien fait? Ont-elles seulement imaginé un spectacle propre à endormir le peuple industriel et à le tromper? Les faits, heureusement, répondent assez haut. Tant de grèves apaisées, aux Etats-Unis et en Angleterre, témoignent suffisamment de la nécessité de la loi et de son efficacité sur les esprits.

Les ouvriers de tous les pays, les patrons, les assemblées politiques, les gouvernements eux-mêmes ont constaté l'impuissance de la force brutale à trancher les problèmes sociaux; ils ont cherché à les faire résoudre par les intéressés; ils ont fait appel au patriotisme des masses, à la raison des capitalistes, à la discussion pacifique des intérêts de tous. Les plus autoritaires d'entre eux penchèrent de ce côté, voyant l'inutilité de leurs efforts antérieurs et comprenant l'inefficacité de leur énergie dans l'avenir. La répression, indéfiniment continuée, n'aboutit jamais qu'à des situations à la fois anarchiques et sanglantes. Elle ne résout rien. L'histoire est là pour l'attester. Ni la Ricamarie, ni Saint-Aubin, ni Buzançais, ni les journées de Juin n'ont avancé d'un pas la résolution du problème social. Peut-être l'ont-elles reculée. Ces répressions n'ont fait qu'entretenir, dans les couches profondes de la société, la fermentation perpétuelle de la guerre civile. Elles ont allumé des haines que se transmettaient les générations, et dont on n'a compris la violence que lorsqu'elles ont éclaté. Des faits si graves et si instructifs devaient frapper tous nos voi

C'est une loi semblable que réclame la France industrielle, bien qu'elle soit moins agitée et moins profondément remuée que la Belgique, l'Allemagne et peut-être l'Angleterre elle-même. Mais, néanmoins, l'antagonisme des classes y existe encore; et il pourrait s'accentuer si des mesures démocratiques, si des lois profondément imprégnées d'un esprit pacifique ne venaient le réfréner, en attendant qu'on puisse le détruire. Il est le contre-sens le plus dangereux dans une démocratie qui repose sur le suffrage universel et sur l'égalité des citoyens.

Quant aux objections qu'on pourrait faire et qu'on a faites à une loi sur l'arbitrage, il semble qu'elles disparaissent et qu'elles s'évanouissent à mesure qu'on réfléchit. Ces lois-là dit-on, si vieilles en Angleterre et ailleurs, sont trop nouvelles pour nous. Elles resteront inappliquées parce qu'elles sont facultatives, et que les lois facultatives dorment dans le Bulletin des lois sans que personne songe jamais à les réveiller. C'est là parler légèrement, et nos codes sont pleins de lois facultatives dont on se sert tous les jours; la loi des syndicats professionnels, les lois sur les sociétés, bien d'autres encore.

Mais est-il vrai que les lois sur l'arbitrage n'ont point et ne pourront point avoir de sanction? Sanction pênale? Sanction ordinaire? Non. Mais de plus hautes et de plus efficaces: les sanctions morales, celles qui relèvent de l'opinion publique et de la conscience de chacun. La publication des jugements répandue de tous côtés, la nation prononçant pour ainsi dire en dernier ressort et comme juge suprême, ne sont-ce pas là des sanctions sutfsantes, propres à faire reculer les coupables et à inspirer le respect de la loi? Plus le temps passe, plus ces grandes questions qui touchent à l'existence du monde industriel, plus ces grèves qui paralysent le travail au moment même où le travail nous manque, passionnent et inquiétent ceux qui ont souci du présent et de l'avenir de notre pays; plus aussi les causes des chômages forcés, des réclamations des ouvriers, des plaintes des patrons, des conditions qu'on inflige au labeur humain, sontelles avidement recherchées, analysées, étudiées. Le moindre dissentiment qui éclate, soit dans une mine, soit dans une usine, a son écho dans toute la France. C'est que chacun aperçoit dans ces événements la grande question qui remonte, toujours vivante et toujours insoluble, que refusent de voir les économistes purs et dont n'ont pu triompher les différents systèmes socialistes, chrétiens ou laïques.

