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il leur resterait encore celle de la plainte adressée à l'administration. Dans le cas où les griefs articulés par les voisins. seraient réels, sérieux, celle-ci serait tenue d'aviser; elle agirait alors soit en employant l'une des mesures qui sont de sa compétence exclusive, telles que l'avertissement, ou la suspension, la suppression de l'établissement, soit en provoquant les mesures qu'il appartient à l'autorité judiciaire seule d'appliquer, comme l'amende, et la cessation des faits constituant des contraventions à la loi. Au surplus, les tiers intéressés qui se croiraient lésés par l'exploitation de ces établissements ont toujours ouverte devant eux la porte de l'action civile en dommages-intérêts.

78. Les indications qui précèdent vont recevoir leur développement. Dans un premier article, nous parlerons des mesures qui, durant l'exploitation des établissements, peuvent être prises par les autorités administratives au point de vue de la sûreté et de la salubrité publique. Dans un second article, nous exposerons les cas où l'action de l'autorité judiciaire peut se faire sentir, soit que cette autorité réprime, par l'application des pénalités ordinaires, les contraventions que commettent les exploitants des établissements dangereux, insalubres ou incommodes, soit qu'elle prononce la réparation des dommages privés que ces établissements occasionnent aux héritages voisins ou à leurs produits.

Article Ier.

Action des autorités administratives; suppression, suspension,
conditions nouvelles, arrêtés municipaux.

79. De la suppression; elle ne consiste pas dans la démolition de l'établissement, mais dans l'interdiction définitive d'y exploiter l'industrie auquel il est affecté; elle est le résultat d'une pénalité ou d'une mesure de sûreté publique.

80. Envisagée comme pénalité, la suppression est appliquée aux

établissements classés qui ne se présentent pas dans les conditions exigées par les règlements.

81. Elle dépend du préfet pour les établissements des deux premières classes, et du sous-préfet pour ceux de la dernière.

82. Y a-t-il lieu, cependant, en ce qui concerne la compétence des préfets, eu égard aux ateliers de la première classe, de distinguer entre les établissements autorisés sous le régime du décret de 1810 et ceux qui ne l'ont été que depuis le décret du 22 mars 1852? 83. De la suppression considérée comme mesure de sûreté et de salubrité publiques: article 12 du décret du 15 octobre 1810. 84. La suppression prononcée aux termes de l'article 12 du décret de 1810 ne constitue pas une expropriation et ne donne pas lieu à une indemnité.

85. Elle ne peut être prononcée que par le chef du gouvernement, le Conseil d'État entendu.

86. La suppression, soit comme peine, soit comme mesure de sûreté publique, étant un parti extrême, ne doit être appliquée que lorsqu'il ne peut être fait autrement; des mesures préalables ou provisoires avertissement, mise en demeure, suspension, conditions nouvelles.

87. D'un cas particulier où la suspension peut être appliquée aux établissements non classés; rappel.

88. Du pouvoir des maires relativement à la police des industries dangereuses, insalubres ou incommodes.

89. Comme délégués de l'autorité supérieure, les maires sont tenus de veiller à l'observation des règlements généraux et des décisions rendues par cette autorité.

90. Comme représentants de la commune, ont-ils, à l'égard des établissements dont s'agit, un pouvoir qui leur soit propre ? 91. Suite qu'il s'agisse d'industries classées ou non classées, ce pouvoir se restreint aux mesures qui ne mettent pas en question l'exploitation ou l'existence des établissements.

92. Suite exemples de mesures de police qui, en cette matière, n'excèdent pas le pouvoir municipal.

79. Pendant son exploitation, un établissement industriel de la nature de ceux qui nous occupent ici peut être l'objet

de diverses mesures administratives que nous allons énumérer et examiner successivement.

Parlons, en premier lieu, de la plus grave de toutes, de la prescription aux termes de laquelle un atelier dangereux, insalubre ou incommode doit cesser d'exister. C'est là ce qu'on appelle la suppression d'un établissement.

Cette suppression ne consiste pas dans la démolition même des constructions ou des appareils dont l'ensemble forme l'établissement industriel, mais simplement dans la défense définitive d'employer ces constructions et ces appareils à l'usage auquel, jusqu'à ce jour, ils avaient été spécialement destinés et affectés. Appliquée aux manufactures et usines, la suppression n'entraîne la démolition que lorsque c'est la construction même de l'édifice ou le placement des mécanismes qui constituent la contravention à la loi. Nous le verrons notamment quand il s'agira des établissements élevés sur les cours d'eau publics, ou édifiés dans certaines zones frappées de prohibitions. Mais il ne peut en être de même en ce qui concerne les manufactures et les ateliers régis par les règlements de 1810 et de 1815, car ce n'est pas la construction de ces manufactures et ateliers qui importe à l'intérêt général, et cet intérêt ne peut être compromis que par l'affectation de ces établissements à telle industrie nuisible plutôt qu'à telle autre qui n'offrirait pas d'inconvénients.

