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Parmi les objets destinés à satisfaire aux besoins impérieux de l'humanité, à de véritables nécessités sociales, il faut surtout compter l'eau, le combustible, les gîtes de substances minérales. Toutes ces choses ont donc attiré l'attention du législateur qui, à juste raison, a voulu les garantir des atteintes que pourrait leur faire subir l'industrie manufacturière.

L'eau, substance liquide, mobile, se précipitant incessamment sur toutes les pentes, échappe par cela même à l'appropriation elle est comme l'air agité, comme le vent, que l'homme ne maîtrise qu'imparfaitement et qui reste dès lors dans le domaine commun: Naturali jure, communia sunt aer, aqua profluens'.

Tel est le principe. Ce n'est qu'exceptionnellement et dans de certains cas seulement qu'on regarde l'eau comme susceptible d'être l'objet d'un droit de propriété. Par exemple, le fait de la navigation qui s'exerce sur les fleuves et les grandes rivières les a fait assimiler aux voies publiques et ranger avec celles-ci dans le domaine national.

Mais que l'eau appartienne à tous ou qu'elle soit la propriété de l'Etat, il importe toujours que l'emploi d'une chose, destinée à tant d'usages communs et publics, n'ait lieu que d'une manière sage et modérée. Il faut qu'après avoir satisfait aux nécessités de la navigation, elle puisse suffire également à d'autres besoins, et se partager entre l'agriculture et l'industrie, «< ces deux mamelles de l'Etat. » D'ailleurs, l'emploi de l'eau, alors même que cette substance serait l'objet d'une appropriation, intéresse tout au moins la salubrité et la sûreté publiques. Un usage maladroit ou abusif peut occasionner des inondations, des infiltrations préjudiciables, des retenues marécageuses et insalubres. L'eau ne doit donc être employée

L. 2, § 1, D. De divis. rerum.

que dans des conditions telles qu'il n'en puisse résulter aucun inconvénient grave pour les citoyens ni pour leurs propriétés.

Il importe également au pays que l'exploitation des gîtes minéraux ne soit pas abandonnée aux caprices du premier venu; il serait fàcheux qu'une extraction exagérée et sans mesure dilapidat actuellement ces richesses naturelles du sol auxquelles ont droit aussi les générations futures. Ici, d'ailleurs, l'intérêt de la sécurité publique se trouve encore engagé. Les excavations des mines, des carrières, peuvent ébranler le sol et compromettre la vie de ceux qui travaillent dans ses entrailles comme la sûreté de ceux qui habitent à sa surface.

Quant à l'intérêt actuel et futur que nous avons soit à préserver de l'incendie et de la déprédation le combustible si précieux de nos grandes forêts, soit à en ménager les ressources, tout le monde comprend qu'il est de la plus haute impor

tance.

Ainsi se trouvent justifiées les dispositions concernant les usines hydrauliques, les mines, minières et carrières, les établissements destinés au traitement des matières minérales et fonctionnant à l'aide du combustible végétal, les ateliers enfin qu'on voudrait fonder dans un rayon très- rapproché des bois et forêts soumis au régime forestier.

Dans tous ces cas, l'emplacement de l'établissement est l'affaire importante qui doit surtout préoccuper l'autorité publique; car c'est par sa situation sur une rivière ou à la proximité de cette rivière qu'il est possible à une usine de se servir de l'eau dont elle a besoin; c'est par son voisinage d'un gîte de matières minérales ou des forêts d'une localité qu'il est possible à un établissement de profiter de ces richesses publiques, dont l'aménagement régulier est d'un si haut intérêt. Ce même voisinage peut faciliter la déprédation ou occasionner l'incendie du combustible forestier et nuire ainsi à la conservation et à la reproduction d'une ressource précieuse pour les

générations présentes et futures. Dans toutes ces circonstances, le législateur a dû, tout en tenant compte de la protection que mérite l'industrie, confier au gouvernement le soin de sauvegarder les intérêts généraux.

Le gouvernement est encore chargé de garantir et d'assurer la puissance militaire de l'Etat, d'organiser et de conserver les moyens de défense contre les attaques éventuelles des nations voisines. Le législateur s'est préoccupé de cette autre nécessité; il a donc interdit de construire sans autorisation aucun édifice, et, par conséquent, aucun établissement industriel dans un certain rayon autour des places de

guerre de première et de seconde classe. La liberté des mouvements et des évolutions militaires autour d'une place fortifiée est une condition essentielle de la défense de cette place, et, dès lors, les droits privés du propriétaire et de l'industriel doivent céder devant les exigences de la défense de notre territoire.