Entre les deux puissances qui se partagent le monde industriel, le capital et le travail, la lutte est restée à peu près aussi aiguë, mais la situation respective des adversaires s'est modifiée singulièrement, se modifie sans cesse et se modifiera toujours. Les effets redoutables de la concurrence, la surproduction, le perfectionnement perpétuel des procédés industriels ont forcé l'ouvrier et le forceront davantage, dans l'avenir, à des efforts plus multiplies. Quand, dans les congrès ou les réunions, se font entendre, non les menaces, mais les revendications légitimes du prolétariat, bien des réflexions s'imposent à tous les esprits. Cela est si vrai que la France entière semble chercher aujourd'hui des voies nouvelles qui con

duisent à une égalité plus complète et à la pondération des forces en présence. Déjà, dans les dernières grèves, l'influence de l'opinion publique semble avoir été plus forte que la volonté même des parties. Elle a pour ainsi dire imposé bien des fois des dénouements; sa toutepuissance est incontestable; elle fait mieux que des lois, elle fait des mœurs.

L'important est de la saisir des questions sociales, de l'obliger à se prononcer et à agir. C'est un des buts de la loi actuelle qui, indirectement, en accordant la possibilité de l'arbitrage, donne la publicité aux demandes, aux refus, aux acceptations, aux raisons des adversaires et aux jugements des arbitres. Chacun de ces actes doit donner lieu à des commentaires et à des discussions fructueuses. Dans la presse comme dans le public, ces discussions et ces commentaires formeront un grand courant d'opinion qui viendra soutenir les décisions arbitrales et qui rendra impossible au condamné de se soustraire à l'arrêt prononcé contre lui.

Les lois sur la presse, sur les réunions, sur l'instruction, sur les chambres syndicales ont changé nos habitudes et nos mœurs. Elles ont modifié nos tendances et détourné le cours de nos idées. Une loi sur l'arbitrage, attendue de tous, en usage dans toute l'Europe, ne doit-elle pas avoir autant d'effet que les autres lois qui l'ont précédée? Comment une loi pareille, qui réussit dans des monarchies ne relevant ni de la volonté nationale, ni du suffrage universel, ni de l'opinion publique, resterait-elle sans effet dans un gouvernement démocratique où l'opinion publique est toute-puissante; où le peuple, et sous cette dénomination nous comprenons toutes les classes, règne et gouverne? La sanction finira par exister, deviendra quelque chose de réellement effectif, telle qu'elle existe en Angleterre et aux Etats-Unis, et elle aura d'autant plus de force qu'elle naîtra de ce principe, auquel se rattachent tous ceux qui ont un sincère et profond dévouement au gouvernement républicain : la Liberté.

Le développement rapide et considérable de la production industrielle, sans cesse stimulée par la concurrence à l'intérieur et à l'extérieur a, comme nous le disions, modifié profondément les rapports des patrons avec les ouvriers. A la fixité relative des conditions anciennes du travail industriel a succédé une grande diversité dans les éléments qui servent aujourd'hui à déterminer le prix de revient. L'étendue des relations commerciales, l'encombrement des marchés, les facilités de transport et surtout l'abaissement de la qualité des articles de grande vente, tendent à réduire de plus en plus la valeur vénale du produit fabrique.

D'autre part, les ouvriers dont l'esprit est plus ouvert, l'intelligence mieux éclairée par l'instruction, prétendent, avec juste raison, trouver dans la rémunération de leur travail les moyens, non seulement de subvenir à la conservation de leur existence et de celle de leur famille, mais aussi d'acquérir dans la société la place que doit leur y assigner un travail persévérant et honorable.

La difficulté de concilier ces divers intérêts également respectables provoque des contestations chaque année plus nombreuses entre les patrons et les ouvriers. Le nombre des grèves qui n'avait été que de 116, en 1885, a dějà dépassé 70, rien que pour les cinq premiers mois de 1886. Et cependant il est certain que ces manifestations extérieures du désaccord qui règne entre les deux facteurs de la production diminueraient dans de fortes proportions et surtout qu'elles perdraient le caractère de violence dont quelques-uns d'entre elles ont été marquées si, dès le début, la partie qui se considère comme lésée pouvait confier l'examen et la défense de ses revendications à un arbitre compétent et désintéressé. Tout porte à penser que bien des exigences ne se manifesteraient pas, que bien des susceptibilités personnelles ne feraient pas obstacle à une solution transactionnelle amiable, si l'amour-propre des uns et des autres n'avait pas été froissé au moment même de l'exposé des griefs réciproques. Tel grand industriel, telle puissante compagnie qui croit, à tort, faire acte de faiblesse en discutant directement avec ses ouvriers les conditions de salaires supporteront les charges pécu niaires et l'amoindrissement moral qui résulteraient pour eux du refus d'accepter un tribunal arbitral.