La suppression est prononcée comme pénalité, ou purement et simplement comme mesure de sûreté publique.

80. La suppression, prononcée à titre de pénalité, atteint uniquement les établissements qui, bien que classés, se trouvent dépourvus de l'autorisation nécessaire à leur existence légale.

Ce défaut d'autorisation apparaît surtout dans trois circonstances 1° quand le maître de l'établissement ne peut

1 V. D. 266.

justifier d'une permission accordée, soit à lui, soit à ses prédécesseurs; 2o quand cette permission a été révoquée ; 3o enfin, quand on est déchu du droit de s'en prévaloir.

La première de ces circonstances ne demande qu'une courte explication. C'est au propriétaire d'un atelier classé comme dangereux, insalubre ou incommode, qu'incombe la charge d'en prouver l'existence légale; et il ne peut le faire qu'en représentant l'expédition de l'acte d'autorisation, qui a été délivrée à lui ou à ses prédécesseurs, ou qu'en établissant que son usine, antérieure à 1810, se trouvait dispensée de l'autorisation. L'impossibilité, de la part du fabricant, de faire ces justifications constituerait une infraction aux règlements susceptible d'entraîner la suppression.

Dans la deuxième circonstance, c'est-à-dire dans le cas où l'autorisation a été révoquée parce que le bénéficiaire n'en a pas exécuté les conditions ou les a violées, il suffit de dire que la suppression de l'établissement est la conséquence naturelle et forcée de cette révocation 1.

Reste la déchéance qui se produit dans deux cas, desquels nous avons déjà parlé. C'est, en premier lieu, lorsque des établissements ayant une existence légale, soit qu'ils aient été autorisés, soit qu'ils aient été maintenus aux termes de l'article 13, ci-dessus, du décret de 1810, perdent le bénéfice de leur situation passée 2; c'est, en second lieu, quand les usiniers n'ont pas profité dans un délai de six mois de la permission qui leur a été accordée.

81. Le droit de supprimer les établissements dérive natu rellement du pouvoir qu'on aurait d'en permettre la formation. L'application de cette peine dépend donc complétement des préfets pour les industries des deux premières

1 Conseil d'État, 14 avril 1824 (Sarreau).

2 V. n. 30.

3 Conseil d'Etat, 15 juin 1850 (Capdeville). — V. n. 76.

classes, et des sous-préfets, pour les industries de la troisième classe. Toujours par suite du même principe, les arrêtés par lesquels ces fonctionnaires prononcent la suppression d'un établissement sont susceptibles des mêmes recours que les actes d'autorisation 1.

82. Toutefois, quelques jurisconsultes n'admettent pas sans distinction le pouvoir des préfets, quand il s'agit de la suppression des établissements de la première classe. Ils reconnaissent bien ce pouvoir à l'égard des établissements autorisés par arrêtés préfectoraux depuis le décret du 22 mars 1852, mais ils le dénient à l'égard de tous ceux dont l'autorisation serait intervenue conformément aux règles du décret de 1810 et de l'ordonnance de 1815. Pour ces derniers établissements, l'autorité qui leur a conféré une existence légale serait seule compétente pour la leur enlever. Le motif de ces auteurs est tiré, comme on le voit, de la maxime: Nihil tam naturale est eodem modo quidquid dissolvi quo colligatum est 2. Quant à nous, nous sommes d'autant moins touché de cette raison, qu'elle ne nous semble pas ici à sa place. La maxime: Nihil, etc., tend uniquement à maintenir la séparation des pouvoirs qui seraient d'origine et d'essence diverses; elle enseigne, par exemple, que le pouvoir judiciaire n'est pas compétent pour réformer ou anéantir une prescription portée par le pouvoir administratif. Mais, dans l'hypothèse, rien ne vient contredire le grand principe de la séparation des pouvoirs; on ne veut pas reconnaître à une autorité étrangère à l'administration le droit d'annuler un acte administratif, il s'agit simplement de savoir si une permission émanée du chef de l'administration peut être ultérieurement révoquée par un agent subordonné de cette même administration. Eh bien une pareille question doit être résolue affirmativement

1 V. n. 46, 47, 51 et 56.

2 Avisse, Établ. indust., décentralisation administ., p. 35; Dalloz, n. 50.

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