Une interdiction de même nature frappe les exploitations. industrielles qu'on voudrait créer dans une certaine zone située le long de la frontière de terre. Ici, la prohibition a pour but de prémunir l'Etat contre les entreprises qui pourraient entraver la perception des droits de douane. On a craint que la création, sans contrôle, d'usines et de manufactures rapprochées de la frontière, en fournissant une retraite aux contrebandiers, ne favorisât la fraude et ne nuisît aux intérêts du trésor public.

8. En dehors de la nécessité de l'intervention administrative, les immeubles industriels, ainsi que nous le disions tout à l'heure, sont encore soumis aux impôts généraux, et à des redevances spéciales, sur lesquels nous reviendrons dans le cours de cet ouvrage 1.

V. n. 620 et suiv.

9. Tels sont les principaux assujettissements que l'établissement industriel subit au point de vue de l'utilité publique, Disons maintenant quelques mots de ceux auxquels il peut être soumis en faveur de l'intérêt privé.

Sous ce nouveau rapport, l'établissement industriel n'est pas d'ailleurs placé dans des conditions différentes de tout autre fonds de terre.

Ainsi l'exploitation en est dominée par la règle générale déjà citée, qui veut qu'on ne jouisse de sa propriété que de manière à ne pas nuire à autrui : In suo hactenus facere licet, quatenùs nihil in alienum immittal'. Sans doute cette règle doit être entendue dans un sens raisonnable. L'exploitation d'un héritage, quelle qu'en soit la nature, n'est jamais absolument sans inconvénient pour les propriétés du voisinage. Comment exigerait-on de l'industrie une innocuité complète, quand de la culture même, ce genre primitif et si naturel d'exploitation, il résulte pour les fonds limitrophes des incommodités, telles que l'ombrage des plantations, l'émission plus ou moins involontaire des eaux de colature, l'odeur des fumiers et engrais, etc. Il est donc, pour toute espèce d'exploitation, une certaine somme d'indulgence préventive qu'il faut bien lui octroyer et un nombre quelconque d'inconvénients qu'il faut lui passer. Les assujettissements réciproques que, sous ce rapport, les héritages s'imposent et subissent respectivement sont ce qu'on appelle les obligations ordinaires du voisinage. Ces obligations ne sont formulées nulle part et ne peuvent l'ètre d'ailleurs, puisqu'elles ont la nécessité pour point de départ et qu'elles varient suivant les lieux, la disposition des choses, et les circonstances.

Mais enfin tous les assujettissements ont des bornes; et les obligations du voisinage comme les autres.

'L. 8, § 5, D. Si servit. vind.

Il faut donc admettre qu'arrivés à un certain point d'intensité et de violence, les inconvénients d'une exploitation cessent de pouvoir être tolérés; qu'il en résulte au contraire pour le propriétaire d'un établissement industriel l'obligation corrélative, soit de prendre des soins et des précautions de nature à diminuer ces inconvénients dans une juste mesure, soit de procurer aux maîtres des héritages voisins une compensation équitable des sacrifices qui leur sont imposés1.

En effet, dès que les inconvénients d'une exploitation sont d'une gravité telle qu'ils excèdent les obligations ordinaires du voisinage, ils constituent autant de quasi-délits et donnent lieu par conséquent à l'application des règles de la responsabilité civile. Ces règles sont consacrées dans les dispositions suivantes, C. Nap., art. 1382: « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » — Art. 1383. «Chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non-seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. >>

Dans la suite de ce travail nous verrons plus d'un exemple de l'obligation imposée à ceux qui exploitent les établissements industriels, de les faire fonctionner de manière qu'il n'en résulte pas, autant que possible, de dommages pour les personnes ou les propriétés.

Enfin, en dehors de cette obligation générale, les établissements industriels peuvent être astreints à certaines charges particulières et spéciales.

Comme toutes autres propriétés, ils sont susceptibles d'être l'objet ou l'occasion de conventions qui, conformément au décret du 28 septembre 1791 précité, ne seraient point défendues par la loi. Il s'ensuit que, par l'effet de stipulations,

1 Paris, 14 mars 1857 (Chaix et Ce). 2 Amiens, 18 juillet 1845 (Derosne). 3 V. n. 5.

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