Sans doute, dans l'état actuel de la législation, rien n'empêche les patrons et les ouvriers de recourir à l'arbitrage. Cette voie est légale,

mais, pour être suivie, elle exige d'abord un accord préalable, une entente réciproque entre les deux parties sur la position de la question, sur la personnalité des arbitres. L'arbitrage n'est généralement admis qu'à toute extrémité, lorsque les patrons et les ouvriers, épuisés par une lutte à outrance, ne le subissent que pour donner une forme acceptable à une transaction que tous désirent, mais que personne ne veut proposer le premier.

Au contraire, pour produire un effet utile, c'est au moment même où le désaccord naît entre le patron et l'ouvrier que l'arbitre doit intervenir afin de connaître des griefs, de s'enquérir de leur valeur et d'indiquer la solution que comporte l'intérêt bien entendu de l'employeur et de l'employé. Mais, pour obtenir ce résultat si désirable, il est indispensable que l'arbitrage industriel soit mis sans frais, à tous moments et sans déplacement, à la disposition de tous ceux auxquels il peut servir.

Les législations étrangères paraissent avoir fait entre les conseils ou bureaux d'arbitrage et les conseils de prud'hommes une confusion d'autant plus regrettable qu'une distinction capitale doit être maintenue dans ces deux assemblées. Les tribunaux d'arbitrage ne sauraient constituer qu'une juridiction d'honneur purement facultative, alors que la juridiction des conseils de prud'hommes lie les patrons et les ouvriers de leur circonscription et de leur industrie et rend des décisions qui ont force de jugement.

Aux termes de la loi spéciale dont vous avez assez été saisis, le 2 février 1886, les conseils de prud'hommes ont pour objet de terminer par voie de conciliation ou de juger lorsqu'ils n'ont pas été conciliés, les différends qui peuvent s'élever à l'occasion du contrat de louage entre le patron et les ouvriers qu'ils emploient; les décisions des conseils de prud'hommes entraînent des condamnations pour dommages et intérêts. D'après l'article 1er du projet sur les tribunaux d'arbitrage, les arbitres statueront sur les questions relatives à la fixation des salaires, et généralement sur toutes les conditions dans lesquelles s'effectue le travail industriel. Les sentences des arbitres acceptées d'honneur par les patrons et par les ouvriers n'auront pas d'effet rétroactif; elles ne lieront les patrons et les ouvriers que dans les conditions nouvelles et pour la durée du temps à venir déterminée par la sentence.

La pensée déterminante du projet de loi étant de mettre l'arbitrage à la portée de l'industrie, il a paru que la notification de la demande d'arbitrage devait être faite au maire qui représente l'autorité avec laquelle les patrons et les ouvriers de toutes les industries ont les rapports les plus fréquents, les plus faciles et les plus directs.

Le rôle tracé au maire par le projet est purement passif. Il reçoit une demande écrite contenant d'une manière précise quoique sommaire l'énoncé des points à soumettre à l'arbitrage; il en donne un reçu et le transmet à la partie appelée en arbitrage qui doit elle-même faire connaître dans les trois jours sa réponse

motivée.

L'article 4 prévoit naturellement le cas de prorogation nécessaire du délai pour obtenir la réponse; mais, lorsqu'il est bien évident que l'arbitrage offert est repoussé, le maire délivre à la partie demanderesse une déclaration signée attestant que, soit par suite de nonréponse, soit par suite de refus, le tribunal arbitral n'a pu être constitué. Cette déclaration fait mention, c'est la sanction, des motifs du refus.

La loi a cru devoir laisser aux parties le soin de fixer le nombre des arbitres; cependant, il serait à désirer que le tribunal arbitral ne fût composé, dans la plupart des cas, que de deux arbitres.

Il ressort, en effet, de l'expérience que le choix d'un grand nombre d'arbitres, tous plus ou moins intéressés à la solution du désaccord dans un sens plutôt que dans l'autre, ne sert souvent qu'à aggraver les difficultés et à écarter les chances de transactions. On ne peut que souhaiter également que les arbitres désignés par les patrons et par les ouvriers soient pris en dehors d'eux. Des arbitres étrangers aux parties en cause n'auront à redouter aucune conséquence personnelle de l'exercice de leur mandat; ils entendront les dires des parties sans préoccupation extérieure à l'affaire; ils exami

1889. DÉP., SESSION EXTR. — - ANNEXES, T. III. (NOUV, SÉRIE, ANNEXES, T. 29.)

neront sans prévention les pièces jointes à l'appui des affirmations respectives et prononceront une sentence dont l'autorité morale ne pourra être infirmée.

La mission d'arbitre dans de semblables conditions est trop honorable et doit rendre de trop réels services pour que les personnalités les plus en vue et les mieux considérées ne consentent à accepter gratuitement ce mandat essentiellement temporaire.

Une disposition générale de la loi anglaise du 6 août 1872 sur l'arbitrage reconnaît aux arbitres le droit d'exiger la production des livres et de procéder à leur examen, lorsque l'accord intervenu entre les patrons et les ouvriers a prévu cette communication. Vous remarquerez, messieurs, que, malgré les termes impératifs de la loi anglaise, il ne s'agit là, au fond, que d'une simple faculté, puisque les arbitres ne peuvent exiger cette production et se livrer à cet examen que lorsque les patrons anglais en ont souscrit l'obligation d'une manière générale avant la constitution de l'arbitrage. Si utile que puisse être cette production, nous pensons qu'il serait excessif de la rendre forcée, car une semblable exigence suffirait pour mettre bon nombre de maisons en défiance contre la loi nouvelle; ce serait aller à l'encontre du but que nous cherchons à atteindre par les nouvelles dispositions législatives. Les établissements industriels dont la situation financière n'a rien à redouter d'un examen approfondi et ceux qui tiendront à convaincre les arbitres de la justesse de leur demande n'hésiteront pas à produire leurs livres ou des extraits certifiés de certains comptes, lorsque cette production sera réclamée par les arbitres. Dans le cas contraire, les arbitres apprécieront si le refus de production doit être considéré comme un aveu du tort de la partie non consentante, ou s'il doit les amener à refuser de statuer, faute de renseignements suffisants.

L'article 9 n'est qu'un article d'exécution. Il est relatif à la remise aux personnes intéressées des sentences arbitrales et à leur conservation dans les archives du ministre du commerce et de l'industrie.

L'article 10 prévoit une des circonstances particulières dans lesquelles l'arbitrage industriel est appelé à rendre d'utiles services. Souvent des fabricants seraient intéressés, avant d'accepter des commandes importantes dans des conditions autres que celles du marché courant, à s'entendre, au préalable, avec leurs ouvriers pour déterminer les prix et fixer les conditions de façon de ces commandes exceptionnelles. En effet, un établissement en pleine marche, mais à court de commandes et dont les frais généraux sont lourds, aurait avantage à saisir une occasion de travailler jusqu'à la limite extrême du prix de fabrication pour ne pas arrêter et pour attendre un marché meilleur. Dans le même ordre d'idées, les ouvriers auraient tout intérêt à consentir un sacrifice temporaire plutôt que de travailler à demijournée ou de deux jours l'un; cependant, ils aiment mieux maintenir leurs prétentions, dût leur exigence amener une réduction du per

sonnel ouvrier.

Pour éviter un débat direct contradictoire, débat qui sert d'ailleurs trop souvent de prétexte à des récriminations réciproques irritantes, patrons et ouvriers laissent ainsi échapper une occasion heureuse qui eût permis aux uns de franchir une passe difficile et assuré aux autres un travail constant. La loi en préparation donnera aux patrons comme aux ouvriers les moyens de surmonter les difficultés qu'opposent à leurs excellentes intentions les difficultés de leurs rapports actuels.

Devant les arbitres, les situations réelles s'établiront avec netteté, et la sentence arbitrale donnera à la transaction intervenue un caractère authentique dont la partie qui serait plus tard lésée dans l'exécution du travail pourrait bénéficier devant les tribunaux appelés à se prononcer sur la réalité du préjudice causé. C'est pour cela qu'il est stipule, & l'article 10, que le procès-verbal d'arbitrage fera foi, devant le juge de paix ou le conseil de prud'hommes, des conditions et des termes du contrat d'ouvrage intervenu entre le patron et les ouvriers.

Enfin, les articles 11 et 12 réglementent la publicité qui constitue la sanction morale des prescriptions de la loi. Les propositions d'arbitrage, ainsi que les refus qui leur seraient opposés, seront consignés, avec indication des

motifs allégués, sur un registre conservé aux mairies; ils seront, de plus, portés à la connaissance du ministre du commerce et de l'industrie et livrés à la publicité par voie d'afchage et d'insertion au Moniteur officiel du commerce. Les parties qui auront refusé d'accepter la sentence du tribunal arbitral se trouveront ainsi soumises au jugement du public, informé d'une manière exacte de la nature et des motifs du litige.

Ainsi comprise dans son ensemble, nous espérons que la loi nouvelle aura pour effet de réduire le nombre des grèves en arrêtant dès leur première manifestation celles qui ne sont suscitées que par un désaccord réel entre les patrons et les ouvriers sur les conditions possibles du travail, en tenant compte de la variabilité des éléments économiques qui régissent les cours des matières premières et ceux des produits fabriqués.

La loi prêtera ainsi un concours efficace à la grande majorité des patrons et des ouvriers, qu'anime incontestablement le sincère désir de régler de part et d'autre avec loyauté et équité leurs intérêts réciproques. Nous estimons enfin que la loi ne sera pas sans action sur les grèves provoquées ou entretenues par des mobiles plus ou moins avouables.

Sous l'empire de la législation actuelle, l'opinion publique manque de critérium pour dé̟terminer, à priori, de quel côté se trouve la bonne foi. Les raisons des grèves sont diverses, complexes, faciles à dénaturer, même pour les meilleurs esprits, alors qu'une longue pratique spéciale ne les a pas formés au jugement des questions économiques et professionnelles. De là les incertitudes de l'opinion; de là les appréciations également passionnées que toute grève de quelque importance suscite pour et contre les grévistes. Ces exagérations, qui causent tant de mal en fortifiant chacune des parties adverses dans des prétentions qu'elle n'ose plus abandonner, par crainte de déchoir dans l'estime de ses défenseurs, n'auraient plus désormais de raison d'être.

Du moment où un arbitre tout prêt se trouvera à la disposition des patrons et des ouvriers, dans des conditions égales, pour prononcer sur les questions techniques et pratiques de l'organisation du travail industriel, l'opinion publique, avec la rectitude de sa logique, s'attachera principalement à la question simple de savoir quelle est, des deux parties, celle qui aura accepté ou refusé l'arbitrage. La pression de ce jugement de l'opinion pèsera d'un grand poids sur la détermination des ouvriers susceptible de se laisser influencer par des impressions irréfléchies, et sur les puissances industrielles qui se refusent encore à reconnaître le principe nécessaire de la liberté

du travail.

PROPOSITION DE LOI

Art. 1er. Les patrons et les ouvriers pourront, soit d'accord, soit séparément, provoquer entre eux un arbitrage, dans les conditions spécifiées par la présente loi, sur tout litige relatif: 1° aux taux des salaires; 2° aux modes et époques de payement; 3° à la durée du trarité du travail. vail; 40 aux garanties de salubrité et de sécu

l'arbitrage adressent à cet effet, soit directeArt. 2. Les parties qui veulent provoquer

ment, soit par mandataire, au maire de la commune où se produit le litige, une déclaration écrite contenant: 1° les noms, qualités et domicile des demandeurs; 20 la désignation des objets de l'arbitrage, dans les limites fixées par l'article précédent; 3o les noms et adresses des personnes auxquelles la proposition d'arbitrage doit être notifiée; 4° le nom et le domicile de l'arbitre ou des arbitres désignés par les demandeurs. Art. 3. Le maire délivre récépissé de cette déclaration, avec indication de la date et de l'heure du dépôt, et la notifie sans frais, dans les vingt-quatre heures, aux parties adverses ou à leurs représentants dans la commune.

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